[NASA] Les astronautes attendent…
Nous sommes mi-avril 2017. Cela ne vous rappelle peut-être rien, mais c’était censé être la date du retour des astronautes en vol depuis le sol américain… En janvier 2015, lors de l’attribution officielle du contrat Commercial Crew, les deux entreprises retenues, SpaceX et Boeing, dévoilaient leurs agendas. Celui de SpaceX indiquait un premier vol inhabité en décembre 2016 avant un premier vol de la capsule en configuration finale en février 2017, rapidement remplacé par avril 2017. Malheureusement, cette date n’a pas tenu bien longtemps. Le vol de la capsule de Boeing, CST-100, est dans le même cas de figure: tous les vols habités ont progressivement été reportés sur 2018. L’année même où la SLS était censée faire son premier vol.
Entre temps, on est déjà rentré dans le plus long intervalle entre deux vols habités aux USA depuis l’année 1961.
Alors, qui décollera en premier? Boeing, SpaceX, ou bien la NASA dans le cadre du programme Orion? En 2017, la Russie et la Chine sont toujours les deux seules puissances spatiales avec des vaisseaux habités en service! Crédits NASA
Crew Dragon sera-t-elle la première?
Officieusement, SpaceX et Boeing sont toujours en concurrence. Oh bien entendu, la NASA leur a donné à tous les deux un nombre identique de missions à réaliser avec des équipages, et le contrat sera prolongé jusqu’à 2024, ça ne fait pas un pli. Pourtant, Boeing a empoché 1,6 milliards de dollars de plus que la firme californienne… Du coup, la compétition est rude pour prouver que c’est la « start-up » (qui n’a plus rien d’une start-up) qui va remporter la coupe. Il faudra toutefois ne rien laisser de côté au niveau de la sécurité, car la NASA ne fera pas de cadeaux. L’agence est inquiète, car la Falcon 9 qui embarquera jusqu’à 4 astronautes vers l’ISS dans Crew Dragon a déjà eu deux échecs critiques, le premier en vol en juin 2015, le second lors du remplissage de ses réservoirs en septembre 2016. Toutefois, SpaceX fait participer la NASA à ses enquêtes, montre les résultats et corrige le tir. C’est toujours l’entreprise d’Elon Musk qui a officiellement l’agenda le plus agressif, avec un vol inhabité de Crew Dragon vers l’ISS prévu en décembre 2017, suivi par un vol habité en avril 2018. Soit d’ici un an.
L’astronaute Bob Behnken et un modèle structurel de la Crew Dragon. On peut tout de même voir la structure pressurisée, sorte de « coque dans la coque ». Crédits SpaceX
Ca fait un bout de temps qu’on n’a pas vu officiellement la Crew Dragon. En mars, un modèle de la capsule a réalisé des tests remarqués de son système-vie. Non équipée de sa coque externe, l’intérieur de la capsule n’était pas équipé de sièges, simplement du système de gestion de l’air et de l’humidité. Après des vérifications d’étanchéité et des premiers essais avec capteurs, les tests ont été validés par quatre ingénieurs, qui ont passé six heures enfermés dans la capsule sous différentes conditions. Quant au processus d’acceptation de la NASA, on sait que le dossier a piétiné fin 2016: l’agence posait de nouvelles conditions concernant le ravitaillement en carburant de Falcon 9 (avant ou après l’accès des astronautes à la fusée, telle est la question), mais aussi sur des micro-fissures découvertes sur les moteurs Merlin-1D de la fusée.
Tests des systèmes-vie à l’intérieur de la capsule Crew Dragon (Crédits SpaceX)
Le plus important défi pour SpaceX, ce sera peut-être le calendrier que la firme s’est imposé concernant son pas de tir. En effet, d’ici la fin de l’année, l’entreprise souhaite tirer une dizaine de fusées jusqu’à fin juillet depuis le LC-39A, avant de repasser ses vols « réguliers » inhabités sur le LC-40 qui devra être réparé d’ici là. Le LC-39A disposera à ce moment là d’au-moins deux mois de préparation pour le mettre à niveau, à la fois pour les vols habités et pour accueillir la Falcon Heavy. Ces travaux terminés, le premier vol de Falcon Heavy est toujours prévu avant la démonstration de la Crew Dragon vers l’ISS. A moins que la firme d’Elon Musk choisisse de faire l’impasse sur le côté « démonstration fidèle » et lance la capsule depuis le LC-40? Assurément, cela nuira au réalisme du test, car il ne s’agira pas d’un pad adapté aux vols habités. Bref, une fois de plus, le problème n’est pas dans les compétences ni dans la performance, mais dans le calendrier difficile.
A l’intérieur de la capsule Crew Dragon pressurisée, qui ne dispose que de ses systèmes de support-vie. Vivement que le reste soit équipé! Crédits SpaceX
La sécurité avec Starliner CST-100
Après la présentation de sa nouvelle combinaison de vol en janvier, Boeing s’est à nouveau fait bien silencieux, jusqu’à fin mars et la présentation de son système d’urgence sur le pas de tir: tout en haut de la tour de lancement, deux câbles permettent grâce à un système de harnais/tyrolienne d’urgence de quitter rapidement le site pour se cacher dans un bunker. Bien évidemment, ce serait bien inutile pour une explosion, mais dans le cas d’un feu, d’une fuite ou tout simplement d’une surpression dans l’un des réservoirs, il faut que les personnels de préparation puissent quitter le site aussi rapidement que les astronautes sanglés dans la capsule! Le site de lancement sera terminé cet été normalement, avec les derniers éléments de la salle blanche. Concernant la capsule, Boeing réalisera un premier test avec une CST-100 Starliner au tout début de 2018: un « pad abort test », identique à celui que SpaceX a réalisé en 2016 sera mené à White Sands, en Californie. La capsule, simulant un défaut sur le pas de tir, activera ses moteurs d’urgence et devra prouver qu’elle peut embarquer ses quatre astronautes loin du site sans les tuer au cours du voyage.
L’installation est immédiatement devenue la plus fun de tout le site de Cape Canaveral.
Crédits United Launch Alliance
L’avionique de cette première Starliner a été branchée pour la première fois avec l’ensemble des systèmes et alimentée fin mars. C’est un bon signe du progrès, sachant que Boeing assemble toutes ses CST-100 à la chaîne en Floride. A chaque étape, on peut donc s’attendre à des améliorations au fur et à mesure des modèles de vol. Le premier décollage vers l’ISS, en version inhabitée, est prévu pour avril-mai 2018, suivi par un premier vol avec équipage en août 2018… Si tout se passe bien d’ici là. Le problème du chemin choisi par Boeing (réaliser le design et les simulations avant de lancer tout le processus de construction d’un coup), c’est qu’il engendre beaucoup de retards si une des dernières étapes pose un souci lors des essais. En effet, si un moteur a un problème lors du « pad abort test », ce seront au moins 3 ou 4 modèles de vol qui devront subir des modifications.
Boeing continue de faire sa publicité discrète en se ventant d’avoir le « vaisseau du retour des américains en orbite ». Ca reste à voir.
Sur le site d’assemblage des capsules CST-100 de Boeing.
Crédits Boeing.
La SLS sera en retard, cette fois on y est
Lors d’un audit interne, l’Office of Inspector General (OIG) a scruté tout le processus en cours pour la fusée géante SLS ainsi que la capsule Orion, devant mener à son premier vol EM-1, aujourd’hui encore planifié pour novembre 2018. Cela fait un peu moins de trois ans que cette date est fixée, mais elle ne pourra pas tenir. Les raisons sont multiples… Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que dans un projet de cette ampleur, il faut disposer de marges suffisantes, sans quoi un événement imprévu a rapidement raison de l’ensemble de la construction. Au fil du temps, certains éléments rentrent sur le « chemin critique »: ce sont eux qui risquent sérieusement de reculer la date de départ, car ils sont en retard et le projet ne saurait avancer sans eux. Pour Orion EM-1, il y a plusieurs points critiques. Le premier n’est pas glorieux pour nous européens, c’est le module de service ESM. Commandé, certes en retard, et assemblé à Brême par Airbus Defense and Space, l’ESM devrait déjà en être à la phase finale de son assemblage avant envoi aux USA. Dans un planning idéal, il aurait ensuite été testé sur place durant quelques mois avant d’être assemblé à la capsule et d’être retesté à nouveau avant le printemps 2018 et son arrivée sur le site d’assemblage. Soit dans 9 mois. Problème, la NASA dispose pour le moment seulement de la version de test structurelle, et il y a peu de temps pour modifier d’éventuelles pièces entre les essais et l’envoi du modèle de vol.
Au Kennedy Space Center, l’installation qui accueillera Orion et son module de service pour les assembler, les derniers tests et « faire le plein » est prête. Crédits NASA/Kim Shiflett
L’ESM n’est pas le seul élément critique. Le premier étage de la SLS est en retard, et l’assemblage de l’un de ses réservoirs a été retardé d’un mois à cause de la tornade qui a touché le site de Michoud en février. Pire, le software qui doit gérer le segment sol jusqu’au moment du décollage (avant qu’Orion ne prenne le relais) n’est pas prêt: les installations matérielles seront prêtes à temps, mais le logiciel ne dispose plus que de 30 jours de réserve dans son calendrier jusqu’à… novembre 2018! C’est très peu. C’est pourquoi la NASA devrait prochainement (on évoque le mois de mai) annoncer un retard du vol EM-1, qui pourrait se monter à plusieurs mois. D’autre part si le projet un peu fou de valider un premier vol EM-1 habité restait sur la table, on pourrait retarder la SLS d’une année au moins: il y aurait des modifications énormes à appliquer.
Pour autant, la SLS progresse. Les travaux vont bon train… Le second étage et son moteur sont arrivés au Kennedy Space Center, les boosters seront probablement à l’heure, la tour de lancement a reçu ses premiers ombilicaux pour soutenir la fusée, le premier des quatre contrôleurs de vol a été validé lors d’un test moteur… D’ici l’été, le matériel du segment sol sera terminé et la tour devrait être amenée au moins une fois à l’intérieur du VAB avant l’assemblage. Lorsque cet assemblage rentrera définitivement dans les parois du VAB pour accueillir les premières pièces, alors on rentrera dans la dernière ligne droite.
La tour mobile de lancement de la SLS, avec la plate-forme de tir. Plus de 100m de haut!
Crédits NASA
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Vivement 2018 pour enfin voir (on l'espère) SpaceX et Boeing relancer la machine à rêves 🙂
Pour le programme SLS/Orion par contre, outre les retards prévisibles pour un projet de cette ampleur, ce qui est surtout inquiétant c'est l'absence d'objectifs clairs et d'un calendrier établi en conséquence. Aujourd'hui on n'est même plus sûr de ce que sera finalement le vol EM-1 et au-delà c'est encore plus flou (la mission Asteroid Redirect a été abandonnée il me semble).
Yes, la machine à rêves tourne à plein régime, malheureusement ce sont les vraies machines qui vont bien plus lentement 🙁
Concernant la SLS, c'est surtout les deux premières missions qui sont en question aujourd'hui. Pour le reste, la NASA dispose maintenant d'un plan, solide bien que discutable, et qui va encore être ajusté. Mais au moins, il existe:
http://fetspace.blogspot.fr/2017/03/nasa-le-plan-du-voyage-vers-mars.html
Quand à savoir si EM-1 sera finalement habité ou non, on devrait avoir des réponses avant l'été.