C’est peut-être le principe physique le plus contre-intuitif qui puisse exister: dans le vide, deux objets de masses différentes, de tailles différentes et de densités différentes soumis uniquement à l’attraction gravitationnelle tombent à la même vitesse. Cela ne vous semble pas étrange? Et si je vous dis que dans le vide, une plume tombe aussi vite au sol qu’une boule de billard… Hum, ça fait réfléchir, non? Pourtant c’est une expérience qui a été répliquée sur la surface de la Lune, David Scott lâche une plume et un marteau, et l’on voit les deux objets tomber en même temps. Plus récemment, Brian Cox a filmé le phénomène pour la BBC dans la chambre à vide de l’un des centres de la NASA, et là encore, je vous laisse observer le résultat:
Fascinant, non?
Ce phénomène physique, on l’appelle le Principe d’équivalence. Il y a deux principes en réalité, mais celui formulé par Einstein (dit aussi principe « fort ») englobe le premier. La formulation peut être assez simple: les effets d’un champ gravitationnel sont identiques aux effets d’une accélération sur le référentiel de l’observateur (répétez la phrase, ça va venir). Einstein s’en sert de base pour sa théorie de la relativité générale, car c’est là que le principe devient révolutionnaire. Il considère en effet que les constantes que sont l’espace et le temps dans les équations « classiques » dépendent de ce fameux référentiel de l’observateur. Comme le champ gravitationnel accélère ce référentiel…
La gravitation n’est plus considérée comme une force exercée d’un objet vers un autre, mais comme une déformation de la structure de l’espace-temps.
BREF. Mais ce n’est pas terminé. La relativité générale, c’est très bien… Mais il y a comme un souci.
(attention, un champ gravitationnel n’est pas un filet d’accrobranche non plus).
Eh oui en effet, il y a la physique des particules. La physique des particules a généré au cours du 20è siècle ce qu’on appelle le « Modèle Standard ». Cauchemar de l’étudiant de licence, le modèle associe l’électromagnétisme et les interactions nucléaires (faibles et fortes) dans un ensemble cohérent. L’idée est avant tout de comprendre comment ces trois forces peuvent interagir entre elles, et se base pour ça sur la mécanique quantique. Si le Modèle Standard est la base d’un nombre incroyable de théories et de découvertes (comme le plus connu de ces dernières années, le Boson de Higgs), il s’applique à l’infiniment petit, aux fondements mêmes de la matière, à sa cohérence. Plus les découvertes progressent, plus il est beau, plus il explique en profondeur comment sont constituées les particules, comment elles évoluent, comment elles interagissent.
MAIS. Bon, vous le voyez venir, il y a un gros MAIS.
La physique des particules et son Modèle Standard ne « collent pas » bien avec la relativité générale. C’est le choc de l’observable et du quantiquement petit. Faire cohabiter Modèle Standard et Relativité Générale sur la même ligne d’une publication, c’est le Graal de la physique. Parce que partant de là, vous liez les 4 « forces » fondamentales: Electromagnétisme, intéractions nucléaires (faibles et fortes) et gravitation. Et que fait-on quand ça ne colle pas? Plutôt que de faire comme Jean-Michel Platiste, on ne fiche pas tout à poubelle. On cherche des terrains sur lesquels l’un ou l’autre des deux grands modèles ne peut s’appliquer. Par exemple, qui sait si le principe d’équivalence, la base de la relativité, est encore observable à de très grandes précisions/ à de très petites échelles?
C’est un postulat intéressant. Parce que si le principe d’équivalence ne fonctionne pas à de très petites échelles, alors on peut commencer à faire des ponts avec la physique des particules (et c’est à le vrai Graal: disposer d’un modèle général physique qui régit à peu près tout l’univers, c’est à dire qu’on aurait la réponse à tous les « pourquoi » que votre neveu de 4 ans vous pose en continu).
Décollage de Soyouz VS-14. A l’intérieur, un satellite expérimental français, MICROSCOPE…
Crédits Arianespace
Coup de pas de chance, Einstein est toujours là (enfin, façon de parler)! Le satellite français MICROSCOPE vient de publier les résultats de sa première année d’études, et il vérifie le principe d’équivalence avec une précision pour l’instant totalement inédite de 2*10^-14 fois la gravitation terrestre (G)! Cette vérification physique, qui n’avait pu dépasser un degré de 10^-13 est donc très importante: elle ajoute un degré supplémentaire de précision pour lequel le principe d’équivalence continue de s’appliquer. A l’avenir, les scientifiques du CNES et de l’ONERA espèrent arriver à 10^-15G, soit une précision 100 fois augmentée en deux ans de travaux en orbite.
Le principe de MICROSCOPE est simple, sur le papier: deux masses différentes sont « lâchées », et le vaisseau s’assure qu’elles ne sont pas perturbées par des paramètres tels que les vents solaires, les particules atmosphériques, etc. Elles sont donc en chute libre non perturbée, pendant très longtemps. Si le principe d’équivalence était faux à de très petites échelles, on finirait par observer les deux masses se décaler, très lentement. Mais ici, ça n’a pas été le cas. Les conséquences ne sont pas révolutionnaires, mais les théories qui essaient de lier les grands modèles de la physique des particules avec celui de la Relativité Générale (comme celle dont vous avez au moins entendu parler, la String Theory ou théorie des cordes) vont devoir adapter et préciser leurs champs d’application. Qui sait en effet si le principe d’équivalence fonctionne toujours à 10 puissance -17 G? Entre temps, les travaux de MICROSCOPE feront référence…
Vue d’artiste de MICROSCOPE en orbite. Petit… Mais costaud!
Crédits CNES
Bonne nouvelle en plus, ces résultats ont été obtenus en analysant seulement 10% des données obtenues sur 1900 orbites utiles (soit quand même une chute de 85 millions de kilomètres). MICROSCOPE est un satellite français, conçu et mis en oeuvre par le CNES (avec la participation de l’ONERA pour ses deux accéléromètres de super-précision). Le vaisseau a décollé en avril 2016, en profitant du lancement de Soyouz à Kourou, dédié à Sentinel-1B. Une bonne opportunité pour ce satellite de 300kg, en orbite circulaire à 712km d’altitude… En tant que plateforme expérimentale, MICROSCOPE dispose de plusieurs éléments spécifiques, comme des propulseurs d’attitude à gaz froids (plutôt que de l’hydrazine) pour une précision dans le positionnement inégalée (sauf peut-être sur une autre réussite, européenne cette fois, LISA-Pathfinder). Vous l’aurez compris, la mission n’est pas terminée, et les deux masses au sein de MICROSCOPE, l’une en alliage platine-rhodium, l’autre en titane, vont continuer leur chute libre encore au moins une année (ironiquement, il y a une troisième masse dont on ne parle jamais dans le satellite, sur un second accéléromètre, qui sert de témoin, elle aussi en platine-rhodium). Il faudra ensuite que les résultats soient classés, décortiqués, et enfin publiés pour prouver encore un degré supplémentaire de précision. A remarquer qu’il sera difficile de faire mieux à l’avenir, mais que pour s’attaquer directement au phénomènes entre la physique des particules et le principe d’équivalence, une expérience consisterait à l’éjection en orbite de deux atomes différents en chute libre. Ce sera très délicat mais tout ça… C’est pour la prochaine décennie! Et d’ici là, Einstein doit bien rigoler: les ondes gravitationnelles l’année dernière, le principe d’équivalence cette année…
MICROSCOPE dans les ateliers du CNES, en 2015.
Crédits Emmanuel Grumault/AFP
Du principe d’équivalence découlera la théorie de la relativité générale selon laquelle la gravitation n’est plus une force qui s’exerce depuis un objet vers un autre, mais une déformation de la structure même de l’espace-temps !
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