[SpaceX] Le Cygne et le Dragon
Depuis 2012, ce n’était jamais arrivé. Que ce soit à cause d’un calendrier difficile à prévoir ou de la disponibilité des vaisseaux, un cargo Cygnus (Orbital-ATK) et un Dragon (SpaceX) n’avaient jamais séjourné au même moment sur l’ISS. Avouons-le, c’est surtout à cause des ravitaillements: le contrat CRS (Commercial Ressuply Service) dont s’acquittent les deux entreprise vise à envoyer le plus régulièrement possible des fournitures sur la station orbitale. Il était donc logique de voir les vols étalés sur l’année entière. Sauf que depuis fin 2014, rien n’allait plus comme prévu: un Cygnus rate son décollage en octobre 2014, suivi par un Dragon en juin 2015. Et finalement, tout est enfin revenu à la normale ce dimanche 10 avril, lorsque Dragon CRS-8 s’est laissé accrocher à l’ISS grâce au bras Canadarm.
Cargo Pressurisé: des fruits frais!
Eh oui, Dragon a la capacité à embarquer des provisions « de dernière minute » qui sont chargées dans le vaisseau directement la veille du décollage, en ouvrant une trappe alors que la capsule est déjà fixée sur le vaisseau, à l’horizontale et au pied du pas de tir. Cela permet aux astronautes de profiter de fruits et légumes frais durant quelques jours, un véritable bol d’air pour ceux qui sont au milieu de leurs six mois de mission. Avec 540kg de provisions consommables, Dragon embarquait moins que d’habitude, mais une grande partie de son chargement est monopolisée par le cargo BEAM. Sur les 3,1 tonnes de cargo totales embarquées, Dragon contenait surtout 640 kg de matériel scientifique. Des expériences déterminantes. On peut citer Veggie 03, qui n’est rien d’autre que la suite du programme qui a permis l’année dernière à trois astronautes de récolter puis consommer leurs premières salades en orbite. En réalité, Veggie a démarré en 2014 et à chaque itération, les équipes au sol modifient et affinent leur processus. Sans oublier de faire de la publicité pour cette expérience capitale pour l’avenir des programmes spatiaux… On sait que les légumes sont toujours plantés en parallèle sur Terre pour mesurer les résultats de la récolte. Cette fois, les légumes Veggie plantés sur Terre sont dans le jardin… De la maison blanche, plantés par Michelle Obama.
Cette fois, ce sera donc de la laitue chinoise que les astronautes auront la joie de faire pousser en orbite. Crédit NASA
Il y a aussi quelques (pauvres) souris dans le Dragon. Leur comportement est étudié dans l’expérience Rodent, mais malheureusement pour elles, c’est surtout leur santé après quelques semaines d’apesanteur qui intéresse les chercheurs. Disséquées, elles permettent de comprendre les modifications que l’absence de gravité provoque sur la santé beaucoup plus rapidement que pour des sujets humains. L’expérience Microchannel diffusion observera le comportement de nano-matériaux à l’aide du microscope installé dans le laboratoire américain… Tandis que d’autres expériences sont centrées sur la santé humaine. Plusieurs plaques étanches vont permettre d’étudier la propagation de microbes en apesanteur, mais aussi de mieux comprendre comment les germes sont présentes au sein de la station spatiale (prélèvements à différents endroits avant cultures). Une étude sur les protéines (Protein Crystal Growth), et une autre sur les gènes (Genes In Space -1) seront menées, tandis qu’un test sera mené (Micro-10) pour tenter d’isoler la production de métabolites spécifiques en apesanteur. Destinés précisément aux astronautes pour contrer certains des effets des voyages spatiaux aux longs cours, certains médicaments pourraient stimuler ces métabolites (aspergillus nidolans)…
La plupart des expériences (comme ici Veggie) sont reproduites au sol afin de comparer avec précision les effets de l’apesanteur. Crédit NASA
Cargo non Pressurisé: BEAM
Ah BEAM, toute une histoire. Le module gonflable est paré pour son voyage depuis plus d’un an. Construit par Bigelow Aerospace (fondée par un milliardaire ayant fait fortune dans les hôtels), ce nouvel ajout temporaire à l’ISS est la démonstration d’un concept apparu dans les années 2000, délaissé par la NASA et qui a pourtant fait ses preuves: un module dont la structure externe est extensible et gonflable. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cela le rend plus résistant aux chocs mais aussi aux impacts rapides tels que les micro-météorites ou les débris orbitaux. Enfin, il y a un énorme avantage en terme de volume utile pour les astronautes comme pour Bigelow: avec seulement 1,4 tonnes sur la balance et moins de 100 millions de dollars pour sa construction (65M), ce module apportera autant de place dans la station que le PMM Leonardo. Malgré tout la NASA est très précautionneuse et gère ce module comme une expérience à part entière (même si le concept a déjà été validé en orbite). Les astronautes garderont donc l’écoutille avec BEAM fermée la majorité du temps, se contentant de vérifier les paramètres du module tout en entrant occasionnellement y faire quelques mesures.
Le cargo BEAM est pour le moment en position repliée dans le « coffre » non pressurisé du cargo Dragon CRS-8. Crédit SpaceX.
BEAM, donc, restera deux ans sur l’ISS. Mais depuis l’arrivée du cargo Dragon et la manoeuvre d’attache à la station, BEAM est toujours dans la soute non pressurisée du vaisseau. Il n’y restera pas très longtemps: dès la fin de cette semaine, il devrait être lentement sorti grâce au bras manipulé Canadarm, avant d’être attaché à l’écoutille du Node 3 (à côté de la Cupola). De là, il ne sera pas gonflé immédiatement, il y a d’abord une phase de tests et les astronautes ont beaucoup trop de choses à faire avec les différents vaisseaux cargos pour ne pas gérer BEAM avant la fin du mois de mai. Car il faudra mobiliser au moins les 3 astronautes non-russes pour lentement suivre le processus, avant de rentrer et d’inspecter le vaisseau. En tout cas c’est une nouvelle étape pour l’exploration spatiale qui s’ouvre, et elle est significative: peut-être le début de l’ère des vaisseaux gonflables?
Voici une image de synthèse qui montre ce que devrait devenir BEAM une fois gonflé fin mai. On se réjouit d’avance! Crédit NASA
Le berthing de Dragon… A quelques mètres de Cygnus
C’est donc la première fois que les vaisseaux cargos américains se retrouvent à quelques mètres l’un de l’autre. Les deux toutefois requièrent pour le moment une manoeuvre manuelle dite de « berthing », qui consiste à les positionner en sécurité à une dizaine de mètres de la station avant de les attraper grâce au bras Canadarm et de venir les placer contre leur écoutille. Une manoeuvre qui prend généralement près d’une après-midi complète pour les astronautes, sans compter la préparation nécessaire, pour plusieurs simulations quelques jours auparavant. Une procédure que la NASA et les partenaires de l’ISS ne comptent pas changer pour le moment, malgré sa lenteur. L’autre option possible pour l’instant est d’utiliser les ports de docking (possibilité d’approche automatisée), mais Dragon et Cygnus dans leur version actuelle n’ont pas le bon diamètre d’écoutille (les ports de Berthing sont plus larges que les ports de docking).
Crédit NASA
Pendant ce temps là: retour du premier étage au port!
Une première mondiale: le premier étage d’une fusée orbitale est revenu au port après lancement et posé automatisé sur une barge au large. La Falcon 9 de SpaceX, qui tente cette opération depuis janvier 2015, a donc fait son retour triomphal à Port Canaveral. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le corps du lanceur, de 44m de hauteur, n’est pas passé inaperçu! De nombreux badauds, des fans de SpaceX mais aussi un grand nombre d’internautes se sont rassemblés pour observer les opérations de déchargement prévues au cours de la journée. A l’heure qu’il est, la fusée est déjà posée à terre, soutenue pour l’opération par une grue gigantesque. L’inspection extérieure de la fusée a commencé… Et à mon oeil plus ou moins professionnel, il ne semble pas y avoir de dégâts majeurs, même si la rentrée atmosphérique a laissé ses marques. Il faudra selon toute probabilité quelques jours pour que la fusée quitte Port Canaveral sur une remorque spéciale, avant de rejoindre le pas de tir SLC 39A au Kennedy Space Center. Le pad, loué pour 20 ans à SpaceX, a subi de profondes modifications ces derniers temps pour acceuillir Falcon 9 et Falcon Heavy. Le premier étage de la fusée va y subir une très large batterie de tests (on évoque 10 « test fire ») avant de tenter un vol orbital. Elon Musk aurait annoncé une disponibilité de cet étage pour le mois de juin… Reste à savoir si un client souhaite jouer au « cobaye » en profitant d’un prix d’appel particulièrement bas, et d’un risque opérationnel décuplé.
Atterrir, c’est splendide… Mais ce n’est qu’une étape!
Crédit SpaceX.
On évoque souvent SES pour ce rôle en particulier, mais la direction de SES parle bien d’opérations commerciales, or ce premier lancement serait quasi-totalement dédié à des tests. Des CubeSats peut-être? Un satellite assuré en double? Un élément de constellation? Une chose est certaine: en 2016 SpaceX veut affiner ses données pour réutiliser les fusées. Chaque lanceur qui revient à Terre est une occasion unique de profiter de l’aubaine… Selon Mr Musk, il serait possible avec le minimum d’inspections et de modifications de faire voler un premier étage de fusée 10 à 15 fois. Avec plus de modifications et de contrôles, il pense atteindre la centaine. J’ajouterai que pour atteindre ces chiffres, même les plus modestes, il faudra encore attirer les investisseurs, en particulier pour une fusée usée ou très usée. Cette année est des plus intéressantes!
La fusée est « sortie » de la barge grâce à une large grue. Elle repose actuellement sur des soutiens en béton en attendant que ses jambes soient repliées avant le transport.
Crédit PTZ Tv, Cape Canaveral
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