[Blue] De maquettes en promesses
Pendant des années, presque 15 en fait, Jeff Bezos est resté muet sur les activités de Blue Origin. Un site internet « vide », un compte twitter sans notifications, une newsletter sans emails, et surtout une représentation inexistante. Mais depuis deux ans, tout a changé. New Shepard a tout changé. Les dernières étapes très médiatisées du développement de la capsule de Blue Origin ont été un événement marquant pour la firme, qui se retrouve depuis sous le feu des projecteurs. Et se retrouve du coup à jouer dans la même cour que ses concurrents, celle des dates non tenues, des promesses de conférences… Surtout maintenant, tout le monde les attend au tournant. Un exercice difficile?
Tous à bord de New Shepard!
Crédits Blue Origin
New Shepard: exposé à tous!
En ce moment, c’est le 33è « Space Symposium » à Colorado Springs, aux USA. Ca ne vous évoque peut-être rien, mais c’est un rendez-vous important pour l’ensemble de la communauté spatiale mondiale. Pour exemple mardi, il y avait tous les dirigeants de toutes les agences spatiales mondiales (sauf l’Inde, étonnamment): l’événement draine un large public professionnel puis amateur dans les derniers jours. La grande attraction est évidente, à l’entrée: le booster de New Shepard accueille le visiteur, ses jambes d’atterrissage déployées et ses 18m de hauteur qui toisent l’assemblée. On voit très clairement que le booster a souffert de ses 5 voyages au-delà de la ligne de Karman… Même si au final, il a très bien résisté à une sacré séquence d’essais. Mais la grande star n’est pas là, elle est à côté. Cette fois, Blue Origin est donc venu avec une capsule New Shepard… En configuration commerciale habitée! Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça décoiffe!
Décollage du système New Shepard: la capsule est larguée à Mach 3,5, avant de revenir se poser sous parachutes. Crédits Blue Origin
Il y a six sièges dans la capsule, un devant chaque fenêtre. Oui, oui, fenêtre. A ce niveau là, on ne peux plus vraiment parler de hublot: il y a vraiment cette impression d’être accoudé au balcon. Dans les montants des fenêtres, les écrans vidéos permettent au passagers d’en savoir plus sur le statut de la capsule, sa vitesse, et les procédures de sécurité. Capitonnée, New Shepard permettra à ses six passagers environ 6 minutes d’apesanteur totale, à profiter de la vue, flotter et faire des « superman selfie ». La préparation durera à l’évidence plusieurs jours, car selon la speakerine de Blue, les participants auront une première expérience de l’apesanteur pour mieux profiter de l’expérience une fois vraiment dans l’espace. Un flux video sera transmis au sol, et les consignes seront passées aux passagers via des haut-parleurs: il n’y aura pas, à priori, d’accompagnateur dans la capsule. D’autre part, la configuration et la forme des sièges est prévue pour absorber l’accélération: les passagers seront soumis à environ 3,5G en montée, et environ 4G en descente, par à-coups (déclenchement des parachutes, atterrissage).
L’intérieur de la capsule. L’espace central (« le deck ») contient aussi le moteur à poudre en cas de souci majeur lors de la phase de montée. Notez les écrans et la finition!
Crédits Blue Origin
Maintenant qu’on sait un maximum de détails (sauf le prix, naturellement), la question suivante est un peu embarrassante… Ou en sont les New Shepard? La nouvelle capsule qui est montrée est belle et fourmille de beaux détails, mais la fabrication des modèles de vol a pris un gros retard. Lors du dernier test effectué en octobre, on nous promettait un vol en janvier 2017. Ce dernier n’a jamais eu lieu. Certes, il ne s’agit plus cette fois de démontrer un concept, mais de passer à l’étape suivante: disposer d’une vraie fusée suborbitale réutilisable de nombreuses fois pour démarrer un modèle commercial. D’abord avec des expériences et des vols inhabités, puis d’ici fin 2017-2018, avec des pilotes d’essais. Puis des touristes. L’étape de « show » de la capsule était très attendue et c’est une réussite, mais on se sentirait plus rassurés pour le planning, si l’on savait que New Shepard subissait en parallèle une dernière campagne d’essais de validation.
C’est le contrepied parfait de Virgin Galactic, qui a fait trois vols d’essais depuis décembre, mais n’a jamais montré l’intérieur de son avion suborbital (qui n’a pas encore testé son moteur).
Petits et grands robots étaient apparemment de la partie au Space Symposium! Crédits Agility Robotics
New Glenn, Blue Moon, le futur dévoilé
Ces derniers temps, Jeff Bezos est devenu « aussi cool » qu’Elon Musk. Ou en tout cas, aussi porté par ses idées. Dès qu’il en a une nouvelle, il la propose et il regarde la réaction de l’assemblée. Mais il faut dire que Blue Origin commence à disposer de sérieux outils pour peser dans la balance. Dans les dernières idées, il y a « ajouter un petit second étage sur New Shepard et lancer des Smallsats »… Et pourquoi pas? Mais ce ne sera pas la priorité… Et c’est bien là le problème de Blue: c’est encore une petite entreprise pour le moment, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas d’entrée massive de Cash pour travailler sur tous les sujets. Ce qu’il faut pour Blue Origin, c’est rentrer des gros contrats. Le plus gros à sa portée, c’est la fourniture des moteurs de la future fusée d’United Launch Alliance, la Vulcan. Les tests sont censés démarrer dans les semaines à venir, avec déjà un moteur sur le site d’essais, les autres bientôt en chemin. Le BE-4 est le premier moteur de fusée à grande puissance utilisant du méthane liquide et de l’oxygène, à la fois pour sa turbocompression, et sa chambre de combustion principale. Cet essai est critique pour Blue: le concurrent Aerojet Rocketdyne est en embuscade avec son nouveau moteur AR-1 au moindre problème!
Notez l’échelle du moteur. New Glenn doit en intégrer 7 comme celui-ci sur son premier étage!
Crédits Blue Origin
Ensuite, il y a le lanceur New Glenn, dévoilé en septembre 2015 et précisé par à-coups depuis, jusqu’à maintenant. On sait que les premiers contrats de lancement son signés, et que la fusée devrait décoller pour la première fois depuis le pas de tir LC-36 à Cape Canaveral en 2021. Sauf que voilà, ce lanceur lourd et inédit coûtera au moins 2,5 milliards de dollars, c’est Jeff Bezos qui le dit. Il y a donc à trouver rapidement un business plan avec des prévisions solides, parce que la firme, qui est en train de s’étendre, notamment en Floride, doit assurer ses activités. Près du pas de tir, l’usine d’assemblage de la fusée, qui servira aussi de QG de Blue su la côte Est, est en construction rapide. Le bâtiment est sorti de terre en décembre, et il a déjà plus ou moins son look final. Pour le pas de tir en lui-même, ce sera difficile d’en savoir plus: le LC-36 est tout au bout de la péninsule de Cape Canaveral, aucune route publique ne passe devant et l’entreprise est toujours aussi restrictive avec les photos volées. Le nouveau gigantisme à la Blue Origin donne d’ailleurs des maux de ventre à une bonne partie des autres sociétés présentes dans le coin, SpaceX, ULA et Orbital-ATK en tête: les chasseurs de tête de Jeff Bezos auraient débauché certains des talents des « crack » du secteur, laissant vacants des postes clé.
Les bâtiments visibles sur cette animation sont en construction. Et les travaux avancent vite…
Crédits Blue Origin
Ce qui manque à Blue Origin par rapport à ses concurrents, ce sont des contrats cadres. SpaceX et Orbital-ATK ont réussi à « truster » les ravitaillements de l’ISS, ULA assure au moins la moitié des lancements de la défense, plus des tirs vers l’ISS… Blue va arriver dans un paysage difficile, avec la concurrence sur le secteur privé de candidats sérieux comme Arianespace, SpaceX, ILS, Mitsubishi, Orbital-ATK! Du coup, et cela sonne comme une défaite pour une entreprise qui s’est longtemps vantée de n’avoir rien coûté au contribuable américain, Blue propose un petit peu partout ces derniers temps, son concept « Blue Moon » d’un atterrisseur lunaire capable d’effectuer des services de routine pour aller se poser sur notre plus proche satellite. On discerne bien le plan: attirer des dollars de la NASA pour pouvoir financer le projet, qui profite d’une vision existante, celle d’une potentielle station en orbite lunaire. Bezos l’a d’ailleurs fait remarquer en conférence, en disant en substance « nous disposerons d’une station en cis-lunaire, à nous de la ravitailler et d’en développer les usages »!
Ce qu’on peut trouver de plus proche de l’expérience comme passager de la New Shepard pour l’instant!
Pour l’instant, tout repose sur les épaules du créateur de l’entreprise, également patron d’Amazon. Blue lui a déjà coûté très cher (on lisait 500 millions au début de l’année dernière), et d’ici que les opérations puissent faire des rentrées de cash et/ou attirer des investisseurs finaux, il va encore se passer du temps. Pour terminer le bâtiment en Floride, mettre en place le pas de tir, démarrer les opérations de New Shepard, tester les moteurs BE-4… Jeff va vendre pour un milliard de dollars de parts d’Amazon et auto-financer son bébé! Impressionnant! Mais au final, pas tant que ça: avec 66 milliards de dollars, l’emblématique patron a une marge de manoeuvre plus que suffisante. Jusqu’où ira-t-il?
Forcément grâce à son image « high Tech », Jeff Bezos est un type qui sait vraiment s’amuser.
Crédits Jeff Bezos
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