[Iran] Simorgh en route pour l’orbite?
Pour un certain nombre d’entre vous, cela pourrait s’apparenter à une surprise, mais oui, l’Iran fait bel et bien partie des puissances mondiales capables d’envoyer des satellites en orbite depuis son sol. C’est une liste réduite, et l’Iran (en parallèle avec la Corée du Nord) y est généralement cité de façon anecdotique… Pour autant, les iraniens sont loin d’être ridicules, et la fusée qui a décollé vers l’orbite aujourd’hui en est un bon exemple: c’est déjà la seconde génération de fusées iraniennes, et ses performances ne sont pas négligeables.
UPDATE: L’US Space Command n’a pas trouvé de traces de satellite en orbite suite au tir. Reste donc deux solutions, soit il n’y en avait pas et c’était vraiment un lancement d’essais, soit il y a eu un raté sur l’un des étages supérieurs.
Vidéo du lancement de Simorgh
Premiers essais avec Safir
Les premiers essais vers l’orbite de fusées iraniennes ont collé les sueurs froides à tout le monde. Il faut dire que ces dernières étaient plus ou moins issues de recherches menées sur des missiles balistiques Scud russes. Comme en plus les iraniens ont démarré par un essai suborbital, avec une pré-version de Safir nommée Kavoshgar, le monde entier a renforcé les sanctions à l’époque, puisqu’il semblait que tout cela ne pouvait que mener au développement de missiles balistiques de très longue portée. Le premier tir réussi de Safir a eu lieu en 2008 avec un satellite qui n’a pas fonctionné ou bien une masse inerte, qui est restée en orbite très basse (autour de 250km) quelques jours. Entre temps, le programme a compté deux échecs et 4 réussites, dont la dernière en 2016 a permis d’embarquer Fajr, un satellite qui avait la capacité de manoeuvrer grâce à de petits propulseurs. Toutefois Safir est un lanceur limité à environ 50kg en orbite à 500 km d’altitude… Pas de quoi révolutionner le pays.
Voici Safir (derrière, en blanc). Crédits Wikipedia
Safir est aussi la base pour les quelques vols suborbitaux qu’a compté le programme spatial iranien entre 2010 et 2013, et qui ont emmené des animaux dans de petites capsules, dont un singe qui (miracle) a survécu au trajet et qui est naturellement devenu très médiatisé à son retour.
Les conditions du voyage de quelques dizaines de minutes pour le songe n’étaient pas irréprochables… Crédits Iran State
Simorgh, 3 tirs cette année?
Simorgh, c’est la fusée censée devenir la « vraie » fusée orbitale iranienne. Deux étages classiques, 27m de haut et une charge utile qui pourrait dépasser les 250 kg en orbite basse! Annoncée de longue date, la Simorgh n’a fait pour l’instant qu’un vol préparatoire, suborbital, en avril 2016. Le tir d’aujourd’hui était préparé de longue date et le fait que l’US Space Command n’ait pas détecté de satellite en orbite au final est assez mauvais signe, car le gouvernement iranien n’avait pas caché son intention d’envoyer jusqu’à 3 satellites expérimentaux en orbite grâce à ce nouveau lanceur cette année (ou pour être précis, jusqu’à la fin de l’année iranienne, qui se finit fin mars 2018). Les trois satellites s’appellent Sharif, Amirkabir et Nahid-1, et on peut raisonnablement supposer que Sharif était embarqué sur le vol d’aujourd’hui, présenté par les autorités comme un « test » du lanceur orbital. Toutefois, si déjà vous envoyez une fusée capable d’atteindre l’orbite basse, il est rare de ne rien mettre dedans. Sharif et Nahid-1 sont des satellites d’observation de la Terre, et il est toutefois possible que devant la possibilité d’un échec, l’agence spatiale iranienne ait refusé de courir le risque.
Au rythme actuel aussi, il est hautement improbable de voir trois tirs orbitaux en un an depuis le site de lancement iranien, l’Imam Khomeini Space Center. En effet, le budget alloué officiellement au programme spatial est dérisoire (sous les 10 millions d’euros) et les préparations d’un tir sont généralement visibles une large partie de l’année: les campagnes sont très longues, parfois hasardeuses. Et les résultats… Dépendants des autorités politiques. Si deux échecs de Safir sont admis, il y a toujours un doute sur un lancement raté en 2010, et le vol d’aujourd’hui est mis en doute. Test réussi d’une fusée de test « à vide » ou échec de la mise en orbite d’un satellite?
Simorgh en vol.
Crédits IRNA
Faut il craindre un programme balistique?
La question est de toutes façons évoquée à chaque tir iranien. Et Nord-Coréen aussi, même si pour ces derniers, l’objectif est avoué. Un lanceur orbital est-il la dernière étape avant un missile balistique de portée mondiale? La réponse risque de vous décevoir, parce qu’elle est ambigüe. Oui, un lanceur orbital a la capacité d’envoyer un vecteur de plusieurs centaines de kilos sur à peu près n’importe quel pays du monde. C’était d’ailleurs l’objectif avoué de plusieurs fusées des années 50 comme celle qui est devenue Soyouz, la R-7 soviétique. Mais le lanceur ne fait pas tout: ça ne résoud pas le problème essentiel à un missile nucléaire: sa rentrée dans l’atmosphère. Un véhicule de rentrée, ni l’Iran ni la Corée n’en ont un qui soit testé et en état de survivre pour le moment. De plus, dans le cas réel d’un conflit avec l’envoi de ce « gros » missile (pas très discret à mettre en oeuvre, en bonus), il n’est pas comme les saloperies que nous avons développé depuis 40 ans entre pays riches. Nous avons en effet des « têtes multiples » ce qui permet au missile une fois en trajectoire balistique de se séparer en 8, 10 ou même 16 ogives nucléaires qui vont plonger sur des cibles différentes.
La Simorgh sur son pas de tir.
Crédits IRNA
Toutefois, une seule démonstration et une déclaration d’intention suffisent. Si l’Iran montre demain une tête nucléaire à mettre sur une Simorgh, et quelques photos d’un coeur de plutonium, alors c’est un pays qui fera sa nouvelle entrée dans le club des puissances nucléaires militaires. Mais il faut savoir qu’en plus de mobiliser un site de lancement toute l’année (et c’est fragile, pas enterré), un missile nucléaire sur base d’une Simorgh ne serait pas très efficace. Il faut probablement des heures pour la remplir de carburant, puis prier pour que le tir soit un succès, compter sur des équipes au sol qui sont encore là pour le guidage… En plus des systèmes de défense modernes qui permettent à plusieurs pays dans le monde de détruire des cibles balistiques simples: les Etats-Unis ont fait cette démonstration il y a seulement quelques semaines. Et un programme nucléaire militaire, c’est ruineux à maintenir: même sans tenir compte des accords contraignants de l’UE et des USA, l’Iran a d’autres sujets militaires sur la planche, comme ses jets qui tiennent ensemble grâce à des lots de pièces qui ont 40 ans, des marins un peu nerveux et des capacités réduites pour cause de technologies obsolètes.
Lui non plus, n’a pas encore de missile nucléaire, et pourtant il a envoyé des satellites en orbite. Le jour où ils auront cette capacité, on en entendra parler… Crédits NK
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