[NASA] Le plan du Voyage vers Mars
Il faut un plan, surtout lorsque vous êtes la plus puissante agence spatiale du monde. Du coup à la NASA, il y a des comités qui s’occupent de plans très variés… Et l’un d’entre eux est le bureau HEO, pour Human Exploration and Operations. Ces gens sont chargés d’organiser l’exploration habitée pour la NASA, avec une vision la plus précise possible, en sachant qu’il faut que ça reste réaliste avec les budgets, les ambitions politiques et les lignes directrices de l’agence. C’est pourquoi le HEO siège au NASA Advisory Counsil, qui est en gros comité de direction, juste sous l’administrateur et le congrès. Bref, quand ils publient, et ce n’est pas souvent, ce n’est pas juste un powerpoint très instructif, mais aussi une vision qui généralement représente celle de l’agence américaine toute entière.
revenons sur la dernière de ces réunions publiques, qui a eu lieu aujourd’hui. Et ce n’était pas qu’un festival d’acronymes.
Vue d’artiste d’une base en orbite cis-lunaire (ou équivalent, à bien y regarder ce n’est pas vraiment la lune derrière, plutôt Vesta), qui colle assez avec ce qui a été évoqué aujourd’hui.
Crédits ESA, bizarrement.
Comment utiliser la SLS?
Que ce soit en 2018, 2019 ou même plus tard, la NASA va se retrouver dans les trois prochaines années avec la fusée la plus puissante au monde, construite dans le but d’être habitée, et surtout améliorable. Le problème majeur, c’est son usage: La SLS (Space Launch System) est très chère, et selon les prévisions l’agence nationale pourra en construire environ une chaque année à partir de 2023. Que faire avec? La réponse habituelle des 4 dernières années correspondait avec un sourire à un « journey to Mars! », le voyage vers Mars prôné comme objectif de long terme. C’est le souci principal… Il manque pour le moment les étapes intermédiaires entre 1) On construit une super-fusée et 3) On pose le pied sur Mars. Etape significative s’il en est. La bonne nouvelle pour les programmes d’exploration du système solaire et habités, c’est qu’ils ont été favorisés dans la dernière proposition de budget, et que le « livre blanc » voté par les deux chambres du Congrès américain au début du mois valide un objectif de long terme vers Mars.
La SLS devrait être l’outil majeur de la NASA pour les missions hors LEO entre 2020 et 2030. Encore faut-il lui trouver un bon usage, et s’entendre sur ses débuts…
Crédits NASA
Alors que faut-il vraiment pour embarquer des humains vers la planète rouge? Deux visions s’affrontent. Elon Musk, via SpaceX, prône une approche directe: envoyer du matériel sur Mars, des robots et de quoi construire une base, puis y envoyer des colons, aidés par des robots. La NASA vise une approche plus réfléchie, plus scientifique et surtout plus incrémentale: prouver que les technologies d’aujourd’hui permettent une station habitée loin de l’orbite basse terrestre, montrer qu’avec plus d’automatisation, on peut construire une « station relais » fiable à la carte, avec un premier exemple autour de la lune. Puis envoyer sur ce modèle ou équivalent des humains vers Mars. Une première fois en orbite, puis… Puis on verra bien, en fonction de l’évolution. Dans un premier temps, la NASA doit faire accepter son plan, à la fois sur le plan technique (quelle version de la SLS, quels vols, quoi emporter à quel moment) et politique (on parle de 15 à 20 ans de vision, il faut donc un support bi-partisan pour que le programme reste stable).
La capsule en préparation pour EM-1, et en encadré sa nouvelle structure pour protéger le bouclier de la chaleur de la rentrée atmosphérique. Crédits NASA Ames
Dites bonjour au DSG
Ah, voilà un nouvel acronyme qui pointe son nez. Je vous présente le Deep Space Gateway (DSG). Il s’agit ni plus ni moins qu’une petite station orbitale, stationnée en orbite haute autour de la Lune, ou sur un point de Lagrange. Ce qui est original, c’est que cette fameuse station serait construite en utilisant uniquement des vols de la SLS. A partir d’EM-2 (prévu du coup plus tard que maintenant, sur une version améliorée avec le second étage dédié à l’exploration spatiale), à chaque voyage la SLS embarque un composant de cette station DSG. D’abord un module pour la production d’électricité et la régulation thermique. Puis un vol avec un habitat l’année suivante. Un compartiment de stockage et logistique est rajoutée l’année suivante, puis un sas de sorties EVA l’année d’après. L’idée principale est de ne pas avoir une station « façon ISS » habitée en permanence, mais un genre de station relais, habitée chaque année durant un mois ou deux ou plus, pour mieux comprendre les vols hors de l’orbite basse et les défis associés.
Je ne vous cache rien, c’est là-dessus que je me base, avec un petit décryptage… Il y a 10000 détails à remarquer sur cette slide. Notamment la mission vers Europe, qui fait son apparition officielle.
Crédits NASA
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce plan est assez coopératif dans sa conception. En effet, les pays aujourd’hui associés à l’ISS seraient sollicités pour construire les modules ou des parties de module, et bénéficieraient des retombées en terme de données, et de places pour leurs astronautes. Dans le même temps, les entreprises aujourd’hui impliquées dans les contrats Cargo sur l’ISS seraient appelées pour ravitailler de la même façon le DSG. Seul problème: il faudrait 4 à 5 ans pour construire cette petite merveille qui ne serait habitée que pour de courtes missions. Quid de l’ISS, et de potentielles autres stations en LEO? Que se passe-t-il pour la permanence des missions habitées? C’est fini? Mais bon, pour une fois que la NASA propose un plan « complet » pour sortir de l’orbite basse, écoutons.
Après la construction de la DSG, une « Phase 2 » peut commencer. Mais de quoi s’agit-il?
Crédits NASA
Du DSG au DST
Donc à la complétion du Deep Space Gateway (littéralement la « porte d’accès à l’espace lointain »), la NASA prévoit d’être environ en 2026-2027. C’est le moment pour lancer le vaisseau d’après, celui qui va vraiment permettre aux astronautes de faire de l’exploration lointaine hors de la sphère d’influence Terre-Lune. Et celui-ci s’appelle le DST pour Deep Space Transport. Il serait d’abord envoyé pour être rattaché à la Gateway, avant que n’arrive l’année d’après de quoi le ravitailler. Une fois pleinement ravitaillé, le DST se sépare de la station lunaire mais reste dans les environs (ou sur un point de Lagrange) durant 300 à 400 jours, pour simuler la durée d’un voyage vers Mars. Enfin, en 2030, Le DST repart et va effectuer une première mission vers Mars, qui l’emmènera en orbite avant un retour, toujours depuis et vers la DSG. En gros, la station en orbite lunaire fait office de relais, tandis que ce vaisseau de transport se charge d’étendre les capacités habitées vers Mars ou autre.
Qu’on l’aime ou pas, ce plan détaillé permet d’y voir en détail pour une première « vraie » solution au Voyage vers Mars. Crédits NASA
Dans ce plan, expliquait cette après-midi l’orateur de la NASA, la première mission habitée vers Mars partirait dans le DST en 2030, pour un voyage en orbite de la planète rouge qui serait à la fois « sûr » car déjà testé par le même vaisseau, et en même temps « classique » dans son approche par étapes successives. Tout est testé le plus possible, et c’est ce qui rend les opérations longues et coûteuses: une SLS chaque année, ce ne sera pas gratuit, d’autant que certaines de ces missions ne sont conçues que pour emmener du matériel: toutes n’auront pas d’équipage!
Pour moi, ce plan vise à se conformer avec les moyens à disposition, à la problématique du voyage vers Mars dans de bonnes conditions. En testant les nouvelles technologies nécessaires, en allant d’abord faire des essais autour de la Lune (qui n’a tout de même plus vu d’astronautes depuis 1972 et Apollo-17), la NASA fait ce qu’elle a appris à faire ces 30 dernières années: des plans assez peu « sexy » mais construits sur le long terme.
Admettons que ça nous manque aussi, les photos prises par les astronautes en orbite lunaire. Ici Apollo-17. Crédits NASA
Il y a quand même quelques soucis avec une vision aussi lointaine qui, en 2030, n’aurait toujours rien accompli de plus qu’une « petite » station en orbite autour de la Lune. C’est sous-estimer la capacité des autres nations à jouer la course à l’espace. Même si la Russie a ses propres ambitions lunaires, que je me garde bien d’évoquer car les agendas sont devenus dangereusement fantaisistes, il y a aussi la Chine, qui a pour l’instant la « mainmise » sur les missions lunaires depuis 2010. La Chine qui a tout de même un plan habité très bien défini avec une station orbitale en LEO d’ici 2020, et une conquête qui devrait l’amener vers le sol lunaire dès 2030. Il faudra donc observer d’un oeil attentif les volontés et les accomplissements de chacun. Enfin, tout cela n’aura aucun intérêt si SpaceX envoie devant les yeux de tout le monde sa fusée lourde ITS vers Mars avant la NASA…
Pour autant, je suis content que l’agence américaine ait un plan! Qui plus est un qui puisse promouvoir l’exploration habitée!
La station orbitale chinoise Tiangong-3 devrait ressembler à ça en 2022 (visuellement proche de Mir). Crédits CNSA
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