[ASL] Le contrat Ariane 6 est signé!
L’annonce était attendue depuis début décembre 2014: après une réunion de tous les membres de l’ESA lors d’une grande conférence pluri-annuelle, le développement d’Ariane 6 était annoncé. Airbus et Safran ont bien fondé leur « joint venture » le 1er janvier en créant Airbus Safran Launchers, et les négociations ont lentement continué entre l’industriel et l’ESA. Il faut dire que l’agence européenne était bien déterminée à rentrer au maximum dans ses frais car elle a lâché une concession importante lors des négociations: ASL sera en charge de toutes les étapes qui vont mener à l’arrivée d’Ariane 6 sur son pas de tir, d’ici fin 2020. Une première, car l’ESA était partie prenante de toutes les décisions concernant les précédentes versions du lanceur star décollant de Kourou.
Les lanceurs Vega-C et Ariane 6 sont au coeur du contrat passé par l’ESA ce mercredi 13 août.
Crédit ESA
5 ans pour faire mieux qu’Ariane 5
Techniquement, Ariane 6 restera la cousine de la génération précédente… Toutefois, il faut faire à performances égales un produit plus souple capable de lancer entre 3 et 10,5 tonnes en orbite géostationnaire, le tout dans une enveloppe conforme aux attente de l’industrie des satellites, c’est à dire dans tous les cas sous les 100 millions le lancement, idéalement entre 60 et 80. Pour ce faire, Ariane 6 ne va pas casser les codes dans un premier temps, en utilisant le même moteur principal Vulcain que la génération actuelle d’Ariane 5 ECA. La coiffe sera identique, et on ne sait pas aujourd’hui si l’allègement et la simplification structurelle du corps principal de la fusée sera mis en place jusqu’au bout… Pour autant en 2020, celle qui va devenir le fer de lance du programme européen aura quelques nouveaux atouts. A commencer par un nouveau second étage avec une durée de vie de quelques heures, qui pourra être éteint et rallumé pour plus de précision et de souplesse dans l’insertion orbitale. Et puis une souplesse opérationnelle, grâce aux boosters à poudre P120 qui vont configurer le lancement. Deux boosters pour Ariane 6-2, quatre pour Ariane 6-4 qui permettra de mettre en orbite géostationnaire deux satellites superposés comme le fait aujourd’hui Ariane 5.
L’actuel booster P-80 de la fusée Vega est utilisé durant 1 minute 40 pour emmener la petite fusée à plus de 60km d’altitude et 1,7km/s! Crédit Arianespace
Vega C, pièce maîtresse du développement
C’est le développement de ce booster à poudre qui va revêtir un aspect important. Il ne servira pas que pour Ariane 6, mais servira de premier étage à l’évolution du lanceur Vega. La plus petite fusée européenne est aujourd’hui emmenée à travers les couches les plus denses de l’atmosphère grâce à un moteur P80, dont le P120 sera l’évolution plus puissante. Cette version, qui devrait pour la première fois décoller en 2018 (un calendrier crucial pour Ariane 6 deux ans plus tard) permettra à Vega plus de souplesse pour des contrats de satellites héliosynchrones (environ 800km d’altitude) en autorisant des charges plus lourdes (estimation à 2-2,5 tonnes).
Si les performances de Vega-C, et de son éventuelle évolution Vega-E sont concluantes, c’est le lanceur européen qui prendra la charge aujourd’hui tenue par par les Soyouz qui décollent de Kourou. Toutefois, le carnet de commandes du lanceur russe est bien rempli grâce au marketing d’Arianespace qui a su profiter de ses capacités pour lui assigner une partie des vols de la constellation Galileo, avant de signer un le gros contrat OneWeb.
Signature du contrat, avec les représentants d’Airbus Safran Lanchers, ELV (infrastructure), le directeur et le directeur des lanceurs à l’ESA, ainsi que Mr Le Gall, président du CNES à droite.
Crédit ESA-N, Imbert-Vier
A Kourou, les travaux ont démarré!
Sans attendre la signature du contrat, le CNRS a pris les devants dans la mise en place et la construction du pas de tir d’Ariane 6. En effet, comme les trois sites actuels continueront d’être utilisés en parallèle, il faut installer un nouveau « pad » pour la fusée européenne à venir. Cela implique plusieurs années de travaux et près de 600 millions d’euros d’investissements. Pour l’instant, il s’agit d’abord de dégager le terrain, de creuser avant de couler des centaines de tonnes de béton renforcé pour soutenir les efforts des lancements pour les décennies à venir. Ensuite, il faudra s’occuper de l’infrastructure, à savoir la tour de lancement et pour la première fois, un bâtiment d’assemblage horizontal pour Ariane! Ce sera une nouvelle spécificité: alors que Vega, Ariane 5 et même la Soyouz de Kourou sont toutes assemblées verticalement, les procédures seront différentes pour Ariane 6: un assemblage horizontal offrirait à priori quelques économies malgré des contraintes techniques différentes.
Ariane 5 est intégrée verticalement, comme les autres fusées lancées depuis Kourou actuellement. Cela va changer avec Ariane 6!
Crédit Arianespace
L’enveloppe finale
Bien entendu, les chiffres peuvent faire tourner la tête, mais il faut garder à l’esprit que les travaux engagés ne seront pas anecdotiques… Le chèque signé couvre donc 2,4 milliards d’euros pour Airbus Safran Launchers (dont 680millions tout de suite pour l’étude complète du lanceur jusqu’à un Preliminary Design Review prévu d’ici un an). Les infrastructures sont prises en charge par le CNRS pour 600 millions (200 de réserve) et le développement final du moteur à poudre P120 pour Vega-C et Ariane 6 est signé à 395 millions d’euros. Globalement, Ariane 6 devrait être disponible dans l’enveloppe prévue de 3 milliards, en sachant qu’Airbus Safran Launchers mettra comme convenu (et arraché de haute lutte) 400 millions d’euros de sa poche.
Il y a tout juste 40 ans, une fusée américaine emmenait le premier satellite de l’ESA en orbite terrestre… Quel chemin parcouru depuis par l’agence européenne!
Crédit ESA
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Quand tu dis "c'est le lanceur européen qui prendra la charge aujourd'hui tenue par par les Soyouz qui décollent de Kourou.", ça ne concerne donc que les missions cargo ? Pas prévu d'utiliser Ariane pour envoyer des humains en orbite donc ?
Deux points pour répondre:
– Le lanceur qui devrait à long terme remplacer les Soyouz d'Arianespace, c'est l'évolution de Vega, donc à priori Vega C ou E (mais dans tous les cas pas avant 2022 je pense).
– Dans la famille Arianespace, aucune fusée n'est pour l'instant configurée pour emmener des humains en orbite. La version de Soyouz (2.1B) n'est pas prévue pour, ni Vega, ni Ariane 5. Concernant Ariane 6, j'avoue qu'il y a un doute, car plusieurs partenariats laissent à penser qu'à l'avenir l'Europe voudrait envoyer des astronautes dans l'espace. Pour autant cela n'a jamais été officialisé.
Envoyer des humains dans l'espace requiert toute une floppée de mesures spécifiques sur un lanceur pour l'adapter aux contraintes d'une capsule ou d'un vaisseau habité. Par exemple il y a le nombre de G maximal à ne pas dépasser, tel ou tel carburant toxique qu'il n'est pas possible d'utiliser ou même la nécessité d'avoir des infrastructures spécifiques sur le site de lancement (salle blanche, tour d'accès à la fusée, etc.) Autant d'installations qui ne sont pas prévues à Kourou à ma connaissance.
Quelques précisions et corrections :
– La joint venture Airbus Safran Launcher (ASL) ne sera officielle que début octobre 2015.
– Mr Le Gall est directeur du CNES, l'agence spatiale française et non du CNRS. Pareil pour les travaux, c'est en grand partie le CNES qui est maître d'oeuvre d'oeuvre mais l'ESE et ASL sont fortement impliqués aussi.
– Soyouz est assemblé à l'horizontal. Ce n'est que l'assemblage du composite final (dernier étage Fregat + satellite + coiffe) qui est assemblé à la vertical sous le portique mobile à Kourou (à Baïkonour, tout est assemblé à l'horizontal).
Je ne suis pas sure que la coiffe soit identique entre Ariane 6 et Ariane 5 compte tenu qu'Ariane 5 fait des lancements doubles et qu'Ariane 6 fera des lancements simples. Mais je n'ai pas forcément beaucoup lu d'infos sur le sujet.
A Kourou, il y a des salles blanches où sont préparés les satellites avant leur décollage, et il y a aussi des tours d'accès au sommet des lanceurs (j'y suis allée pour les 2 lanceurs, lire par exemple http://reves-d-espace.com/gaia-un-satellite-pour-les-etoiles/la-campagne-de-tir/). Ce qui manque surtout à ce jour sur les lanceurs européens ou la version Soyouz en Guyane, ce sont des tours d'éjection rapide (launch abort system) en cas d'anomalie lanceur pour sauver l'équipage. Il manque aussi une zone réservée aux derniers jours de préparation d'un équipage. A une époque, il y a eu le projet Hermes, la navette européenne, donc je pense que le site de Kourou pourrait s'adapter assez rapidement à des missions habitées.
ASL n'est peut-être pas officielle, mais elle existe depuis le 1er janvier par communiqué de presse de Safran et Airbus Group (daté du 3 décembre 2014). Pour autant, lors d'un entretien lors du Bourget, on m'a confirmé que la JV n'était pas terminée, entre autres le nom va peut-être changer. Notez quand même que c'est à ASL que le contrat d'Ariane 6 a été notifié.
L'erreur de frappe a été modifiée concernant Mr Le Gall (le E est plus proche du R passé 23h).
Enfin, je parlais bien sûr des tours d'accès pour les astronautes, nécessaires directement sur le pas de tir et non pas des accès lors de l'intégration ou la préparation finale du lanceur. A noter qu'un LAS peut être fourni par la capsule/structure de vol elle-même comme dans le cas du Crew Dragon, mais il n'y a pour l'instant aucune annonce qui va dans le sens de l'intégration d'une structure habitée sur une fusée à Kourou (sinon quelques accords entre le DLR allemand et Sierra Nevada Corporation pour des essais du DreamChaser).