Ce post devra vous faire tenir jusqu’au 18 avril, je prends quelques jours de vacances.
Ce lundi, pour l’ouverture du 32è symposium sur l’espace qui se tient à Colorado Springs, une annonce détonante a fait le tour du monde. Le constructeur des modules gonflables Bigelow Aerospace s’est officiellement associé avec United Launch Alliance pour envoyer ses grands modules BA-330 en orbite, en utilisant le lanceur actuel Atlas 5, mais aussi et surtout la future fusée étalon de la firme, Vulcan. Une annonce pleine de promesses, des réponses aux questions énigmatiques… Que révélait vraiment cet événement?
Robert Bigelow est sur tous les fronts ces derniers temps. Ici quelques heures avant le lancement du cargo Dragon qui emmenait BEAM sur l’ISS.
Crédit Bigelow Aerospace.
Le BA-330 est une réalité
Enfin, pourrait être. c’est la fine, très fine ligne sur laquelle ont marché Tory Bruno (le patron d’ULA) et Robert Bigelow (le patron… ben… de Bigelow Aerospace). Le discours était simple: l’entreprise pourrait construire jusqu’à deux modules Bigelow BA-330 d’ici la fin de l’année 2020. Ces modules, qui sont de très grands vaisseaux gonflables, fourniraient un volume interne équivalent à 1/3 de toute l’ISS, chacun! Avec une « colonne vertébrale » interne et une structure gonflable séparée en différents compartiments, un BA-330 peut être équipé de deux ports de docking, un à chaque extrémité du « boudin » que constitue le vaisseau une fois gonflé. Une belle promesse… Mais en réalité à aucun moment Robert ou Tory n’ont évoqué formellement la construction. Des capacités, ça oui. Des tests à venir sur le module BEAM qui va être déployé dans les prochains jours après son arrivée sur l’ISS. Des essais sur des architectures intermédiaires dans les mois à venir, et de la volonté (en même temps que du personnel) pour assembler deux BA-330 et devenir dans la foulée le premier constructeur d’une station orbitale commerciale, privée ou semi-privée.

Bon je mets ça la, mais c’est pas un BA-330, c’est une station orbitale Olympus, le projet « encore plus gros » de Bigelow Aerospace. Elle pourrait être envoyée avec la SLS… Crédit BA
Hors scepticisme sur les financements (c’est resté assez opaque, même si on a compris aux sous-discours qu’il y avait « des choses qu’on ne peut pas vous dire pour le moment »), on peut saluer la vivacité de Bigelow Aerospace. L’entreprise se bat depuis 15 ans pour faire accepter son nouveau modèle de station, après deux prototypes mis en orbite en 2007 et 2008, et qui sont toujours là-haut sans problèmes à reporter. Si elle annonce aujourd’hui être capable de créer un BA-330, c’est fiable. Et c’est déjà un grand pas en avant. Au cours des 30 dernières années, il y a eu MIR, l’ISS, et Tiangong-1. Cette année 2016 verra Tiangong-2 venir sur le devant de la scène… Mais il y a peu de stations orbitales qui semblent aussi disruptives que les modules Bigelow. C’est un nouveau modèle à trouver. Celui d’une station qui servira pour les états, mais aussi pour les entreprises. Qui sera ouverte au commerce, à la concurrence. Qui pourra faire station, dans le plus pur sens du terme, celui du passage et non de la finalité. Et c’est là que l’on comprend l’implication d’United Launch Alliance.

Voilà ce que pourraient devenir les deux stations BA-330 dans la prochaine décennie. D’autres pourraient être construites, tout n’est qu’une question de commandes…
Crédit Bigelow Aerospace.
Pourquoi ULA?
United Launch Alliance produit et fait fonctionner des fusées. Mais l’entreprise a fourni, comme c’est dans l’air du temps, une vision à plus long terme de ses activités au cours de la prochaine décennie. Ne niez pas, tout le monde le fait. Elon Musk veut aller sur Mars, Blue Origin vise à faire travailler toute une génération en orbite d’ici un siècle, la NASA est dans son « Journey to Mars », l’ESA veut son « Moon Village ». Et ULA? Le projet s’appelle « Cislunar1000 », et vise le moyen terme. Selon l’entreprise, d’ici 10 ans le nombre total d’astronautes aura plus que doublé et près de 1000 personnes seront chaque année en orbite pour y travailler. Plus seulement les astronautes, mais aussi des métiers spécifiques, qui ont encore à voir le jour. Pour coller à cette vision, il faut faire baisser le coût de l’accès à l’espace, mais il faut aussi une raison d’y aller. Envoyer des astronautes (via la capsule Boeing Starliner), des navettes (comme la DreamChaser prévue pour 2019) et un nouveau concept de station orbitale privée (Bigelow) font partie de ce plan d’avenir. Et en filigrane bien entendu, l’idée que le fournisseur indispensable des fusées pour faire décoller tout ça, ce soit ULA.

Voilà le modèle de vol qui pourrait emmener un BA-330 en orbite. Il nécessiterait la version la plus puissante de la fusée Atlas-5. Crédit ULA
L’entreprise a bien joué le coup, en repérant une faille chez ses adversaires. Ni Arianespace, ni Proton, ou même SpaceX qui offrent tous des services orbitaux « lourds » a leur catalogue, ne disposent de très grandes coiffes, capables de contenir des modules aussi grands que le BA-330. Ce dernier est un petit monstre de 8m de long au moins, sans être gonflé. Et ULA est prêt à travailler avec son fournisseur RUAG pour fournir une coiffe encore plus allongée, spécifiquement pour ces vols. Enfin, ce n’est pas souligné lors de la conférence, mais ce ne sera pas gratuit… Mais comme personne ne paie pour le moment, ce n’est pas vraiment la question. Ce « partenariat » sans contrat annoncé sonnait plein de promesses, de démonstrations que le « new space » et les partenaires institutionnels allaient faire bouger les lignes. En bref, l’innovation, c’est maintenant.

L’un des deux modules d’essais de Bigelow, lors de son intégration en 2007 sous la coiffe d’une fusée russe Dnepr. Crédit Bigelow Aerospace
Vers un nouveau modèle spatial… Qui se cherche
Sauf, bien entendu, si personne ne paie. Eh oui, c’est bien là que le bât blesse. Bigelow espère louer de l’espace en orbite (jeu de mots inclus). Ou bien envoyer un de ses deux modules BA-330 sur l’ISS. Enfin, si les autorités sont d’accord. Et si la NASA passe à la caisse, bien sûr. Enfin, pour une partie. Ou pour tout, ce n’est pas bien défini. Le BA-330 pourra contenir plus d’expériences que l’ISS, c’est à dire, si on veut bien y installer des choses. Vous l’aurez compris, c’est encore une possibilité mais non une réalité. Finalement dans ce genre de « nouveau partenariat » il n’y a que les faits qui comptent, car de promesses en promesses, la NASA serait sur Mars et SpaceX opérerait la Falcon Heavy depuis 2013. Les faits sont têtus, dit-on. Espérons que Bigelow et ULA en viennent à construire leur matériel, j’en serais le premier soutien car je trouve l’initiative absolument passionnante.

L’aménagement possible d’une station BA-330. Imaginez seulement, 20 ans après la première station permanente… Crédit Bigelow Aerospace
Mais si chacun attend que l’autre mette la main à la pâte comme ces deux entreprises le laissent parfois supposer (ULA a attendu que le congrès lui force la main pour trouver un remplaçant à ses moteurs russes, Bigelow a attendu que BEAM soit financé jusqu’au dernier kopeck pour le livrer, et espère en tirer du bénéfice en louant des expériences dedans), alors ce sera bien plus long. La NASA est une agence publique, qui doit bénéficier au plus grand nombre (d’américains, certes), pas financer les modèles économiques encore incertains des uns et des autres. Mais si elle peut en profiter, alors pourquoi pas?
Pour Bigelow, la prochaine étape est une question d’échelle. Mais le pari en vaut sans doute la chandelle! Crédit Bigelow
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