[Ariane] 71 réussites d’affilée
L’un des deux lancements orbitaux de cette semaine a vu le satellite EutelSat 65 West A décoller grâce à Ariane 5. Il s’agissait, depuis l’accident de la toute première fusée de la version ECA, du 71è succès d’affilée. Une performance qui n’est pas un record, mais qui démontre que la fiabilité est bel et bien un argument de poids dans les contrats entre les acteurs majeurs des télécommunications et les entreprises capables d’envoyer leurs satellites en orbite géostationnaire à 65000km d’altitude. Alors même que les critiques continuent de montrer Arianespace du doigt et de comparer l’entreprise à son concurrent SpaceX, Stéphane Israël est contraint de faire régulièrement la tournée des politiciens et des médias pour annoncer Ariane 6… Qui n’arrivera au mieux que dans quatre ans. Un paradoxe, alors que justement de nombreux concurrents auront d’ici là dévoilé aussi leurs nouvelles armes.
Décollage d’Ariane 5, le 9 mars 2016
Le lancement d’Eutelsat 65 West A: La routine!
C’était le second vol pour Ariane 5 cette année à emmener seulement un satellite en orbite géostationnaire… Mais proposer ce service sous-entend de trouver des clients pour à la fois le satellite le plus imposant (lancé en position haute) et la place la plus légère, de la classe inférieure à 3 tonnes. Un inconvénient en terme de temps, qu’Eutelsat ne pouvait pas se permettre: 65 West A a été spécialement construit pour couvrir le marché sud-américain à partir des jeux olympiques de Rio cet été: il devait être lancé rapidement pour entrer en service complet aux alentours de juin. Construit par Space Systems Loral, Eutelsat 65West A est un très gros satellite: 6,6 tonnes avec le carburant au moment du lancement! Spécialisé dans la transmission vidéo et les communications, il est équipé de transpondeurs en bande Ku, Ka et C.
Eutelsat 65 West A couvrira l’ensemble de l’amérique du Sud, avec le Brésil en ligne de mire. Crédit Arianespace/ESA/CNES
Le lancement a eu lieu de nuit, et Ariane 5 s’est très bien comportée durant sa mission: c’était le 55è vol au total pour la version ECA lancée en 2002, et le second sur les huit prévus cette année. Avec son poids léger, la fusée a passé le mur du son en seulement 54 secondes, avant d’envoyer le satellite d’Eutelsat sur une orbite GTO à 250*36000 km, et une très faible inclinaison par rapport à l’équateur (généralement 6°, mais ici 0,5 degrés car la fusée était donc plus légère). A noter qu’une fois le satellite expulsé et la mission réussie, une petite expérience utilisait le second étage de la fusée (ESC-A) pour l’orienter, communiquer avec le sol et valider le contrôle de vol durant plusieurs heures… Cela pour préparer le futur, puisqu’Ariane 6 sera équipée d’un second étage à moteur Vinci, capable de redémarrer et de réaliser des profils de vols plus compliqués. Les tests d’ESC-A permettent donc de défricher le terrain et l’arrivée de ce nouvel élément important. C’était le 229è lancement d’une fusée Ariane.
Moment le plus délicat du décollage: l’allumage du moteur cryogénique Vulcain (il consomme de l’oxygène et de l’hydrogène liquide).
Angara A5 sera en retard
Durant des années, l’un des plus impressionnants adversaires d’Ariane 5 était Proton. Chère à l’usage, en assurances et aussi très polluante, la fusée russe est toujours commercialisée à l’international par la société ILS qui vend des services géostationnaires. Pourtant, la tant attendue Angara A5 pouvait faire peur à Ariane. Plus efficace que Proton, avec un contrôle qualité renouvelé, de nouveaux pas de tirs, Angara incarne une nouvelle génération russe, construite pour le succès et hors de l’héritage soviétique indubitable des autres fusées du pays. Problème, 20 ans après les débuts de l’étude, Angara A5 n’a fait qu’un seul vol de test, en décembre 2014. Un second lancement serait envisagé (sans retards…) d’ici le premier trimestre de l’année prochaine, avec AngolaSat, satellite national pour la nation africaine… Un vol qui n’est pas commercialisé par ILS. En 2014, il était prévu qu’Angara finisse par remplacer totalement Proton d’ici 2018-2019. Avec la réduction du budget russe, la date a reculé significativement jusqu’à… 2025! La cohabitation prendra donc du temps, et la « nouvelle » fusée russe mettra dix ans à s’imposer!
Fin 2014, la Russie donnait un signal fort avec le décollage d’Angara A5. Malheureusement, la production et le développement prennent un temps fou… crédit Roscosmos
Pas sur que ce calendrier fasse toujours de la Russie un concurrent très sérieux pour Arianespace. Proton engrange toujours quelques contrats (un seul en 2015, au moins 1 en 2016), certes. Mais il s’agit plus d’opportunités de lancements rapides et de solutions de secours que de vrais « premiers choix ». Ariane 6 devrait commencer en 2020 et les autorités européennes envisagent de terminer la carrière d’Ariane 5 en trois ans seulement de cohabitation: le calendrier est hautement plus ambitieux. D’autant qu’avec son développement très long, Angara est de conception « ancienne », le lanceur est taillé pour être concurrentiel dans un monde ou évoluent Ariane 5, Atlas 5 et H2-A. Du coup, s’il ne fait aucun doute que les autorités russes profiteront des belles capacités de leur fusée, elle aura sans doute plus de mal à trouver sa place à l’international. Ariane 6, elle, a été développée à partir des demandes des clients d’Arianespace.
Ariane 6 est exposée dans la plupart des manifestations pour lesquelles Arianespace est invitée.
Crédit Arianespace
Falcon Heavy… Et Vulcan?
Dans l’immédiat, Ariane 6 répond à un objectif clair: offrir plus de souplesse, un service amélioré et une réduction drastique de son prix de vente, entre 40 et 50% à l’achat. L’un de ses adversaires, pour le moment absent du marché commercial, c’est Vulcan, la fusée qui succédera en 2019 à Atlas 5 et Delta IV chez United Launch Alliance. Vulcan sera sans doute chère, c’est certain. Mais avec ses nouveaux propulseurs solides (moins chers que les actuels), ses moteurs BE-4 de chez Blue Origin (presque moitié moins chers que les moteurs russes RD-180 qu’utilise Atlas 5) et une nouvelle propulsion pour son dernier étage, la fusée a tout pour plaire. Aussi, elle sera adaptée pour le lancement de satellites « lourds » et moyens, tout à fait le coeur de métier d’Ariane… En plus, Tori Bruno, qui est le patron d’ULA, a annoncé une production initiale de 12 lanceurs par an: comme l’industrie de la défense américaine n’absorbera pas tous ces vols, l’entreprise qui est une joint Venture entre Boeing et Lockheed Martin, reviendra sans doute se placer sur le segment commercial. Une rude bataille s’annonce…
Le moteur BE-4 sera testé cette année, et pourrait entrer en service en 2018. Vulcan est prévu pour 2018-2019 au plus tôt. Crédit Blue Origin
Enfin il reste Falcon 9 et Falcon Heavy. Falcon 9 est déjà le concurrent d’Ariane 5, mais uniquement pour les satellites géostationnaires « moyens », ou les « moyens lourds ». En effet, le satellite SES-9 que vient d’orbiter la dernière version de la fusée de SpaceX, pesait 5,3 tonnes, et il a fallu jusqu’à la dernière goutte de carburant du second étage pour emmener le satellite vers son orbite GTO prévue avec succès. Pour autant, cela bloque déjà un peu Ariane 5, si les opérateurs de satellites se tournent progressivement vers leurs concurrents américains… Et la situtation risque bien d’empirer. En effet en 2016, la Falcon Heavy entrera en service. Lors de la concurrence au congrès mondial des satellites à Washington, Gwynne Shotwell (n°2 de SpaceX) a confirmé le premier lancement de Falcon Heavy pour le mois de novembre 2016. Très puissante, cette fusée serait totalement capable, pour un prix équivalent voire inférieur à celui d’Ariane 6, de venir lui « piquer » un grand nombre de lancements. Surtout si la fusée fait ses débuts en 2016: lors du lancement d’Ariane 6, Falcon Heavy aura déjà 4 ans d’expérience, et pourra passer pour la « version la plus sécurisée » en face d’une Ariane 6 sur un pas de tir neif, avec une expérience de vol très faible voire nulle. Pour Ariane 6, il est donc encore trop tôt pour dire si ça suffira. Mais au moins, l’entreprise essaie et innove. Dans le spatial, ce sont ceux qui stagnent qui se retrouvent vite en queue de peloton…
Prévue initialement en 2013, la Falcon Heavy accuse un retard important qui joue plutôt en faveur d’Arianespace ces derniers temps. Crédit SpaceX.
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