[dossier] La grande bataille du positionnement
Rien de plus simple que de savoir ou nous sommes. Un téléphone, un peu de réseau pour afficher la carte et le GPS fait le reste… On a du mal aujourd’hui à se souvenir qu’il y a dix ans à peine, les GPS civils étaient présents (et hors de prix) dans les voitures uniquement, ou pour quelques appareils spécialisés. Bien sûr les militaires les utilisent depuis 25 ans, et une fois que les américains ont pu avoir le leur opérationnel, tout le monde a voulu le sien. La Russie d’abord, puis l’Europe (destiné uniquement au marché civil, puis non, puis si quand même), suivie par la Chine, et l’Inde. La géolocalisation s’est installée dans les objets, sur les photos, avec nos trajets et pour le sport. C’est un enjeu commercial, militaire et au-delà de la sécurité nationale, un instrument qui prétend facilement répondre à l’une des questions essentielles: « Où suis-je? »
Astuce: vous êtes quelque part ici.
Crédit Wiki
Le GPS, toujours largement en avance
Le 5 février, les USA ont envoyé avec une fusée Atlas 5, le dernier satellite de l’actuelle génération de GPS, le 2F numéro 12. Après la génération 2RM, la 2R, la 2A, et la 2 tout court, c’est un très large cycle qui se termine pour l’aventure du GPS américain: ces différentes vagues de satellites étaient les premières à offrir une couverture globale, ouverte aux services civils et d’une précision sans cesse améliorée (la génération 1 était avant tout destinée aux armées US). Une adoption rapide par les services des grandes multinationales a assuré sa diffusion dans le monde. Au point qu’aujourd’hui, 30 satellites sont actifs et envoient leur positionnement sur les 60 de la génération 2 en orbite depuis 1989: une disponibilité record, quand on sait que 9 de plus sont « en réserve », c’est à dire en parfaite santé mais sans activité sur le maillage GPS, extrêmement précis. En effet si la précision certifiée du GPS est toujours de 5m officiels, les américains confirment qu’avec les capacités de la génération 2F, on tombe autour de 50cm lorsqu’on dispose d’une bonne couverture (entre 4 et 5 satellites GPS).
Le lancement de l’Atlas 5 (version 401) vendredi dernier à Cape Canaveral.
Crédit United Launch Alliance
La génération 2, avec le 2F12, est complète et en orbite. Le 2F12 remplacera d’ailleurs un satellite 2R en orbite depuis l’an 2000, lequel ira se mettre en disponibilité non active… Un satellite a pour sa part déjà été désactivé (c’est à dire placé sur un plan orbital différent), il était en service puis en réserve à 21000 km d’altitude depuis 1990! Une disponibilité record, des précisions impressionnantes, le GPS a tout pour lui. Les USA commenceront à partir de 2017 à mettre en place la génération suivante, le GPS 3… Des vaisseaux aux capacités encore plus fines, mais un contrat qui a peiné à se mettre en place pour construire, assembler et même lancer ces satellites: le marché pèse plusieurs milliards de dollars! Enfin, et même s’il est utilisé partout au point d’être générique, il ne faut pas oublier que le GPS est un programme militaire américain. En cas de conflit, de désaccord ou de crise majeure, il peut être désactivé pour les signaux civils.
Le satellite GPS 2F12 avant d’être placé dans la coiffe de la fusée.
Crédit United Launch Alliance
GLONASS, quelques soucis de satellites
Ceux qui suivent de près l’actualité des lancements l’auront remarqué, on n’a pas beaucoup parlé de Glonass en 2015. Pour de bonnes raisons d’ailleurs: il n’y a pas eu un seul lancement pour la constellation de positionnement russe entre le 30 novembre 2014 et le 7 février 2016! Et encore, le lancement précédent était destiné à tester la prochaine version de Glonass, le modèle K1 (sans aucun commentaire de la part des russes, il semble que les signaux renvoyés par le satellite ne soient pas corrects). Les vaisseaux en activité sont donc tous de l’actuelle version Glonass-M, dont 23 sont encore en service et 2 en réserve/maintenance. C’est d’ailleurs un peu court pour assurer une couverture globale et permanente, puisque le maillage de cette constellation implique normalement 24 satellites opérationnels. Ce nouveau lancement devrait donc permettre de rétablir les services à pleine capacité.
Des couleurs absolument épiques pour ce lancement de Soyouz 2.1b, qui emmène un satellite Glonass vers l’espace. Au premier plan ce sont des tas de neige, puisque le décollage avait lieu de Plessetsk, pas très loin de Moscou. Crédit Russian MOD
Glonass a subi de nombreux revers: des problèmes de lancements d’abord, puisqu’une fusée Proton a envoyé trois satellites au tapis en 2010, puis en 2013… Et que la version K n’est pas encore en activité. Certains de ses composants (ou son propulseur je n’ai pas pu en savoir plus) seraient ukrainiens, ce qui pose problème avec la situation actuelle entre les deux nations… Même si le lancement de ce weekend augure d’une reprise des vols et des capacités, il est facile de penser que la politique est plus au maintien du projet qu’à l’expansion. Mais après tout, la constellation n’est complète que depuis 2011…
Un satellite Glonass-K, dont aucun modèle n’est pour le moment en service final. Une photo de 2011… Crédit Flickr CeBit2011
GALILEO: après la guerre?
Les autorités se réjouissent, en 2016 on devrait atteindre les premières capacités opérationnelles pour la constellation Galileo européenne. Mais c’est un peu en trompe l’oeil: on nous annonce 12 satellites en orbite et en opération. C’est oublier que 4 d’entre eux sont les satellites IOC (Initial Operational Capabilities) qui ne sont pas censés faire partie du maillage final. De plus, les deux premiers satellites FOC (Full Operational Capabilities) sont sur la mauvaise orbite, due à un déploiement raté à cause d’une mauvaise performance de la fusée Soyouz lancée en août 2014 depuis Kourou par Arianespace. Leur sort est toujours incertain, même s’ils sont en bonne santé, et en attendant ces satellites mesurent l’impact de la gravité sur le temps pour valider une théorie d’Einstein par l’expérience. Si vous faites le compte, cela ne nous laisse que 6 satellites Galileo FOC au bon emplacement! Certes. Pourtant, l’opération est sur de bons rails. Les commissions de satellites s’enchaînent à un bon rythme et même s’il n’y a plus de lancement avant octobre, c’est Ariane 5 qui va prendre le relais pour envoyer 4 Galileo à la fois. De quoi disposer à la fin de l’année de 10 satellites FOC + 4 IOC, suffisant selon leur emplacement pour assurer une couverture imprécise.
Séparation des deux derniers satellites Galileo après leur mise en orbite, capturée par le Keldysh Institute (Suède).
Il ne faudrait pas (on touche du bois) qu’Ariane ait un souci avec l’une de ces mises en orbite, car en plus des soucis avec la fusée star européenne, la perte de 4 satellites mettrait un grand coup au projet. L’ESA et surtout la commission européenne poussent pour obtenir la constellation active en 2020. Attention tout de même, de nombreuses voix se sont élevées l’année dernière pour dénoncer une aberration: si la constellation de satellites sera sans doute prête à l’heure, il n’y a pour l’instant pas beaucoup d’incitations à construire des micro-puces équipées de récepteurs Galileo. Or pour pénétrer un marché déjà équipé en GPS/Glonass et sans doute Beidou, il faudra bien encourager l’industrie…
Soyouz décolle en décembre 2015 avec deux satellites à son bord. Ces derniers sont en place et en cours de tests avant l’acceptation finale. Crédit CNES/ESA/Arianespace
BEIDOU passe au Global
Beidou, c’est la réussite d’un projet local qui s’étend sur une plus large échelle. Car en premier lieu, la Chine a lancé son projet Beidou pour disposer d’une géolocalisation centrée sur l’Asie et son propre pays. A destination première des militaires, Beidou est constituée de satellites sur différentes orbites, car la première version Beidou 1 utilisait des positions géostationnaires. La Beidou 2, qui rend le système global, dispose de 19 satellites dont 5 en positions géostationnaires ou géo-inclinées (altitude géostationnaire mais non positionné sur l’équateur). Evoluant à environ 21000km, les autres satellites forment une constellation de positionnement plus classique. Beidou, que l’on appelle aussi Compass (version civile) offre une précision moindre que celle disponible aujourd’hui avec le GPS (1 à 5m) et GLONASS (10m environ) avec entre 10 et 25m de résolution. Cela tient au fait que la constellation est active avant d’être terminée: les vols sont censés se poursuivre pour une couverture globale disponible en 2020. Toujours est-il que la Chine améliore sans cesse ses satellites Beidou: l’année 2015 a vu apparaître une nouvelle évolution Beidou 2.3 avec des capacités améliorées. Une vingtaine de lancements sont encore prévus.
La Chine, qui améliore son système continuellement, aurait prévu de lancer jusqu’à 40 futurs satellites de positionnement. Crédit CNTV
IRNSS opérationnel cette année
Comme les Chinois disposent d’une constellation capable de couvrir leur partie de l’Asie, et que le pays partage une frontière pour le moins contestée avec l’Inde, ces derniers ont jugé intéressant de posséder leur propre système… Surtout depuis qu’en 2009, lors d’une altercation avec les mêmes chinois, les USA pour rester neutres ont discrètement coupé les signaux GPS aux terminaux se situant dans la région. Mais l’Inde, c’est grand et la zone économique que souhaite observer le pays est plus étendue que celle couverte par Beidou 1. Du coup ce ne sont pas moins de 9 satellites en orbite géostationnaire (et inclinée) qui sont mis en place. Cinq d’entre eux sont opérationnels, et les suivants seront normalement tous activés cette année… De quoi disposer de capacités initiales très rapidement d’ici la fin 2016. Une véritable course contre la montre, qui souligne bien les besoins importants de l’Inde: il y a un marché intérieur pour ce produit.
Couverture du futur réseau « GPS Indien », l’IRNSS. Comme on peut le voir, les frontières seront largement couvertes… Crédit ISRO
Conclusion
Alors que le Japon aussi s’interroge (une constellation « locale » est à l’étude), on peut se poser la question de la pertinence de Galileo. Fallait-il choisir une couverture globale? Ou bien disposer d’un positionnement « en Europe, pour l’Europe »? Car si les capacités techniques finales ne font aucun doute (ce sera bien le second voir le troisième système en 2020), c’est la vision économique d’une europe qui a « suivi » les américains. Dans le langage déjà, la bataille est perdue: que nos téléphones utilisent GPS/Glonass ou Beidou, on ne retient qu’un nom… Et il a déjà innondé le marché des objets connecté avec un grand avantage, celui du nombre, de la qualité et de la visibilité. La seule menace pour le GPS, c’est son remplacement intérieur: les querelles du congrès et la bataille entre Boeing, Northrop et Lockheed pour la construction et la validation des satellites GPS 3 n’est pas terminée. A suivre…
Comme les téléphones sont assemblés en Chine, il est plus facile d’inciter les constructeurs à utiliser les puces Beidou… Ici un Sony qui capte plusieurs constellations.
Crédit Andy Proctor
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