[Rocket lab] L’électron s’agite
RocketLab, que l’on devrait appeler « RocketLab USA » est en passe de devenir prochainement la nouvelle start-up du spatial à avoir réussi à faire décoller une fusée destinée à atteindre l’orbite basse. Tant de concurrents se sont cassés les dents sur des défis techniques, sur des ennuis judiciaires ou tout simplement sur la manne financière nécessaire pour monter l’infrastructure nécessaire. Pas Rocketlab. Les entreprises « classiques » tentent de maîtriser au mieux leur coûts en utilisant des pas de tirs inutilisés et loués aux grandes agences… Pas Rocketlab. Mêmes leurs clients sont optimistes: une semaine avant le premier tir de la fusée Electron, Spaceflight, qui est une plateforme destinée à réunir différents nano-satellites, a signé un contrat pour un lancement dédié. Décidément…
Ce qui est rigolo, c’est que la structure de transport et de lancement (le TEL) est à l’envers par rapport à ce que l’on voit habituellement. Le premier vol vise directement une orbite héliosynchrone.
Crédits RocketLab
Electron, trois mois sur site
Oui, le premier exemplaire de la fusée Electron est arrivé sur le site de lancement de la péninsule de Mahia (en Nouvelle-Zélande) le 16 février… Et la fenêtre de tir pour le premier décollage démarrera le 22 mai. Cela peut sembler énorme, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit de l’inauguration d’un nouveau pas de tir, avec tous les ennuis techniques que cela comporte. Même si Electron est bien plus petite que les fusées que nous avons l’habitude de regarder, les nécessités sont les mêmes au sol: radar de suivi, télémétrie, imagerie, segment sol pour les carburants, l’électricité, la protection électromagnétique, les prévisions météo, les sécurités, les procédures… Tout est neuf ici: le pas de tir, l’équipe qui s’occupe de la fusée, et le matériel volant aussi. C’est ce qui explique d’abord que les délais initiaux donnés par le patron Peter Beck (entrepreneur à peu près aussi dynamique que les autres grands patrons, mais beaucoup moins riche) n’aient rien eu à voir avec la réalité. Peter Beck affirmait tout de même vouloir voir Electron sur son pas de tir en décembre… 2015. A cette date, l’achat du terrain était tout juste validé! Mais la capacité de Rocketlab à s’accrocher au projet est exemplaire. Tout est privé ici, même si le gouvernement de Nouvelle-Zélande est tout à fait ravi de la tournure des événements et fait tout pour aider l’entreprise.
La sublime côte de Mahia, sur l’île du Sud, Nouvelle-Zélande. Crédits RocketLab
C’est grâce aux très nombreux contrats et à un marketing innovant (la plateforme de vente sur le net est « cash » et permet de réserver en 10 clics un emplacement pour un CubeSat) que Rocketlab a pu financer son développement… Mais aussi grâce à sa performance technique. Même si Electron est un petit lanceur, capable d’envoyer moins de 200kg en orbite basse, les tests et les campagnes de validation se sont déroulées en suivant les règles. Cela fait bien des mois que l’entreprise n’est plus tombée dans le piège des start-ups, à annoncer toujours plus avec des dates farfelues. En levant 75 millions de dollars en mars, RocketLab a suffisamment d’argent pour ses trois vols de tests auto-financés. Et ce sera important: l’entreprise n’est pas tout à fait certaine d’y arriver le 22 mai, même en mettant tous les ingrédients dans la recette. C’est bien pour cela que la première fusée a été nommée « It’s a Test »…
Au début je n’aimais pas le nom, mais il finit par se justifier tout seul. Pas très inspiré quand même (mais voté par les employés…) Crédits RocketLab
Electron, un lanceur très attendu
Electron ressemble à un missile balistique dans sa forme la plus pure, avec ses 17m de haut et 1,4m de diamètre. Le lanceur est très léger grâce à des éléments en carbone comme la coiffe ou le corps externe de la fusée, qui sont fabriqués chez Rocketlab et qui promettent d’être parmi les plus légers du marché. En emmenant une charge utile de 150kg environ en orbite SSO (héliosynchrone) à 500km d’altitude (y compris un étage supérieur qui fait office de « casier géant à CubeSats », l’entreprise répond à un besoin géant. Surtout que le prix du Cubesat est réduit entre 10 et 35000 dollars, ce qui est finalement à la portée de plusieurs universités pour des projets globaux, ou des start-ups qui veulent démontrer leurs concepts sans attendre des années pour voler en « objectif secondaire » d’un grand satellite ou bien via l’ISS. L’un des éléments les plus intéressants se trouve sous le capot: le moteur Rutherford est un peu inspiré du Merlin de chez SpaceX: il y en a 9 sur le premier étage, un seul adapté au vide sur le second étage. Mais surtout, il est intégralement constitué de pièces imprimées en 3D, ce qui est très impressionnant pour le niveau de performances attendues. Enfin, Rutherford est un moteur de fusée utilisant la turbocompression, mais se passe des turbos habituels qui utilisent soit une pré-combustion soit un gaz sous pression: la fusée embarque des batteries à forte capacité de décharge pour gérer la rotation des compresseurs.
Test d’un moteur Rutherford: le moteur brûle du Kérosène-oxygène surcompressé (mais pas super-refroidi). Crédits RocketLab
Rocketlab est (naturellement) très en retard sur son planning d’il y a quelques années, et croule comme une certaine entreprise américaine sous les contrats de lancements. Toutefois, Peter Beck s’est engagé à tester d’abord avec toute l’attention requise les performances de sa fusée: Electron devrait donc enchaîner trois vols avec à chaque fois des gains dus aux 20000 points de mesures vantés récemment, à la fois sur la vitesse, le flux des procédures au sol… Et les éventuels échecs au cours du vol. On ne prévoit pas trois tirs si on est certain de réussir le premier! Les opérations commerciales pourront démarrer une fois qu’Electron est validée, à la fois par le patron et par les autorités (la FIA américaine -l’entreprise est enregistrée aux USA- n’a donné son accord que pour les vols expérimentaux). Le lancement le plus attendu devrait avoir lieu avant la fin de l’année si tout se passe bien d’ici là, et encore ce sera court, mais il n’y a pas vraiment le choix: il s’agit de Moon Express, qui vise la réussite d’un potentiel atterrissage sur la lune, pour remporter le X-Prize!
Le centre de contrôle de Rocket Lab… qui n’a rien à envier à celui d’une grande agence!
Crédits Rocket Lab
Les dangers du premier tir
Les premiers tirs, ça fait frémir tout le monde dans le milieu. Il faut dire que la statistique n’est pas engageante: peu importe la taille du lanceur, il y a généralement une chance sur deux que le vol se plante. Vous ne me croyez pas? Revenez en arrière au mois de janvier, sur ce qui est pour l’instant le seul échec de 2017: la minuscule fusée japonaise SS-520 qui devait emmener un CubeSat en orbite… Le second étage n’a jamais démarré. En 2015 on se souvient du premier essai de Super Stripy qui était parti en rotation incontrôlée après 50 secondes de vol… Et les exemples se succèdent, jusqu’aux plus gros: la Delta IV Heavy qui n’avait pas le bon logiciel pour ses boosters auxiliaires, ou Ariane 5 ECA qui dévie de sa trajectoire! Les histoires de premier vol en seraient même un véritable frein à l’innovation. C’est là que Rocketlab a été malin avec ses trois vols de marge. Encore une fois, un exemple calqué sur SpaceX, puisque la firme d’Elon Musk avait précisément raté les premiers essais de sa première fusée, Falcon 1… A trois reprises.
La fenêtre de tir pour le lancement inaugural est ouverte sur dix jours, car l’entreprise anticipe un nombre sans doute significatif de petites erreurs techniques de dernières minutes. Crédits RocketLab
Alors, réussira, réussira pas? En plus de souhaiter bonne chance à la première fusée orbitale lancée depuis la Nouvelle-Zélande, on espère qu’il y aura une vidéo en direct: non seulement le site de lancement est absolument magnifique, mais les enjeux sont importants… Si RocketLab réussit son pari pour cette année, ce sont des dizaines de projets de par le monde, qui ont fait la même promesse (baisser les coûts de lancement, augmenter les cadences de tir, démocratiser l’accès à l’espace) qui vont souffrir d’un concurrent qui sera le premier établi. Peut-être même au point de « piquer » des contrats à la petite fusée indienne PSLV (105 satellites lors de son vol de février) ou à l’inverse, de rivaliser avec les russes, les ukrainiens et même les chinois pour les satellites de moins de 200kg.
A suivre!
La tension était maximale le jour du 3è lancement de la Falcon 1 depuis le petit atoll de Kwajalein….
Crédits SpaceX
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