[ExoMars] Rendez-vous le 19 octobre!
Ah bien sûr, on ne suit pas tous les lancements avec la même intensité. Lorsque Proton fait décoller un satellite mis en orbite géostationnaire à l’aide d’un dernier étage Briz-M sur un profil de vol qui dure 14 heures, je ne suis pas le dernier à décrocher… Mais lorsqu’il s’agit du premier volet d’ExoMars, de la seconde mission européenne vers la planète rouge… Chaque minute était importante, et potentiellement source de catastrophes! Heureusement, les années d’expérience, les consignes de sécurité et le gigantesque travail des équipes de l’ESA et de Roscosmos sont venus à bout du suspense: ExoMars TGO et EDL sont en route vers Mars! Avec plus de 500 millions de kilomètres de vol libre, ils arriveront sur place le 19 octobre en fin d’après-midi.
Grosse pression au moment du décollage. Mais comme d’habitude, Proton est pile à l’heure. La fusée décolle par tout temps… Crédit ESA/Stephane Corvaja
Avec Proton, toujours des frissons
Ah évidemment, le suspense était beaucoup plus profond que sur Ariane, par exemple! Mais bon Ariane n’embarque pas de dernier étage réutilisable plusieurs fois comme le font les américains avec Centaur, ou les russes avec Briz-M. De plus, la Russie participe au projet ExoMars en tant que partenaire principal, il est donc convenu que ce soit ce pays qui s’occupe des prestations de lancement. D’où les sueurs froides, donc: Proton rate environ un lancement par an (sur 9 ou 10), le dernier en date couvert sur ce blog lors du lancement de MexSat-1 en mai dernier. Et pour couronner le tout, Briz-M a déjà été aussi source de quelques ratés… Mais cette fois, tout s’est bien passé et il faut saluer l’attention toute particulière dont a bénéficié la préparation de la mission. Depuis leur départ de France en novembre dernier, les deux vaisseaux accolés TGO et EDL ont été vérifiés, testés et traités comme de vrais petits bijoux.
La fusée est emmenée par rail jusqu’à son pas de tir. La coiffe est recouverte d’un revêtement thermique qui permet de préparer la mission avec de très larges écarts de température extérieures.
Crédit ESA/Roscosmos
La performance de la fusée a été bien expédiée! Une heure avant le lancement, la rampe de protection et d’inspection est reculée de quelques centaines de mètres, et Proton repose sur ses pieds (pas de tour de lancement). Le décollage a eu lieu à 10h31 (Paris) et les trois étages de la fusée ont terminé leur boulot en seulement 9 minutes et 42 secondes, presque suffisant pour emmener les 4,3 tonnes de la sonde TGO et de l’atterrisseur Schiaparelli (EDL) en orbite basse. Dès 9h30 et durant plusieurs heures, l’ESA a tenu un direct des opérations avec les images du lancement, quelques rares reportages, et de très nombreuses interviews des responsables techniques et politiques du projet. Un exercice qui à l’écran… Euh… Semblait douloureux. En plus de la difficulté d’attendre un événement souvent distant de plusieurs heures, de se répéter périodiquement et de tenir bon lorsqu’il ne se passe rien, la speakerine de l’agence européenne a eu affaire à des responsables totalement concentrés dans la première phase de la mission. Stressés, fermés comme des coquilles ou à l’inverse prolixes jusqu’à l’étourdissement, ils n’ont pas à mon sens réussi à captiver l’attention. Rien à voir avec la conférence sur laquelle elle était calquée: celle de l’atterrissage réussi de Philae sur Rosetta.
Evidemment, le vaisseau n’a facilité la tâche à personne puisque son profil de vol complexe n’a permis de dire qu’il était sur la bonne trajectoire avant… 22h30 environ, heure de Paris.
Vue d’artiste de la séparation de la coiffe, qui a lieu lorsque le troisième étage de la fusée démarre sa séquence de poussée. Crédit ESA
Burn, baby, burn
L’étage de propulsion Briz-M est équipé d’un moteur qui peut se rallumer plusieurs fois, et qui sacrifie à sa souplesse de la puissance: afin d’envoyer ExoMars vers une trajectoire de transfert vers Mars, il lui a fallu quatre « burns » de plusieurs minutes à chaque fois. Le principe est simple: après le premier allumage, l’ensemble vaisseau + Briz-M était en orbite circularisée à 175km d’altitude. Ensuite, selon la position de Mars, l’étage supérieur a à chaque fois allumé son moteur pour rendre l’orbite d’ExoMars de plus en plus elliptique… Jusqu’au dernier allumage, pour lequel l’ellipse s’est tant allongée que soudain, le vaisseau n’était plus en orbite autour de la Terre: sa vitesse est suffisante pour qu’il s’échappe à l’attraction de notre planète pour se diriger vers Mars. Mais pas trop rapide non plus: il ne s’agirait pas de passer trop vite à côté de la planète rouge, ou de devoir utiliser trop de carburant pour freiner sur place et s’injecter en orbite…
Trois jours avant d’arriver vers Mars, l’EDL sera relâché avant que le TGO ne ralentisse en s’aidant de l’atmosphère martienne. Crédit ESA
La difficulté hier reposait dans le fait que Briz-M ne peut pas toujours communiquer avec les stations au sol, il faut que l’alignement soit correct. De plus, ExoMars n’étant pas déployée, la sonde économisait son énergie et ses batteries internes en attendant d’être relâchée et de pouvoir étendre ses panneaux. Du coup, il y a toujours du retard et des incertitudes lors des allumages de Briz-M. Seule solution, attendre les rapports des télescopes radars et des rares échanges de données entre le vaisseau russe et les stations au sol. Confirmations qui arrivent parfois avec une vingtaine de minutes de retard… Au final, on a appris vers 21h que la trajectoire était correcte, puis que le vaisseau TGO s’était bien détaché de l’étage supérieur, avant la confirmation finale, envoyée par la sonde: panneaux déployés, communication correcte. De quoi déclencher selon les dires de quelques envoyés spéciaux à Baïkonour, une véritable rivière de Vodka pour la nuit.
Le site d’atterrissage prévu pour Schiaparelli (EDL) est situé dans le voisinage proche d’Opportunity. Pas de risque non plus, la carte est à une échelle très, très large. Crédit ESA
TGO et EDL, encore un peu ensemble
La mission ExoMars, qui en est encore à sa première phase, est constituée de deux vaisseaux. Le TGO (Trace Gas Orbiter), qui va se placer en orbite de Mars grâce à la très élégante technique de l’aérofreinage, avant d’étudier durant plusieurs années la composition en gaz rares de l’atmosphère de Mars. L’objectif affiché est de découvrir les sources de méthane, un composant qui peut révéler soit une activité géologique, soit biologique et déjà détecté par intermittence dans l’atmosphère de Mars. De plus, TGO est équipé pour servir de relais de données aux robots martiens, que ce soit celui/ceux de l’ESA ou de la NASA grâce à un équipement commun: les vaisseaux orbiteurs de la NASA vieillissent, et aucune mission de remplacement n’est prévue jusqu’à 2022. De quoi donc assurer une composante internationale très intéressante.
TGO est le plus gros orbiteur jamais envoyé autour de Mars.
Le couple TGO (en noir) et EDL (la soucoupe, reliée sur le « haut » du vaisseau, au moment de la mise sous coiffe à Baïkonour. Crédit Roscosmos/ESA
L’EDL, pour Entry, Descent and Landing module, est une petite station météo embarquée, qui va servir à valider la technique européenne de rentrée dans l’atmosphère martienne, qui est l’une des plus difficiles à imaginer dans le système solaire. Après déploiement d’un parachute, le vaisseau qui ressemble à une petite soucoupe, va ralentir puis détacher le parachute et allumer ses propulseurs jusqu’à un mètre au-dessus de la surface. Ensuite, ses amortisseurs feront le reste! Il ne s’agit que d’un test, la sonde restera active trois jours sur la surface de Mars si tout se passe bien, et elle transmettra ses données acquises durant la descente. Notamment quelques images prises par l’unique caméra de la mission, située sous le vaisseau et qui ne filmera donc que durant les quelques secondes d’approche au sol.
Profil de rentrée pour l’EDL Schiaparelli. Si la manoeuvre fonctionne, ce sera le premier vaisseau européen posé sur Mars avec succès.
Crédit ESA/ATG/Medialab
2018, déjà raté?
ExoMars, c’est une mission qui a surpris. En effet, dès le budget initial voté, les équipes se sont mises au travail, et contrairement à l’ensemble des missions spatiales dans le monde entier, elles ont réussi à livrer le produit à l’heure. Comble de fortune, la partie russe a fini par signer les accords à temps, ce qui fait de la première partie d’ExoMars une véritable « success story » à l’européenne, avec un vaisseau qui fonctionne et qui est parti à temps. Malheureusement, la mission pourrait être victime de son succès: de nombreux observateurs, dont quelques responsables de l’ESA, espéraient que le lancement TGO/EDL pourrait être repoussé au prochain créneau en 2018. La raison est simple: selon toute probabilité, le second volet de la mission, qui enverra un rover d’une taille similaire à Opportunity sur la surface, à l’aide d’un atterrisseur et d’un module de rentrée russe, ne sera pas prêt à temps.
Séparation du vaisseau TGO et de Briz-M (qui sur cette vue d’artiste ressemble un peu à un vaisseau Orion). Crédit ESA
Il manque des centaines de millions dans le chapeau pour que l’ESA puisse disposer du robot en 2018… Et il n’est pas sûr que la partie russe soit au rendez-vous: avec de très sévères coupes de son budget décennal l’année dernière, Roscosmos pourrait très bien repousser la construction et l’assemblage du module d’atterrissage d’ExoMars 2018. Qui serait du coup renommé ExoMars 2020. On en saura plus d’ici la fin de l’année, mais cela remet une pression supplémentaire sur les épaules de la première partie de la mission: il faut au moins que TGO soit correctement en orbite autour de Mars pour vouloir sécuriser les fonds! Ensuite, il faudra encore le construire, ce rover: deux ans c’est très court! Aux USA, certaines pièces du successeur de Curiosity qui sera lancé en 2020, sont déjà sur les rails…
L’atterrisseur Schiaparelli et ses quelques instruments qui ne pourront opérer qu’un maximum de trois jours. On leur souhaite bon voyage!
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