Il y a plus de deux mois, je vous avais écrit un article (lisible en cliquant
ici) sur la situation clairement inhabituelle de l’industrie spatiale russe. En novembre déjà, il y avait de quoi lever un sourcil: la Russie, qui durant des décennies datant de l’Union Soviétique, était restée l’une des puissances mondiales des lancements de fusées, des programmes de satellites autant que des vols habités, donnait des signes inquiétants.
Sans tomber dans le catastrophisme, deux mois plus tard la situation a encore empiré.
Le pas de tir de Vostochnyi en janvier. Vide.
Crédits Roscosmos
Des records… de non vols
233 jours. C’est le délai qui nous sépare aujourd’hui du dernier lancement de satellite russe, le 6 juin 2016. Alors qu’on approche les 2/3 d’année sans nouveaux satellites, il est temps de se demander depuis quand ce n’était pas arrivé. Individuellement, certains lanceurs ont déjà eu des arrêts plus ou moins longs. On pense entre autres à Proton, qui a eu des soucis récurrents ces 6 dernières années, et qui à chaque fois a cessé les vols le temps de trouver les solutions adéquates. Sauf que le record de durée entre deux Proton, c’est 247 jours, en 1967, et c’était pour changer de version.
Moscou, sous la neige. Les satellites d’observation russes sont récents, mais ce n’est pas le cas de tous les capteurs du pays en orbite. Crédits Roscosmos
Proton:
Depuis Intelsat-31 le 6 juin, on a beaucoup entendu parler de Proton. A quelques jours du lancement d’Echostar 23, la décision est prise de reporter le décollage d’au moins un mois. La raison n’est pas précisée, mais rapidement des sources indiquent que la fusée doit être démontée et certaines parties renvoyées chez Khrunichev, qui fabrique le lanceur, pour examen. Malaise pour Echostar: le satellite est déjà en configuration, les réservoirs pleins d’hydrazine… Après quelques reports, une date semblait tenir pour le 2 (ou le 6) février. Mais retournement de situation, plusieurs rapports de la presse russe cette fois (agence interfax, le journal Kommersant, le site RussianSpaceWeb) rapportent depuis quelque jours une nouvelle affaire. Igor Komarov, le directeur de l’agence spatiale russe Roscosmos, a fait une visite houleuse à l’usine Voronezh Mechanical Plant (VMZ en russe). A sa sortie, le directeur de l’usine a démissionné.
Le problème? Une très grave affaire de matériau de construction: des alliages de moindre qualité auraient été utilisés dans l’assemblage des moteurs, notamment des turbocompresseurs. Que ce soit pour faire des économies, pour détourner l’argent ou par manque de matière première, les résultats sont effarants: ces pièces, qui sont les plus sollicités lors d’un lancement, présentent des risques de rupture et d’usure anticipée. Tous les étages sortis de l’usine VMZ sont en cours de rappel pour vérification.
Proton pourrait être laissée au sol jusqu’au mois de juin-juillet, au moins! Un coup d’arrêt pour l’industrie russe, qui comptait vendre quelques lanceurs à l’international.
C’est bien joli d’aller tagger une fusée, mais elle n’est pas partie de sitôt, celle-là…
Crédits ILS
Soyouz:
Vous vous souvenez sans doute du dernier vol réussi de Soyouz? Eh oui, ce n’est autre que celui qui a emmené Thomas Pesquet, Peggy Whitson et Oleg Novitskyi en orbite vers l’ISS! Le seul autre décollage de Soyouz qui ait eu lieu entre temps est celui de Progress MS-04, qui n’a jamais atteint l’orbite et s’est désintégré après un souci lors du fonctionnement du troisième étage. Troisième étage dont les moteurs RD-0110 sont, vous l’aurez deviné entre temps… fabriqués par Voronezh. Cela inclut donc une nouvelle tournée de rappels vers l’usine, puisqu’il faut aussi vérifier Soyouz. Une seule fusée à la signature si caractéristique sera lancée dans les prochains temps: c’est la Soyouz guyannaise d’Arianespace, prévue pour un décollage le 28 janvier à 2h05 du matin (Paris). Des doutes subsistent encore sur la date de lancement du prochain vaisseau Progress, annoncé pour le moment au 21 février. Cela dépendra certainement de l’inspection des moteurs…

Soyouz s’approche du pas de tir! Mais en Guyane.
Crédits ESA/CNES/Arianespace/P. Baudon
Angara:
Il n’y a toujours aucune nouvelle du « lanceur russe de nouvelle génération », dont le qualificatif de nouveau peut prêter à sourire après environ 20 ans de développement. On peut légitimement se demander si le programme n’est pas gelé pour causes budgétaires ou techniques, puisqu’après deux vols prometteurs en 2014 (lancement de la version légère en juillet, de la version lourde pour les lancements GTO en décembre), aucune mention des prochains essais.
Rockot, Dnepr, Strela
Malgré les annonces qui semblent épisodiquement bonnes pour des reprises de vol, seules les Rockot directement gérées par Eurockot (et donc par une entreprise non-russe) continuent leurs processus de préparation. Il y en a deux à lancer impérativement cette année au bénéfice du programme Sentinel de l’Union Européenne, qui ferait bien de faire la transition avec la fusée Vega pour les vaisseaux suivants: Dnepr et Strela, les autres anciens missiles reconvertis en lanceurs orbitaux par la Russie, sont au point mort. La raison remonte au conflit contre l’Ukraine, qui fournissait au moins les moteurs des étages supérieurs. Les bureaux d’études russes avaient rapidement annoncé être capables de mettre en place des équivalents, qui ont dû comme beaucoup d’autres projets, rester bien au chaud dans un tiroir.
Geo-IK est le dernier satellite à avoir bénéficié des services de Rockot et le dernier satellite gouvernemental russe à avoir été mis en orbite, le 4 juin 2016.
Crédits Russian Ministry of Defense
Voilà comment la Russie s’est retrouvée en 8 mois sans aucune fusée viable.
Au sol, non seulement les équipes des 3 énormes bases de lancement russes sont en activité limitée (cela causera des retards et des risques potentiels lors de la reprise), mais les satellites s’accumulent sur la liste de lancement. Outre l’évidence de contrats qui peuvent passer sous le nez des entreprises commerciales, c’est aussi la défense qui en pâtit car des programmes importants ne peuvent pas partir en orbite. Sans parler de la constellation de positionnement Glonass, qui a besoin de remplacer ses plus vieilles unités rapidement.
On peut tempérer ce constat en signalant que les Soyouz destinées à l’ISS bénéficient de lignes de crédits différentiées et fixes, qu’elles font l’objet de beaucoup plus de contrôles et d’attention… Mais depuis la destruction de Progress MS-04, aucun programme n’est épargné. On apprenait du coup mi-janvier que la capsule habitée Soyouz MS-04 (je sais, la numérotation…) qui devait initialement partir vers l’ISS en mars avec deux astronautes, a du être remplacée par la capsule MS-05, à cause de la découverte d’une fuite sur le système de refroidissement. Le temps de remplacer les vaisseaux, et l’agenda des astronautes et cosmonautes est totalement bouleversé pour ce début 2016.
Patch de l’expédition 52… Qui mettra plus de temps que prévu à arriver en orbite.
Crédits ISS Expeditions / Wikipedia
Selon les dernières informations, l’équipage de l’expédition 49/50 (Shane Kimbrough, Andreï Borisenko et Sergueï Ryzhikov) restera un mois supplémentaire jusqu’à mi-avril. Fin avril, Jack Fischer et Fyodor Yurchikhin viennent les remplacer et démarrer l’expédition 51. Au lieu de partir au 15 mai, Thomas Pesquet, Peggy Whitson et Oleg Novitskyi resteront au moins jusqu’à début juin (date limite pour leur Soyouz) avant que les 3 astronautes suivants n’arrivent mi-juillet, à savoir Randy Bresnik, Sergeï Ryazanski et l’italien Paolo Nespoli.
Un planning qui peut encore changer…
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