[Chine] La CZ-3B pour un tir commercial
Ce dimanche, la Chine a réussi son 16è vol orbital de l’année. Une accélération automne-hiver que l’on constate tous les ans dans le pays, et qui est même assez mesurée cette année (on sera loin des 22 tirs orbitaux de 2016). Mais plus qu’un « simple » tir de la CZ-3B, qui est la fusée la plus utilisée dans le pays, pratiquement la seule option pour les lancements vers l’orbite géostationnaire, c’est le client qui est intéressant. Car ce n’était pas un décollage étatique comme d’habitude. Non, c’était un lancement commercial, pour le compte d’une autre nation, l’Algérie.
Malheureusement les images du tir ne sont pas légion…
Crédits Xinhua
De discrets lancements commerciaux
Avec la bataille entre les « grands » fournisseurs de services comme SpaceX et Arianespace, on en viendrait à oublier que certains acteurs plus ou moins discrets engrangent des contrats. Les Chinois sont plus actifs que ce que vous pensez sur ce créneau, et offrent la plupart du temps un package complet: construction du satellite, intégration en Chine, lancement et assurance. Un gain de temps pour des clients qui cherchent un service peu cher, disponible (avec les cadences de lancement chinoises, le client a beaucoup de liberté) et aux petits soins. Si peu de firmes privées, même asiatiques, ont sauté le pas, ce n’est pas le cas des états. En octobre, le satellite vénézuélien VRSS-2 était lancé en orbite basse sur une CZ-2D. Cette fois, c’est une CZ-3B qui a décollé de Xichang à 17h41 (Paris) pour l’orbite de transfert géostationnaire, avec le satellite Alcomsat-1 de l’agence spatiale algérienne. Pour la Chine, c’est un plus bienvenu dans l’année. Pour les concurrents, c’est une épine dans leur flancs.
Décollage d’Alcomsat, 1er satellite de communication étatique algérien.
Crédits Xinhua
En effet, les services commerciaux de la Chine ne sont pas encore totalement déployés. On ne peut pas dire que le pays brille par sa transparence, et nombreux parmi les opérateurs privés craignent les effets de copie, le détournement de données au profit de la Chine, ou tout simplement les échecs de lanceurs (en un an sur 2016-2017, rappelons que le pays a souffert de 4 échecs dont deux partiels). Mais en même temps qu’elle pousse le lent développement de ses fusées de nouvelle génération, les capacités commerciales s’étendent. Jusqu’à atteindre le statut de 3è pays commercial? Pour rappel, les russes de chez ILS-Proton n’ont reçu aucune commande cette année…
La CZ-3B dans la version lancée aujourd’hui était « classique », avec quatre boosters liquides pour assurer un décollage et un gain de vitesse initial rapide, un premier étage et un second étage qui utilisent tous un carburant hautement dangereux -les gaz sont toxiques- et polluants (diméthylhydrazine/Tétroxyde d’azote). Le troisième étage est cryogénique et utilise son moteur hydrogène/oxygène pour embarquer le satellite vers sa trajectoire elliptique GTO. A remarquer que la fusée peut embarquer un étage supérieur à longue durée de vie, mais ce n’était pas le cas aujourd’hui.
L’une des images présentées dans les presses chinoises et algériennes comme le satellite Alcomsat-1.
Crédits Algérie Presse Service
Alcomsat-1, un atout gouvernemental
Vous ne connaissez peut-être pas l’ASAL, l’agence spatiale algérienne? Eh bien sachez qu’elle est active depuis 2002, à l’occasion du lancement du premier des 6 satellites algériens à être allés en orbite ces quinze dernières années. Toutefois, on n’est pas sur un programme de hautes capacités: les Alsat ont tous été placés en orbite basse sur des fusées russes et surtout indiennes PSLV, ce sont des microsatellites, qui pèsent jusqu’à 117kg pour le plus imposant d’entre eux, Alsat-2A, qui dispose d’une caméra à moyenne résolution destinée à l’observation optique. Toutefois, on peut citer de beaux progrès: Alsat-2B par exemple, fut assemblé à Oran. Le nouveau satellite Alcomsat-1 n’a donc pas grand chose à voir… C’est un satellite de télécommunication aux usages multiples: une partie de ses transpondeurs seront utilisés pour la télévision publique algérienne et la connectivité des zones reculées, une autre pour gérer les communications de l’armée et des services d’urgence. Un instrument puissant donc, avec un impact direct sur la vie des algériens? Pas certain. Enfin, cela pourrait profiter au gouvernement, qui n’en doutons pas en profitera pour augmenter ses infrastructures, ouvrir l’accès au net à développer les communications d’urgences.
Oui alors c’est pas la grosse ambiance, mais c’est quand même un succès.
Crédits Xinhua
Remarquons aussi le silence autour de ce lancement: quand le Maroc lance son satellite « espion » pour observer ses terrains et ses frontières, l’Algérie se lance dans les cris d’orfraie. Mais quand l’Algérie se dote d’un satellite dont une composante majeure est la communication cryptée pour son armée, peu de voix s’élèvent… Ce qui est certain, c’est que la situation parfois tendue entre les deux voisins ne va pas s’améliorer à coup de satellites! Dommage…
Et puis il y a les critiques étrangères. Quand une fusée européenne emmène un satellite marocain, certains se plaignent d’ingérence, de relents de colonisation, de supports… Et quand les algériens envoient un satellite grâce à la Chine, d’autres se plaignent qu’avec le bagage du pays, ils auraient pu choisir Ariane… et si on les laissait décider? Crédits ESA/CNES/CSG
Quand 2017 est ratée, il faut penser à la suite!
La Chine souffre tout de même d’une année 2017 en demi-teinte. Seul le programme habité est celui qui a récolté tous les lauriers: même si aucun taïkonaute n’a quitté le sol, le cargo automatisé Tianzhou fut le succès attendu, et débloque la voie pour la prochaine itération de station chinoise Tiangong. Le programme Chang’e d’exploration lunaire est bloqué à cause de la fusée lourde CZ-5 qui doit bientôt reprendre une campagne de vol, avec un satellite de communication pour tenter d’annuler son échec de juillet 2017. Et sur le plan commercial, malgré des efforts de développement, cela reste assez calme. Mais ça bouge. Les différents échecs ont sans doute joué sur les procédures et on sent un retour au vol à la fois prudent et impatient: le pays a toujours d’énormes besoins spatiaux, comme le déploiement de Beidou par exemple. Plus étonnant, le remplacement des anciennes générations de fusée (CZ-2, 3, 4) ne semble pas vraiment sur la table: les programmes de leurs remplaçants à carburants « propres » et optimisés pour différentes familles de satellites sont pourtant en activité. Une période de transition qui s’avère plus longue que prévue initialement. En témoigne la CZ-8, la remplaçante commerciale de la CZ-3B, qui ne serait prête que pour 2020… Malgré un premier essai en 2018? Nous verrons.
La CZ-6. Deux lancements, deux succès… Mais si la Chine veut remplacer une partie des CZ-2/4 avec, il faut hausser la cadence! Crédits Xinhua
Mais dans une année creuse, on en profite pour faire des plans, et les communiquer. C’est ainsi qu’en plus des confirmations d’usage sur les programmes à venir (dont la fusée « lourde » CZ-9 pour 2030), habités ou non, on trouve quelques nouvelles perles. Notamment l’extension du programme d’utilisation de combustible nucléaire pour les vaisseaux inhabités, la recherche sur la propulsion par fission (qui connait un regain dans le monde entier mais pas d’excitation, c’est du très long terme). On peut relever aussi un « avion spatial » qui devrait faire une première apparition en 2025. Cela peut faire sourire quand on connait les agendas des différentes agences, mais il ne faudrait pas rigoler trop vite, puisque la Chine dispose déjà aujourd’hui d’un programme très convainquant de capsules et vaisseaux hypervéloces (rentrées atmosphériques, matériaux, missiles planeurs à mach 5-7…). Enfin, à plus court terme, on peut noter le réveil vis à vis des lanceurs réutilisables. Non seulement la start-up chinoise LinkSpace tente de mettre au point son lanceur de faible capacité réutilisable, mais les grandes agences gouvernementales comme la CAST étudient aussi le sujet: une CZ-4B devrait être équipée de grilles d’orientation et faire quelques tests de rentrée atmosphérique. Et dès 2020, on nous annonce une CZ-6 possiblement réutilisable, avec des essais de récupération. Malgré une année 2017 en demi-teinte, ce ne sont donc pas les perspectives qui manquent…
Les ambitions de Link Space…
Crédits Spaceflightinsider
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