Space is Hard. Comme toujours, la maxime paraît un peu vide de sens, quelques heures après un échec. Qui plus est, un gros revers. Car il y a les vols risqués, ceux qui sont anticipés, comme l’inauguration d’un nouveau lanceur (RocketLab et les japonais de la SS-520 le savent bien). Mais l’échec peut aussi venir d’une erreur commune, d’un petit rien qui vient gripper une machine performante et fiable. C’est arrivé à PSLV en septembre : la coiffe ne s’est pas détachée. Et c’est arrivé ce matin suite au décollage du satellite Meteor M2-1 et de 17 co-passagers sur Soyouz: c’est un échec total, aucun de ces satellites n’a atteint l’orbite.
Le replay du lancement. Ou du moins, de la partie « saine » du lancement.
Que s’est il donc passé?
A 6h41 (Paris) ce matin, la Soyouz 2.1B, le modèle « musclé » de l’iconique fusée russe, décolle du pas de tir de Vostochny. C’est un lancement très attendu, parce que le site de Vostochny, que l’on présente comme un futur remplacement de Baïkonour, n’avait pour l’instant connu qu’un seul lancement, celui du satellite d’observation Lomonosov (et co-passagers) en avril 2016. Il s’agissait donc avec le tir du satellite météorologique Meteor M2-1 de « débloquer » le compteur de Vostochny, situé en sibérie orientale, près de la frontière avec la Chine. Souhaité par Poutine et donc très soutenu politiquement, le site est une vitrine du savoir faire russe. Bref. En configuration 2.1B, Soyouz embarque ici un étage supérieur Fregat, avec le lourd satellite Meteor M2-1 (2,75 tonnes) mais aussi 18 satellites « objectifs secondaires ». Attachés sur Fregat, ces micros et nanosatellites font différentes masses (de 86 à 3kg) et tailles. Le lancement a un profil un peu complexe mais pas inhabituel: la fusée part sur une trajectoire polaire (vers le pôle Nord, donc) et vise d’abord grâce à Fregat une orbite à 788 x 828km pour larguer le satellite météorologique. Puis Fregat rallume plusieurs fois ses moteurs pour des orbites plus basses pour larguer les autres satellites (5 allumages en tout). C’est la première fois qu’une Soyouz 2.1B décolle de Vostochny, et la première fois aussi pour un étage supérieur Fregat. Mais techniquement ça ne change pas grand chose à un lancement depuis Plesetsk, le site proche de Moscou.
Le décollage depuis Vostochny. Cette séquence du vol en tout cas ne varie pas de ce qu’on a pu observer à Plesetsk, Baïkonour ou Kourou! Crédits Roscosmos/Tsenki
Donc la fusée a décollé, avec succès d’ailleurs. La séparation des boosters auxiliaires est constatée, puis le second étage se comporte comme prévu. La coiffe est larguée sans aucun problème et le troisième étage fonctionne comme sur le plan de vol. Cela, on le sait assez vite, parce que les stations au sol reçoivent la télémétrie depuis la fusée sur le territoire russe. Mais une fois Fregat séparée, c’est plus complexe. Déjà pour la diffusion en direct, on n’en sait pas plus: il n’y a pas de suivi « en temps réel » de la mission. Mais pour les équipes au sol aussi c’est difficile. Fregat n’est apparemment pas équipée pour transmettre ses données de télémétrie au satellites Luch ou Garpun en orbite géostationnaire. Et d’ailleurs ça n’y changerait pas grand chose puisque selon ce qu’on lit sur les forums, l’étage supérieur russe n’est pas équipé pour recevoir des modifications de trajectoire au cours de sa mission. Ce n’est finalement pas nécessaire: sur un vol orbital, soit tout se passe bien, soit très mal. En l’occurrence, c’est le second cas… Lorsque les vaisseaux sont censés survoler à nouveau les stations de contrôle russes, il n’y a rien sur les ondes. Un premier communiqué est émis: l’étage n’a pas été détecté à la bonne altitude, ni aucun des satellites. Puis le temps passe et toutes les deux heures, les stations « scannent » le ciel. Rien. Il faut se rendre à l’évidence: le vol est un échec et aucun des satellites n’a pu atteindre l’orbite.
Lorsque les températures sont trop largement négatives, une protection thermique est placée sur la coiffe de Soyouz, histoire que les conditions soient uniformes et contrôlées. Crédits Roscosmos
Pour l’instant, tout semble donc incriminer l’étage supérieur Fregat, lors de sa toute première séquence de vol: si elle avait été réussie, l’ensemble aurait été sur une orbite préliminaire basse. Un rapport Interfax citant une source anonyme a rapidement accusé une erreur humaine, qui laisse supposer que suite à une mauvaise commande dans le logiciel de vol, le moteur aurait accéléré dans la mauvaise direction, renvoyant l’étage vers l’océan Atlantique plutôt que vers l’orbite. Même si cela paraît un peu gros à la première lecture, on peut se souvenir que des erreurs parfois idiotes ont causé des échecs de lancement. La référence étant le fameux accéléromètre intégré à l’envers sur un étage de Proton (la fusée avait fait un salto arrière). D’autre part, un pilote de long courrier a posté un message sur le forum Nasaspaceflight qui laisse supposer que son équipage et que plusieurs autres avions dans la région ont vu une trace brûlante dans l’atmosphère qui correspondrait à une rentrée de l’étage supérieur, vers 7h du matin (Paris). Et finalement, ça colle bien avec l’horaire. On attendra une confirmation officielle dans les jours/semaine/mois à venir, mais il est possible que le public n’aie pas le fin mot de l’histoire: ce genre de drame finit parfois par fuiter mais l’opacité est de mise.
On voit bien ici les différents éléments de la dernière phase du vol. En rouge le satellite Meteor M2-1, en doré l’étage supérieur Fregat, et sur sa circonférence, les différents satellites parés à être éjectés.
Crédits Roscosmos
Conséquences immédiates: les satellites
Première conséquence dont vous vous doutez bien: Meteor M2-1 n’est pas en orbite. Il manque donc un satellite météorologique en orbite basse polaire à la Russie. Le système Meteor tel qu’initialement imaginé devait compter à tout moment trois unités, mais le programme a pris beaucoup de retard, et le premier satellite Meteor M1 n’émet plus grand chose depuis 2014. Meteor M-2 est en orbite depuis la même année, et le M2-1 devait venir l’aider à cartographier les glaces dans le Nord de la Russie, à faire les relevés d’ozone ainsi qu’à prévoir la météo en orbite basse comme le font ses collègues internationaux lancés ce mois-ci, Fengyun et JPSS. Le satellite était assuré à hauteur de 41 millions de dollars, ce qui ne couvre sans doute pas toute sa valeur, ni la perte de capacités. Au niveau satellites, c’est pire pour la majorité des clients qui faisaient le voyage avec Meteor M2-1. On peut citer les étudiants malheureux de l’université technique Bauman de Moscou. Leur satellite Baumanets 1 avait déjà subi une terrible malchance en décollant sur Dnepr en juillet 2006 (échec au décollage), et le vol de ce matin embarquait la seconde itération, Baumanets 2…
Voici Telesat-LEO , qui devait tester une solution de connectivité globale à bas coûts dès cet hiver. Crédits Telesat
De la même façon, il y avait dans les 18 co-satellites le premier exemplaire de la constellation de connectivité en orbite basse Telesat, qui devrait être constituée de 117 satellites au total. Pas de chance pour démarrer la série! Un second exemplaire devrait toutefois décoller avant la fin de l’année sur le vol de retour de PSLV en décembre. Pire, il y avait le micro-satellite vraiment très intéressant de l’entreprise japonaise Astroscale. Petite équipe très motivée, Astroscale souhaite s’attaquer au problème des débris en orbite. Je les ai rencontré en 2015 au Salon du Bourget et ce sont des gens qui ont une envie d’enfer! Leur satellite IDEA-OSG 1 devait opérer durant deux ans en orbite basse à 600 km d’altitude et montrer que l’entreprise avait les moyens de cartographier avec précision les débris de moins de 10cm de long dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Cela devait permettre une nouvelle base de travail pour les futurs satellites aidant à désorbiter, mais aussi à défricher les recherches sur les micro-débris en orbite basse. On pense aussi aux équipes du satellite norvégien, au satellite suédois et aux dix CubeSats qui devaient aider à compléter la couverture globale de l’opérateur Spire. Un CubeSat allemand et deux petits satellites américains viennent compléter ce triste tableau.
Et voici à quoi devait ressembler Baumanets 2, réalisé durant 6 ans grâce à des étudiants de l’université moscovite du même nom. Crédits Baumanets Team
Conséquences à moyen terme: encore un échec!
Eh oui, c’est le 4è échec de Soyouz en 4 ans! Plus encore, depuis 2009, 15 échecs et 4 échecs partiels sont venus ternir le tableau russe, qui n’est pas resplendissant. Même s’il y a quasiment un accident par an, les erreurs sont rarement les mêmes, ce qui laisse supposer des problèmes assez globaux avec le contrôle qualité, les vérifications avant lancement et/ou la fabrication des éléments des lanceurs. Fregat (si c’est bien la cause de l’échec) a déjà été mis en cause par le passé, mais pas pour son logiciel de vol: en 2014 un capteur perturbé envoie les deux premiers satellites Galileo opérationnels sur la mauvaise orbite. Et en 2011, un Fregat modifié échoue à emmener l’ambitieuse mission Phobos-Grunt vers l’orbite martienne. Bref, en première conséquence, il est à prévoir que tous les lancements à venir avec cet étage supérieur soient retardés. A commencer par le prochain vol prévu à Vostochny, une Soyouz 2.1A avec Fregat, qui devait envoyer deux satellites d’observation Kanopus… Mais aussi la fusée Zenit (eh oui, telle une zombie, Zenit est revenue) avec le satellite africain Angosat, qui elle aussi devait embarquer un Fregat. Par chance, les vols à destination de l’ISS ne seront probablement pas affectés, sauf si l’enquête s’oriente vers un défaut lors du détachement du troisième étage.
Les dernières secondes auxquelles on a vraiment « vu » Soyouz s’envoler de Vostochny.
Crédits Roscosmos
Toutefois malgré ces échecs, il est peu probable que Soyouz soit remise en cause sur le long terme. Aucun des crash précédents n’a eu d’écho très longtemps: l’erreur est corrigée et les équipes passent à autre chose. Et c’est peut-être la source du problème: d’ici quelques mois ce sera peut-être quelque chose d’autre qui ira de travers, et le processus continuera de tourner en rond. Les lanceurs russes que l’on croit immuables font cette ronde depuis longtemps maintenant, et ce qu’on observe est très simple: dans les secteurs pour lesquels ils ne sont pas vraiment concurrencés à l’international, les lanceurs russes continuent sur leur course. En témoigne la véritable collection de lancements de Soyouz à venir pour l’opérateur OneWeb, ainsi que pour les tirs étatiques russes de ces prochaines années. Seule Proton, très impactée à l’international, n’arrive plus à suivre ses concurrentes. La conséquence logique, c’est qu’il faudrait augmenter le niveau des tests et des vérifications sur Soyouz pour éviter que le rythme actuel d’une catastrophe par an ne perdure. Nul doute que le responsable du drame d’hier (ou un sous-traitant) sera envoyé en Sibérie pour avoir mal bossé. Mais bon autant les envoyer directement à Vostochny, c’est en Sibérie.
Elle reviendra, oui, mais quand? Crédits Roscosmos
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