Des moteurs russes en pagaille
Cette semaine, qui aura vu un lancement de fusée Atlas, a surtout été sujette a des annonces de toutes parts. Au premier plan, les constellations de satellites (voir hier)… Mais d’autres contrats ont été confirmés, restés dans le relatif anonymat des médias spécialisés anglophones. On parle pourtant de plus d’un milliard de dollars! Mais c’est un sujet sur lequel les firmes américaines tentent d’être le plus discrets possible: l’achat de moteurs russes pour les fusées américaines.
Une fusée Antares d’Orbital Sciences, équipée de deux moteurs AJ-26, l’appellation américaine des NK-33 soviétiques. Crédit NASA/Joel Kowsky
Rappelons que le 28 octobre de l’année dernière, une fusée Antares d’Orbital Sciences explosait à moins de 150m du pad lors de son décollage à destination de l’ISS. Alors que les investigations ont immédiatement mené à soupçonner un échec du moteur du premier étage de la fusée, nombreux ont été les observateurs à pointer l’origine de ces moteurs. Orbital Sciences utilisait un modèle très économique: l’utilisation de NK-33 d’origine soviétique, reconditionnés et testées aux USA. Soviétiques, oui, pas russes: on parle de moteurs construits dans les années 70 à destination du programme lunaire de l’URSS, qui n’avaient jamais été utilisés, et donc stockés en Ukraine durant 40 ans. Leur fiabilité a toujours été questionnée depuis les débuts d’Orbital, surtout en mai 2014 lorsque l’un de ces moteurs a pris feu dans un test d’allumage sur un banc fixe… La pression de l’échec d’octobre aidant, Orbital a conclu en décembre qu’ils cesseraient d’utiliser le NK-33.
La turbopompe d’un moteur de 40ans est soupçonnée d’avoir mené au drame du 28 octobre.
Crédit Scott Hoggard
Le problème pour la marque, qui a un contrat de plus d’un milliard de dollars à tenir avec la NASA ainsi que des engagements commerciaux, a été de trouver un remplacement. Il y a bien les moteurs de SpaceX, mais les deux marques sont concurrentes, et aucun accord n’aurait été trouvé. Le problème majeur réside dans le fait que la majorité des constructeurs de moteur fusée américains sont en transition: les nouveaux modèles (et il y en aura, ne vous inquiétez pas) ne pourront être présents sur le marché avant 2017 (le moteur d’Aerojet Rocketdyne, peut-être) ou 2018 (le fameux BE-4 de Blue Origin). Orbital a donc acheté un seul vol pour l’ISS utilisant une fusée Atlas histoire de pouvoir tenir les délais… Puis s’est tourné vers la Russie pour acheter des moteurs de remplacement pour Antares 2, la fusée devant décoller l’année prochaine après des tests le plus rapidement possible. Nous en parlions hier, le contexte est tendu entre les USA et la Russie, surtout au sujet de l’Ukraine. Mais commercialement, c’est le bon moment: sans tomber dans les explications économiques, le dollar est fort et le rouble, très faible, les moteurs russes sont donc de très bonnes affaires.
Les moteurs russes RD-180 qui sont utilisés sur les fusées Atlas (ULA).
Crédit NPO Energomash
Le contrat a été annoncé cette semaine: Orbital commandera jusqu’à 60 moteurs! Le contrat en contient 20 fermes, et deux lots de 20 en option pour une facture qui avoisine le milliard de billets verts. On a du sabrer le champagne chez NPO Energomash, l’usine de production russe. Aubaine supplémentaire, il s’agit du RD-181 qui est tout neuf. Il s’agit de la version commerciale des moteurs RD-191 qui équipent la famille de fusées russe Angara (voir ici). A raison de deux moteurs par premier étage lors du lancement, Orbital a donc de quoi faire voler dix nouveaux lanceurs. La production est d’ores et déjà sur les rails, car les deux premiers doivent être livrés au début de l’été, et servir de base de test d’intégration pour la nouvelle génération. Orbital ne semble pas inquiet d’avoir à tester un moteur absolument neuf: c’est une décision audacieuse!
Le RD-191, le voici à gauche, monté sur une fusée Angara (la première, vol en août 2014).
Crédit Russian Ministry of Defense
NPO Energomash est une filiale d’Energia, et je suis certain que cette semaine, il y avait du caviar tous les soirs… Car Orbital Sciences n’est pas le seul à faire construire ses moteurs sur place. En effet, en attendant le moteur américain, United Launch Alliance (ULA) commande à ce site la production du RD-180 qui équipe les fusées Atlas (dont le lancement de cette semaine). ULA est en finalisation de contrat pour obtenir 30 moteurs supplémentaires! Une autre signature qui n’est pas terminée, donc avec des montants inconnus… Qui devraient se chiffrer largement dans la palette des 750 millions. Un choix qu’ULA va avoir à défendre sérieusement, car cette entreprise se charge actuellement de tous les lancements militaires des USA. SpaceX a d’ailleurs porté plainte car selon Elon Musk, l’entreprise viole l’embargo sur les technologies russes à destination de la défense imposé par les américains. Une plainte sur laquelle n’a pas encore statué la justice américaine.
Jeff Bezos, le CEO d’Amazon, et le créateur de Blue Origin, avec la maquette du moteur BE-4, qui doit être lancé en 2018. Il utilisera le méthane pour combustible principal. Crédit Youtube.
Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est que ces 40 à 60 fusées supplémentaires qui vont décoller avec des moteurs russes soient couronnées de succès. Un échec pour Orbital n’est plus acceptable pour la société qui va perdre plus d’un an et de titanesques ressources à se reconstruire un lanceur. La même chose est valable pour ULA, qui mène une course en tête avec un manifeste de 92 décollages sans aucun problème… Avec SpaceX en embuscade, l’erreur n’est pas permise. Enfin, l’industrie russe qui éprouve énormément de problèmes dans les autres domaines du spatial (sondes, stations orbitales) a besoin de tels contrats pour contrer le manque de demande intérieure: il n’y a pas pour l’instant de prochain vol à date fixe annoncé pour la fusée Angara…
La ligne d’assemblage de moteurs de fusée Atlas, dans l’usine de Boeing. Au premier plan, le 1er étage est sans moteur, ceux du fond ont le RD-180 monté. Crédit ULA.
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Facebook pour des infos exclusives! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires.
merci pour toutes ces infos surtout continue c'est un plaisir a lire
Merci! C'est aussi un plaisir à écrire 🙂