[Orion] De l’incompréhensible retard
Haha, il y a certains communiqués qui n’ont pas froid aux yeux. Celui que le comité d’évaluation de la NASA sur le projet Orion a publié il y a deux jours en fait définitivement partie. Ou tout du moins, il fait un constat amer: dans l’état actuel du budget de la NASA et de sa gestion à court terme, il y aura des retards sur la version habitée. Une conclusion qui peut, comme nous allons le voir, se lire de différentes façons, les raisons étant souvent plus profondes que les simples interrogations techniques.
Un test au Johnson Space center montre une configuration à 4 astronautes au sein d’une capsule Orion, l’un des exemplaires dédiés aux essais. Crédit NASA/robert Markovitz
Le premier vol habité d’Orion
La grande capsule Orion, projet qui est né il y a plus de 7 ans à la NASA, a déjà réalisé son premier vol dans l’espace en 2014. Nous évoquons régulièrement le sujet: il s’agissait d’un voyage test pour ce nouveau vaisseau qui s’en est globalement très bien tiré, au point de largement excéder les spécifications dans plusieurs domaines comme le bouclier thermique. Une seconde capsule est en cours de construction pour la seconde mission, nommée EM-1 et qui aura lieu avec la fusée SLS en 2018 (date qui n’a pas changé pour l’instant). Cette construction s’affine grâce aux retours d’expériences de décembre dernier et ce n’est pas terminé: il y aura encore des ajustements à faire pour que la petite série espérée soit un vrai succès. Mais bon, une capsule habitée sans astronautes, ce n’est pas bien utile. C’est pourquoi le vol EM-2, prévu pour 2021 doit emmener deux astronautes pour un trajet de 21 jours que l’on appelle cis-lunaire, une très large orbite autour de la Lune avant de revenir sur Terre. Lors de l’étape de validation nommée Key Decision Point -C, le comité d’experts de la NASA a pourtant annoncé que ce premier vol habité serait probablement retardé de 2021 jusqu’au mois d’avril 2023 « au plus tard ».
Il faudra encore attendre avant de voir ce vaisseau emmener des américains vers la Lune ou ailleurs…
Crédit NASA
La pilule a du mal à passer à plusieurs niveaux. Déjà parce que, avec les opérations sur l’ISS, c’est la fusée lourde SLS et le programme habité Orion qui obtiennent les plus imposantes lignes de crédit, et ce depuis quelques années. Pour 2016 par exemple, on parle de 2,8 milliards de dollars, somme que le Congrès et le Senat ont (pour l’instant, ce n’est pas tranché) augmenté de plus de 500 millions pour atteindre 3,5 milliards l’année prochaine. Du coup, on peut se poser la question de savoir comment le programme risque des retards avec une telle somme tandis que Boeing et SpaceX devront au mieux se partager 1,2 milliards pour développer la CST-100 Starliner et la capsule Crew Dragon. En réalité, la NASA est inquiète car ce n’est pas la mission de 2018 qui est source d’inquiétudes (en fait les progrès sont vraiment importants et pour le moment tout le monde est dans le calendrier) mais bien la suite. Et là, il s’agit d’un manque de vision autant que des décisions politiques. D’ici 2017, le nouveau président des Etats-Unis pourrait bien décider de baisser cette ligne de budget pour autre chose et tout le monde se souvient à la NASA de l’annulation du programme Constellation en 2010.
Au grand désespoir de nombreux observateurs, voici ce qui restera le seul et unique vol du programme Ares, en octobre 2009. La SLS et Orion aujourd’hui sont plus avancés que ne l’a jamais été Constellation/Ares. Crédit NASA
Notez bien que les experts ont été assez fins dans leurs conclusions. Ils n’ont jamais annoncé un quelconque retard ou une date repoussée pour ce premier vol habité. Le rapport indique bien qu’en l’état actuel des budget et des incertitudes du programme, le seuil de certitude pour un vol habité n’était pas suffisant pour 2021, mais plutôt pour avril 2023 au plus tard. Les responsables de projet se sont empressés de rappeler qu’Orion 2018 et Orion 2021 sont pour l’instant sur les rails et qu’aucun retard du projet n’est pour l’instant à l’ordre du jour… Ce qui est facile à annoncer 6 ans avant le vol.
Tests réalisés aujourd’hui même en Floride: le système de remplissage et d’extraction du dernier étage de la SLS, qui se branchera sur Orion au sommet de la fusée. Crédit NASA
Les derniers progrès sont encourageants
Pour Orion 2018 et la mission EM-1 qui ne sera pas habité, les étapes se succèdent lentement mais surement. Les dernières semaines ont vu la soudure des deux premiers éléments de la structure pressurisée interne du vaisseau. Réalisées en soudure par friction (un procédé de plus en plus utilisé dans le Spatial surtout chez Boeing) qui donne de bien meilleurs résultats de résistance que les soudures classiques, ces opérations vont se succéder pour rassembler les 7 pièces qui constituent le coeur d’Orion, et qui seront plus tard aménagées avec le compartiment de vie. Si l’assemblage de ces composants devait initialement démarrer en mai, aucune explication n’a été fournie pour le retard, des vérifications sur la structure de la première Orion de retour de l’espace ayant sans doute interféré. D’autre part, il y a quelques inquiétudes sur le calendrier, car la réplique grandeur nature du module de service qui doit être livré par Thales Alenia Space n’est pas encore sur place au site d’essais. Malgré les discours politiquement corrects, certains avancent que le retard du projet pourrait être en partie dû aux travaux européens.
Voici la partie pressurisée d’Orion, sans aucun élément extérieur comme le bouclier thermique par exemple, ni l’écoutille ou les systèmes de parachutes… Crédit NASA.
Concurrence, défis techniques et manque de vision
Plusieurs autres éléments ont pu de façon tout à fait logique motiver la décision du comité d’expert d’annoncer un décollage plus probable en 2023 qu’en 2021. Les deux dates sont lointaines et il peut se passer beaucoup de choses d’ici là. Si, si, souvenez-vous il y a six ans, les navettes volaient encore, SpaceX n’avait pas fait son premier vol de Falcon 9, le grand programme constellation s’apprêtait à tester la fusée Ares et Virgin Galactic allait révolutionner le monde avec ses vols suborbitaux. Le paysage a changé, voilà tout! Si la SLS et Orion vont forcément faire partie de cette fin de décennie, on ne connait pas le statut de la NASA à cette date et c’est là que le bât blesse. Les entreprises privées SpaceX en tête, pourront elles proposer des missions au long cours dans le système solaire? Les missions habitées de la SLS pourront elles survivre à un besoin pour l’instant mal identifié?
Un technicien supervise la soudure par friction sur la capsule Orion. Le bout de métal sur lequel il est appuyé volera dans l’espace durant presque un mois d’ici 2018. Un long processus… Crédit NASA
Car outre les missions de 2018 et 2021, le programme de la géante SLS n’est toujours pas arrêté, et cela pourrait vite devenir un gros problème. En effet pour 2023-2024, un nouvel étage de propulsion pour des missions lointaines doit être développé, nommé EUS pour Exploration Upper Stage. Sauf que personne n’a arrêté une date ni une mission pour que ce dernier puisse entrer en service. Et il y a pire: Orion volera dans les décennies à venir (si le projet n’est pas totalement chamboulé) avec la SLS équipée de l’EUS… Donc il faudra qualifier la fusée pour les vols habités. Se pose alors la question: quelle utilité pour un vol habité sur la version actuelle sans EUS sachant qu’il faudra refaire un vol de qualification? Ces questions gênantes pourraient être facilement cadrées si l’agence américaine adoptait au plus vite un agenda décennal pour sa fusée SLS qui a de toutes façons besoin d’une telle visibilité pour être viable. Il faut donc définir et arrêter au plus vite les besoins des missions de la SLS entre 2020 et 2025. Et nom d’un chien, il faut des objectifs qui soient réalistes et ambitieux. Parce que les américains, électeurs et politiques, ont besoin de plus que des « space jobs ». Il leur faut un nouveau souffle. L’agence américaine a pris le cap en vendant sa « mission to Mars » sans disposer le moins du monde d’un début de calendrier qui puisse répondre à la problématique. La SLS pourra apporter des capacités nouvelles: il faut en profiter et orienter un pas décisif vers la fameuse planète rouge… Sans quoi les discours resteront des mots.
D’ici trois ans, ce sera la plus grande fusée en action dans le monde. Mais la SLS fait face à de nombreux défis, dont le plus important est un manque de leadership. Et du coup de budgets associés.
Pourtant elle est énorme! Crédit NASA
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