[Dossier] Le JWST prend forme
Le télescope spatial Hubble fait sans conteste partie des objets les plus extraordinaires mis en orbite par l’Homme, et sa contribution à nos savoirs sur l’astronomie, l’astrophysique et la création de l’univers a été capitale. Ses images aujourd’hui sont totalement inégalées… Pourtant, alors qu’il fête ses 25 ans cette année, Hubble ne pourra pas rester en service éternellement. Déjà, il n’est plus possible aujourd’hui de lui assurer des missions de service, ni de relever son orbite (il orbite à un peu plus de 600km d’altitude) car les navettes spatiales ont été mises à la retraite. S’il est presque certain que Hubble sera en activité jusqu’à la fin de cette décennie, il est grand temps de mettre son successeur en service. Le James Webb Space Telescope (JWST) se fait attendre, puisqu’il devait initialement être en service en 2011! Sa date actuelle de lancement est fixée à octobre 2018 et chaque mois qui nous rapproche de cette date permet d’être plus confiant. On pourrait se demander ce qui a été si difficile pour lancer un « Hubble amélioré »… Mais le JWST est tellement plus que cela, c’est un gigantesque monstre de nouvelles technologies!
Le James Webb Space Telescope, de bas en haut: Electronique de bord et antennes, cinq couches de protection solaire puis un énorme télescope et dans son dos, un ensemble de capteurs infrarouges uniques au monde. Crédit Northrop Grumman.
Hors. Normes.
Le fonctionnement d’un télescope spatial n’est pas si compliqué à comprendre. La lumière rentre dans le télescope, se reflète sur un miroir courbé qui va renvoyer la lumière vers un second beaucoup plus petit, lequel va transférer ce flux vers les capteurs et autres instruments permettant de capturer l’image ou d’analyser le flux de lumière en le décomposant. Plus grosse est la suite de miroirs, plus il est possible de capturer de lumière et donc de « voir loin ». Mais voilà, le miroir de Hubble faisait 2,4m de diamètre, et à cause de son poids c’est à peu près la taille limite de ce qui est possible d’envoyer dans l’espace au sein d’un télescope… Et un miroir, cela ne se plie pas très bien, non? En fait, c’est une question piège. Avec un assemblage de miroirs dont l’orientation est pilotée par toute une batterie de micro-moteurs, il est possible d’obtenir un flux lumineux équivalent à un seul énorme miroir, à condition que les étages suivants corrigent un effet optique connu. On appelle cela de l’optique adaptative: une technologie très adaptée aux télescopes sur Terre qui ont besoin de corriger les aberrations optiques que créé l’atmosphère de notre planète lors des prises d’images. Dans le vide spatial, cette propriété sera utilisée pour pouvoir transporter le JWST. Car son miroir primaire sera constitué de 18 miroirs assemblés en « nid d’abeilles », fournissant l’équivalent d’un miroir simple de 6.5m de diamètre. Oui, presque trois fois plus large que Hubble. Le JWST embarque d’ailleurs un miroir secondaire et un tertiaire afin que la lumière puisse arriver sur des instruments d’une taille raisonnable.
Le JWST sera également utilisé pour observer les exoplanètes connues pour mieux détecter leurs caractéristiques, comme la présence d’atmosphère ou leur composition. Crédit NASA/Tim Pyke
Les capteurs que va embarquer le JWST sont à la fois incroyablement avancés et très fiables. Le but primaire de ce télescope est d’observer des galaxies très loin dans le passé, quelques millions d’années après le big-bang: eh oui, il ne faut pas oublier que regarder le ciel nocturne, c’est voir le passé… Les galaxies les plus lointaines jamais observées par Hubble sont datées entre 12 et 13 milliards d’années, tandis que celles que pourra « voir » le Webb Telescope seront à environ 13,5 milliards d’années, seulement 200 millions d’années après le Big Bang, une époque très intéressante qui a vu la formation des premières galaxies et des amas stellaires. Pour cela, mais aussi pour observer d’autres phénomènes astrophysiques et astronomiques, le James Webb Space Telescope est construit pour fonctionner dans une plage de fréquences qui va du rouge visible au milieu de l’infrarouge. Ces fréquences sont les plus difficiles à observer sur Terre (car l’eau de notre atmosphère déforme les mesures), on a donc une occasion unique avec le JWST! Oui sauf que voilà, opérer dans l’infrarouge induit quelques contraintes… Il ne faut pas que les instruments soient à une température supérieure à celle que l’on souhaite détecter. Cela implique donc de travailler à -233 degrés Celsius pour être totalement efficace! Pour cela, le miroir et les instruments du télescope devront rester toute leur vie à l’ombre, protégés du soleil par un énorme système faisant à la fois pare-soleil et radiateur: d’un côté de ces couches un flux constant de photons et une chaleur d’environ 85°C avec les ordinateurs de bord, de l’autre les miroirs et les instruments, à -233°C. Un sacré défi!
Cette image donne une bonne idée de la structure de « pare-soleil » une fois déployée. Il s’agit de surfaces entièrement souples tendues à l’aide d’une structure qui s’étendra après le décollage.
Crédit NASA/Chris Gunn
Et puis, il ne faut pas être perturbé par notre planète. L’orbite basse terrestre n’est pas envisageable, à cause d’éventuelles perturbations magnétiques et des réflexions de la Terre et de la Lune qui peuvent fausser les mesures! Du coup, on enverra le JWST à 1,5 millions de km de la Terre, au point de Lagrange L2, une zone de l’espace qui annule l’attraction gravitationnelle de la Terre et du Soleil: en gros une zone loin de notre planète qu’il est possible d’orbiter en voyageant à la même vitesse que la Terre. Cette distance sera un avantage pour les instruments et un inconvénient pour le vaisseau: à cette distance, il ne sera pas possible de venir le réparer en cas de pépin. D’ailleurs il n’a pas été conçu pour cela. Si, le destin nous en préserve, il y avait un problème lors de l’installation orbitale du JWST ou un problème lors du déploiement de ce gigantesque assemblage, ce serait simplement fichu. Space is hard, comme ils disent. Car je n’en ai pas parlé mais cela semble évident: on ne rentre pas un miroir assemblé de 6,5m de diamètre, un miroir secondaire sur un trépied à 10m de là et un pare-soleil de 20m de long dans une fusée! Le vaisseau sera donc plié pour rentrer tout juste au sein de la coiffe d’une Ariane 5 et sera déployé très lentement au cours des 3 mois de voyage pour arriver jusqu’au point L2. Là, il faudra encore attendre quelques semaines le temps de régler ces capricieux instruments.
Le NIRSpec sera utilisé pour décomposer la lumière rentrant sur l’instrument, et ainsi déterminer la composition des éléments observés. Crédit Astrium
Utiliser le meilleur d’aujourd’hui, inventer le reste
De nombreuses caractéristiques du JWST sont totalement inédites, comme par exemple ce fameux changement de température (300 degrés de différence à moins d’1m de là). Il a fallu inventer le système de refroidissement idéal, et c’est pour l’instant cette fonction capitale qui a beaucoup retardé le projet. Maintenir longtemps des objets à -233 degrés, ce n’est pas commun. Aussi, il y a eu beaucoup d’innovations au service de cet énorme projet (qui engloutit les milliards de dollars presque aussi efficacement qu’un créancier de la Grèce). On peut citer entre autres le châssis du miroir qui est en « unobtainium », un matériau créé par les équipes du laboratoire NASA Goddard: une combinaison de fibre et de résine cyanate ester. La structure principale de tout le télescope est d’ailleurs réalisée dans un assemblage de graphite, titane et invar, des matériaux qui doivent résister à des changements de températures de plus de 250 degrés sans se déformer! Les 18 miroirs sont fabriqués en Béryllium avec une précision supérieure à 20 nanomètres (quelques atomes) et recouverts d’une feuille d’or…
On réalise mieux la taille du télescope (juste de la partie miroirs primaire/secondaire!) sur cette image: l’ensemble une fois déployé est titanesque! Crédit NASA/Chris Gunn
Dans les instruments qui vont permettre de nous fournir de nouvelles vus totalement inédites de notre système solaire, des exoplanètes alentour et même de la création de notre univers, il y a aussi des nouveautés incroyables. Comme une matrice de micro-shutters installée sur le NIRSpec: cela va permettre à ce gros capteur de choisir des zones de l’image obtenue à masquer pour pouvoir mieux travailler sur d’autres. Admettons que la lumière d’une galaxie en masque une autre juste à côté. Il sera possible avec cette nouvelle addition de bloquer la lumière de la première galaxie, tout en laissant le capteur emmagasiner un maximum de temps d’exposition pour produire une image de la seconde. La suite de capteurs embarquée sur le JWST est donc un milieu trouvé entre des instruments qui doivent être fiables durant toute la durée de vie du télescope et des nouveautés technologiques qui devraient permettre de décupler les capacités actuelles.
Changement en 2014 du capteur et de la matrice de « micro-shutters » directement au coeur de l’instrument. Une opération très délicate pour ne pas polluer l’instrument.
2015: des campagnes de tests démesurées
On n’envoie pas un télescope comme le James Webb sans le tester au sol, durant des années. Mais la question, c’est… Comment? Ce n’est pas évident parce qu’une fois déplié, ce dernier prend largement plus de place que n’importe quel module lunaire de la belle époque! Impossible par exemple d’avoir le JWST entier déplié dans la chambre à vide du site NASA Johnson, utilisé par toutes les sondes pour les essais extensifs qu’elle est capable de fournir. Et puis, il ne faudrait pas abîmer la structure, ou un miroir lors des opérations! Du coup, une seconde structure a été construite dans les mêmes matériaux que l’originale, et les opérations sont testées les unes après les autres, parfois à des lieux différents. Le châssis des miroirs a été testé avec deux miroirs et une partie de l’électronique de bord dans la grande chambre au NASA Johnson. Suspendue au plafond, l’étrange assemblage a été dépressurisé jusqu’au vide spatial, puis placé à des températures de -230 degrés, ce qui est une véritable gageure technologique: il a fallu utiliser de l’hélium liquide, l’azote liquide n’étant pas assez froid! Il a ainsi fallu vérifier que l’ensemble était capable de manoeuvrer les miroirs avec précision malgré les températures et un niveau de vibrations donné… Cette campagne a été un succès, deux autres sont prévues dans l’année qui vient.
La réplique exacte de la structure du JWST, le « backbone » est testé en 2014 en salle blanche…
Crédit NASA/Chris Gunn
Les instruments de mesure sont testés à part, dans leur propre environnement d’essais. Le spectromètre infrarouge a ainsi subi des tests soniques (au décollage, l’onde sonore propagée peut dans certains cas venir endommager les plus sensibles des instruments), mais aussi de vibrations. Quant aux miroirs, ils sont bientôt tous livrés, et ils font fréquemment l’objet de vérifications visuelles, et au laser, pour vérifier qu’il n’y a aucune aberration sur le miroir… Mais aussi qu’aucun corps étranger ne viendrait se coller sur la structure! Un cheveux posé sur la couche d’or au décollage pourrait fausser une mesure et mettre en péril toute une part du projet!
Fin juillet 2015, tests visuels sur l’arrière de la structure des miroirs. Crédit NASA/Chris Gunn
Alors?
Malgré ses sept ans de retard sur le calendrier initial, et son budget qui a simplement explosé en vol, le JWST est une pièce d’ingénierie absolument inimaginable de complexité. Si elle réussit à être déployée selon les spécifications, cette structure unique au monde permettra de dévoiler de nouveaux secrets, mais aussi de faire avancer nos connaissances en posant de nouvelles questions sur nos origines et notre futur. Le calendrier semble acté et le télescope n’aura pas de nouvelles années de retard… Mais il sera bon de penser immédiatement après au futur! Car le James Webb Space Telescope ne disposera au maximum que de dix ans pour opérer: passé ce délai son carburant sera doucement épuisé et il ne pourra plus autant refroidir les instruments. Et il y a ce que redoutent chacun des 18 pays contributeurs : qu’une erreur technique vienne perturber l’instrument le plus ambitieux et le plus fragile jamais envoyé dans l’espace. En octobre 2018 on pourra se poser la question: le jeu en valait-il vraiment la chandelle?
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