Bon évidemment il a fallu que quelque chose ne tourne pas rond… En tout cas, cette après-midi du 19 octobre était plus compliquée que prévu. En effet, la première partie de la mission ExoMars a vu ses deux vaisseaux, l’orbiteur TGO (Trace Gas Orbiter) et l’atterrisseur expérimental Schiaparelli (EDM pour Entry Descent and Landing Demonstrator module) arriver sur zone. Lancés ensemble en mars sur un lanceur Proton, les deux vaisseaux se sont séparés comme prévu dimanche, avant d’effectuer leurs manoeuvres « finales » aujourd’hui.
Une pensée pour l’équipe A de la mission ExoMars qui a déjà bien entamé sa nuit à l’ESOC tandis que j’écris mon article! Crédits ESA/ESOC
Quelques premières tentées aujourd’hui:
– ExoMars TGO est le vaisseau le plus lourd jamais mis en orbite autour de Mars
– Schiaparelli sera peut-être le premier vaisseau européen à renvoyer des données depuis la surface
– ExoMars TGO est le premier vaisseau à s’insérer sur une orbite profitant de l’aérobraking
– La mission ExoMars est la première mission interplanétaire à être lancée sur fusée Proton
– Schiaparelli sera peut-être l’unique vaisseau à avoir atterri sur Mars non équipé d’un appareil photo.
Réplique à l’échelle 1 de l’atterrisseur EDM Schiaparelli.
Crédits ESA-S/Muirhead
ExoMars TGO: en orbite autour de Mars
L’agence européenne avait déjà réussi à mettre un vaisseau en orbite de Mars, en décembre 2003. C’était la sonde Mars Express, qui a depuis renvoyé un nombre astronomique d’images de Mars depuis son orbite elliptique. Le TGO, l’orbiteur de la mission ExoMars 2016, devait pour sa part entrer en orbite autour de Mars aujourd’hui. En effet, différents ajustements de trajectoire ont été réalisés en juillet, puis fin août et septembre pour s’assurer que le vaisseau allait pouvoir s’insérer dans la bonne trajectoire. Mais les préparateurs de mission sont des gens prudents, et il arrive que les moteurs, après quelques mois de voyage, soient des outils capricieux. Du coup, dans le cas peu probable où ExoMars TGO n’aurait pas allumé son propulseur principal, la sonde serait restée dans une trajectoire qui la faisait passer à côté de la planète rouge, pour qu’elle puisse directement retenter sa chance une année plus tard. Heureusement tout s’est passé comme prévu puisque le moteur principal du Trace Gas Orbiter s’est allumé pile à l’heure, 15h04 (Paris).

Feu! Image virtuelle de l’allumage du moteur principal d’ExoMars TGO pour son insertion orbitale.
Crédits ESA/ATG MediaLab
Il y a quand même eu du suspense puisque le moteur devait rester allumé durant 2h et 19 minutes! Sans oublier que la distance entre la Terre et Mars impliquait un retard dans les communications de 9 minutes 45 secondes. A cause de ce retard, impossible évidemment de « piloter » la sonde, cette dernière dispose de sa trajectoire et de ses objectifs au sein de son propre calculateur: TGO est capable de jouer avec la puissance de son moteur pour rester pile sur le chemin prévu. A 15h15, nous avions confirmation de l’allumage du moteur avec des paramètres nominaux (premier soulagement: les équipes évitent un scénario façon Akatsuki). Puis à un moment, la sonde a cessé d’émettre vers la Terre: elle était passée « derrière » Mars. Mais là encore, bonne nouvelle une heure plus tard lorsque la sonde a repris le contact: les paramètres moteur ont été parfaitement gérés et le vaisseau était en orbite autour de Mars!
A 20h30, après analyse de la trajectoire du vaisseau, l’orbite est conforme aux plans de mission. La sonde TGO va donc pouvoir utiliser l’aerobraking et faire baisser doucement son orbite au-dessus de la planète rouge. TGO a économisé de cette façon une grande quantité de carburant qui va lui permettre d’être encore active en 2020 et plus, pour servir de relais de communication aux vaisseaux visitant le sol de Mars (ExoMars 2020 et MSL 2020, le successeur de Curiosity).
Le type de signaux reçus par les équipes au sol depuis TGO en orbite martienne. Apparemment un signal de très bonne qualité! Crédits ESA/ESOC
ExoMars Schiaparelli: la démonstration attendra
Difficile de savoir exactement à quoi s’en tenir à l’heure qu’il est concernant l’atterrisseur Schiaparelli. Dimanche dernier, il s’est séparé correctement du vaisseau TGO, avant de se remettre dans un court sommeil. Cette après-midi, il a activé ses antennes UHF pour transmettre sa télémétrie vers la Terre, ainsi que sur les vaisseaux en orbite qui ont orienté leurs propres antennes vers lui. ExoMars TGO, Mars Express, Mars Reconnaissance Orbiter, presque tout le monde écoutait Schiaparelli! A 16h42, le vaisseau est entré à 21000km/h dans l’atmosphère martienne. A partir de là, une petite coupure naturelle de ses émissions radio, le temps de passer le plus gros de la décélération avec le bouclier thermique de la sonde, d’ouvrir le parachute hypersonique, et de larguer le premier bouclier pour activer l’appareil photo ventral et le système d’atterrissage.

Passage le plus critique, l’allumage des rétrofusées pour freiner l’atterrisseur dans la dernière partie de sa descente. Crédits ESA/ATG MediaLab
A ce moment là de la mission, Schiaparelli a réussi à envoyer des signaux UHF assez significatifs qui ont été perçus sur Terre via les très grandes antennes de Pune, en Inde. Les changements de la porteuse du signal ont permis d’isoler les grandes étapes de la descente après l’ouverture du parachute. Largage du bouclier avant, puis largage du bouclier arrière pour une très courte période en chute libre avant allumage des rétrofusées… C’est là qu’il y a eu coupure du signal. Sur Terre on a d’abord cru à un problème d’alignement des antennes avec l’Inde. Le premier vaisseau à nous transmettre ses données de la descente de l’EDM a été Mars Express: à 17h45 soit moins d’une heure après l’arrivée supposée de l’atterrisseur à la surface de Mars, la plus vieille sonde européenne en activité nous transmettait sa télémétrie. Il a fallu du temps pour analyser ces paquets, mais on apprenait avec stupeur à 18h45 que Mars Express avait enregistré la même chose que les antennes de Pune.

Utilisation d’un ensemble tunnel spécialisé pour tester le parachute de Schiaparelli.
Crédits ESA/USAF
Dans l’exploration spatiale, un sujet n’est pas clos tant qu’il reste une chance. Il est, à l’heure ou j’écris cet article, encore possible que l’atterrisseur Schiaparelli soit arrivé correctement à la surface de Mars. Le scénario est peu plausible à cause du manque de communications après la phase critique de l’allumage des rétrofusées. Mais il reste beaucoup d’explications qui tiennent la route. Les antennes UHF de la sonde sont peut-être mal orientées, le vaisseau s’est peut-être mis en sécurité lors de son atterrissage ou il n’est pas orienté correctement au bon endroit au sol. Bien entendu il existe des scénarios beaucoup plus inquiétants (une rétrofusée qui ne s’allume pas, un déficit de puissance ou un bête retournement comme une crêpe à l’arrivée)…
A l’ESA, on attend d’en savoir plus. Les données de l’observatoire de la NASA en orbite, le MRO, pourraient en révéler plus sur la descente de Schiaparelli. Après tout, ses antennes sont beaucoup plus sensibles que celles du module européen. En dernier lieu, même s’il est possible que l’atterrisseur soit perdu, il ne faut pas croire que la mission en serait pour autant un échec.
Les signaux de l’EDM Schiaparelli avant la perte de communications (c’est à dire que contrairement à ce que l’on pense, il y a des données, ici)! Crédits ESA/ESOC
Eh oui. D’une part, l’orbiteur TGO est beaucoup plus critique pour la mission ExoMars que l’atterrisseur, qui restait avant tout une démonstration technologique. TGO servira normalement pour la seconde partie de la mission en 2020 avec un rover européen, mais il relaiera également les données de Curiosity et autres atterrisseurs jusqu’à au moins 2022 ou 2024. L’EDM Schiaparelli a transmis des paquets de données lors de sa descente, ce qui est aussi tout à fait positif: l’analyse de ces transmissions contient à lui tout seul une grande partie de la raison d’exister de cet atterrisseur: mieux connaître l’atmosphère martienne pour y faire rentrer un vaisseau. Et de ce point de vue, de nombreuses étapes ont été déjà confirmées comme de très beaux succès.
Ne restent plus que quelques nouvelles du sol…
Mars vue de son pôle Nord, lundi matin. Photo prise par Mars Express.
Crédits ESA/Mars Express
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