[Astro] Des anneaux pour Haumea
Seulement 70 ans que l’homme a réussi à dépasser le mur du son (anniversaire aujourd’hui 14 octobre). 60 ans que le premier satellite artificiel a été envoyé en orbite. Quelques uns voudraient nous faire croire que l’âge d’or astronautique est terminé depuis plus de 30 ans. Si je m’acharne autant sur ce blog à vous expliquer l’inverse, c’est qu’il n’y a pas que les prouesses de l’ISS et les promesses d’Elon Musk. Au-delà des fusées, des satellites et des sondes pourtant extraordinaires qui ont, ces 20 dernières années absolument révolutionné notre vision du système solaire… On ne vit plus dans le même monde qu’à l’époque des pionniers. L’astronomie évolue chaque jour, plus vite même que l’exploration spatiale, et on lui doit une compréhension nouvelle de notre environnement. Mieux, on sait très bien qu’on a juste dévoilé un minuscule pan de l’univers qui nous entoure. Quelle découverte!
Tout ceci ne ressemble pas au système solaire qu’on vous a appris quand vous étiez gamin?
Astuce, quand vous étiez gamins, on ne les avait pas découvertes…
Crédits Hubblesite/Lexicon
Haumea, la découverte Rock’n Roll
Quand on y pense, 2004 était une extraordinaire année pour l’exploration spatiale (même si pour le coup, ce n’était pas vraiment l’esprit: l’humanité se remettait tout juste de l’accident de la navette Columbia). En janvier, le petit rover Opportunity se pose sur la surface de Mars, deux semaines après son jumeau Spirit. En juillet bien sûr, c’est le vaisseau Cassini qui entre en orbite de Saturne. Mais aussi à l’époque, Pluton est officiellement l’une des 9 planètes de notre système solaire. Si vous aimez la découverte astronomique d’ailleurs, les années 2003-2008 sont véritablement un trésor de sciences. Dirigées par Mike Brown depuis l’institut de Technologie de Californie (Caltech pour les intimes), des travaux pour trouver une dixième planète sont menés. L’objectif est de découvrir des TNO ou des KBO à l’aide de plusieurs séries d’observations télescopiques. Le 6 mai 2004, le télescope SMARTS fait ses relevés de recherche.
– Un TNO est un objet trans-neptunéen, c’est à dire que son orbite est elliptique et vient de temps en temps aussi proche du Soleil que l’orbite de Neptune. Pluton est un TNO.
– Un KBO est un objet qui orbite entre 30 et 55 unités astronomiques (son orbite est plus lointaine que celle de Neptune, on parle alors de la ceinture de Kuiper, ou Kuiper Belt).
Celle qu’on considère comme le plus extraordinaire TNO, parce qu’on le connait le mieux: Pluton. Approché pour la 1è fois en 2015! Crédits NASA/New Horizons/Caltech
Sauf que l’équipe de Brown, qui se retrouve avec une quantité pharaonique de données, va ramener une moisson de nouvelles découvertes qui vont changer notre appréhension du système solaire. Oui, rien que ça. En 2003, ils découvrent leurs premiers TNOs et publient un papier scientifique dessus. Mais ce ne sont pas des planètes, simplement des astéroïdes, de « simples rochers » ou blocs de glace qui orbitent si loin. Une nouvelle campagne a lieu en mai 2004 et lors de l’étude des résultats qui n’a lieu qu’en décembre juste au retour d’un petit congé de Noël, l’équipe découvre Haumea, surnommée alors « Santa ». Mais pour éviter de publier un article à chaque TNO, l’équipe la met « dans la pile » pour quelques mois, le temps de mieux comprendre aussi de quoi elle relève. C’est de là que naîtra une polémique, car un étudiant espagnol annonce la découverte d’un « large TNO » sans préciser qu’il a regardé les relevés de position de l’équipe de Brown avant de faire ses propres observations. Mike Brown et ses chercheurs sont trop occupés à l’époque, et publient un article qui fera date sur une planète naine qui va révolutionner le système solaire: Eris, le 29 juillet 2005.
La plus grande vue d’Eris et de sa petite lune Dysnomia, prise par le télescope Hubble.
Crédits Hubble/ESA/NASA
Eris est la planète naine qui va « déclasser » Pluton de son rang de planète majeure, et Mike Brown rentre dans la petite histoire de l’astronomie comme le « Pluto Killer ». Il en profitera même pour sortir un bouquin « Pourquoi j’ai tué Pluton, et pourquoi il l’a vu venir ». Bref, les planètes naines deviennent à la mode. Mais en 2005, juste après l’annonce de la découverte d’Eris, les scientifiques commencent à s’intéresser à 2003EL61, découverte par l’espagnol Jose Luis Ortiz Moreno. Au début, l’équipe de Brown ne veut pas réclamer la paternité de la découverte, et considère avec humilité qu’ils ont été battus sur le fil, trop occupés avec Eris pour réclamer la découverte de Haumea. Sauf que voilà, on découvre en août qu’Ortiz a examiné les relevés de Caltech pour annoncer son résultat. Il y a donc le doute que ce dernier ait observé Haumea et annoncé la nouveauté… La polémique éclate et rapidement, Ortiz avoue avoir utilisé les relevés, mais que ça n’avait pas de rapport avec la découverte. Résultat, on ne saura probablement jamais qui avait raison, et l’IAU (Union astronomique internationale) a gardé l’équipe espagnole pour la paternité car ils avaient l’antécédent de publication.
L’ensemble de télescopes SMARTS (Small and Medium Aperture Research Telescope Survey)
Crédits US National Optical Astronomy
Rassurez-vous, Caltech aura sa revanche, puisque le nom proposé par les espagnols, Ataecina, ne « colle » pas avec les guides de l’IAU pour ce corps céleste. C’est une équipe très liée à celle de Mike Brown qui propose Haumea, à laquelle on a entre temps trouvé deux petites lunes nommées Namaka et Hi’iaka (qui elles, sont attribuées directement à l’équipe de Brown). Vous pensez que la polémique s’est terminée ? Oui, mais en réalité, il y a un twist final, puisque l’Union Astronomique Internationale a baptisé cette planète naine Haumea (point Caltech), a gardé son identifiant original 2003EL61 (point Ortiz) et a gardé la case « attribution de la découverte »… Vide.
Orbites comparées de Pluton (en rouge) et Haumea par rapport au plan de l’écliptique et l’orbite de Neptune (en gris). Crédits Wikipedia
Haumea se dévoile avec plus de mystères!
Depuis 2005, Haumea est connue comme l’un des plus « bizarres » des planètes naines et des TNOs. Déjà, il y a sa forme. La petite planète naine tourne sur elle-même à une vitesse folle, avec une rotation toutes les quatre heures environ! Pour un corps de cette taille, c’est très rapide, ce qui explique qu’au cours du temps, puisqu’elle tourne si vite, sa forme se soit lentement aplatie : Haumea ressemble à un galet (un galet de plus de 2000km de long, cependant). Elle fait le tour du Soleil en 284 ans et sa masse est très faible, seulement un tiers de celle de Pluton environ. Mais Haumea, même si elle est très loin, réfléchit très bien la lumière du Soleil, ce qui fait qu’en réalité, on ne sait pas très bien de quoi elle est constituée. Les simulations ont montré que si c’était une planète de glace gelée, sa forme aurait été différente… Mais les roches typiques des TNOs de cette taille ne sont pas compatibles avec son albedo (le pourcentage de lumière qu’elle réfléchit). Bref, si on ajoute son inclinaison qui ne « colle pas » avec celle des autres planètes majeures du système solaire (elle ne pourra jamais être alignée avec 2 autres corps célestes du coin), le fait que ses lunes n’ont pas du tout les mêmes caractéristiques de réflexion… Haumea est bizarre. Et sa rotation super-rapide complique tout.
Vue d’artiste de Haumea, sans ses lunes, ni la nouvelle découverte….
Et vous vous souvenez de Jose Luis Ortiz? L’astronome n’a pas lâché l’affaire sur Haumea, qui le passionne. Il a organisé le 21 janvier 2017 une campagne à l’échelle de toute l’Europe pour observer cet étrange TNO. Il faut dire que pour cette fois, Haumea passait entre nous et une étoile connue: on a donc pu réaliser des mesures par occultation, ce qui est particulièrement intéressant quand on connait bien les propriétés de l’étoile qui est derrière: toute variation est causée par l’objet qui passe entre nous et elle. Et là, l’équipe à Ortiz a touché le jackpot: Haumea qui était déjà étrange, rentre dans une catégorie nouvelle: elle a un anneau!
Oui, un anneau (mais pas celui pour les gouverner tous). Ces dernières décennies on avait découvert qu’en plus de Saturne, Jupiter, Neptune et Uranus avaient aussi des anneaux, mais ce n’est pas tout, puisque des objets beaucoup plus petits ont pu hériter de cette caractéristique si particulière. Haumea est cependant la première planète naine, qui plus est première TNO avec un anneau. Il aura fallu pour cela 12 télescopes répartis dans 10 centres d’observation européens pour y arriver (et donc de décortiquer une autre montagne de données). Grâce à l’occultation, on sait que cet anneau ne tourne pas à la même vitesse que Haumea (mais trois fois plus lentement)… Ce qui rajoute à l’intérêt de ce TNO.
Petite animation qui vous montre Haumea et son anneau… Mais ce sont des vues d’artiste, on ne sait bien sûr pas du tout à quoi ça ressemble en « vrai ».
Si on est pas prêts d’envoyer un vaisseau étudier Haumea (il lui faudrait environ 15 ans de trajet, en partant en 2025 car cette année là permet une mini-fenêtre favorable), cela souligne que les découvertes, au sein même de notre système solaire, n’ont pas fini de fleurir. Le duel Ortiz-Brown (qui ne s’aiment toujours pas beaucoup), n’est pas terminé! Rappelez-vous bien qu’on n’en est qu’au début de cette exploration, qui pour le coup a encore tout à nous dévoiler. De quoi est faite Haumea? On ne sait pas. Pourquoi elle tourne aussi vite? On ne sait pas. Mais tout ça est passionnant et les astronomes ne baisseront pas les bras pour chercher les réponses. Soutenons-les, il y a tout à apprendre.
Mike Brown, le « Pluto Killer ».
Crédits Amazon.
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