[Arianespace] La fête, avant la transition
Les pays européens parlent beaucoup d’Arianespace. Trop souvent pour comparer Ariane et Falcon 9, malheureusement. Bien entendu, c’est un duel qu’on peut difficilement nier, SpaceX est devenu le concurrent majeur. Il serait toutefois bien réducteur de considérer l’entreprise basée à Evry sous cet angle uniquement. Alors que Stéphane Israël a fait le bilan la semaine passée, il est temps de se demander comment se présentent les trois années à venir. Et la réponse, malgré le catastrophisme de certains articles de presse, pourrait vous surprendre: sur le plan opérationnel, la période à venir se présente très, très bien.
Ariane 5 reste la « signature » la plus connue d’Arianespace, l’emblème des lanceurs européens pour l’instant. Crédits Arianespace/ESA/CNES/CSG
5 milliards de lancements en réserve!
Le carnet de commandes, c’est à dire l’ensemble des contrats pour des lancements de satellites encore à effectuer pour Arianespace à ce jour, dépasse les 5 milliards d’euros. Un chiffre d’autant plus impressionnant que juste en 2017, ce sont pour plus d’un milliard d’euros de contrats qui ont été signés, avec 19 commandes pour Ariane 5, 6, Vega (et Vega C), ainsi que Soyouz. De quoi faire taire les remarques de ceux qui annonçaient une entreprise de moins en moins compétitive? La réalité est certes, un petit peu plus complexe. L’année dernière, ni ULA ni ILS Proton n’ont signé de nouveaux contrats commerciaux classiques à ma connaissance: Arianespace et SpaceX se taillent « la part du lion », avec le nouvel acteur, Blue Origin en embuscade. Les opérateurs de satellites, aussi pour les constellations à venir, ont besoin de diversification… Ils ont donc pour la plupart un portefeuille qu’ils diversifient entre les lancements peu chers de SpaceX (parfois avec beaucoup de retards) et les décollages souvent « Premium » d’Arianespace, dont la fiabilité éprouvée et le respect des dates sont de gros atouts.
Record sur VA 237 l’année dernière, 10,8 tonnes (2 satellites + le SYLDA) envoyés en orbite GTO.
Crédits Arianespace
2017 fut donc une année exemplaire pour Arianespace, qui totalise maintenant 30 satellites à lancer en orbite géostationnaire, et 58 lancements sur son planning, qui s’étalent bien après 2020 et la future entrée en service d’Ariane 6. A la surprise générale, l’entreprise a annoncé viser 14 décollages sous sa gouvernance cette année, dont 6 lancements d’Ariane 5, 4 pour Vega et 4 de plus pour Soyouz. Une surprise et une bonne nouvelle: les équipes seraient donc prêtes pour supporter une telle cadence? Rappelons que depuis 2014, Arianespace lance 11 fusées par an, avec généralement un objectif de 12 tirs… Toutefois la maturité des programmes aidant, si les décollages sont espacés et qu’une nouvelle grève générale n’éclate pas cette année (selon certains échos, la situation sur place n’a pas beaucoup bougé…), ça devrait être possible. En tout cas, le challenge est à la hauteur du carnet de commandes! Bonus, la marque franco-européenne n’a pas perdu sa crédibilité commerciale en engrangeant des contrats étatiques seulement: 2/3 de la valeur du pléthorique carnet de signatures est issue d’acteurs non étatiques.
La fiabilité est aussi au rendez-vous sur Vega, qui fait un parcours « sans faute » avec 11 lancements réussis. Crédits ESA/CNES/CSG
Penser à la transition: les derniers lancements
On n’y pensait pas en faisant le tour des activités à venir cette année, mais il y aura une « dernière » relativement discrète au cours de l’été: pour son 100è lancement, Ariane 5 sera lancée pour la dernière fois en version ES. La fusée, conçue avec un étage supérieur ré-allumable EPS (Etage à Propergols Stockables) est la seule à pouvoir ajuster son orbite pour les besoins de la mission, jusqu’à 3 fois dans les heures qui suivent son décollage. Conçue initialement pour envoyer les cargos européens ATV vers l’ISS, Ariane 5 ES a depuis été adaptée pour être capable de lancer une « grappe » de quatre satellites de positionnement Galileo. Deux des trois vols dédiés ont eu lieu en décembre 2016 et décembre 2017, et celui de l’été prochain est donc le dernier. Si tout se passe bien, la version ES aura cumulé 8 succès sur autant de tentatives… En plus de porter la responsabilité du 100è décollage d’Ariane 5. On n’oubliera pas pour autant la charge utile, puisque c’est le dernier vol au service de Galileo avant 2020 et le premier lancement sur Ariane 6!
Ariane 5 ES est plus « trapue » que la version ECA. Ici lors de son avant dernier décollage.
Crédits Arianespace/ESA/CNES/CSG
Puis il y aura justement, une période d’adaptation. Car n’allez pas croire que la carrière d’Ariane 5 va s’arrêter au moment du premier décollage de la nouvelle génération. Au contraire, de 2020 à 2022, « seuls » 16 lancements d’Ariane 6 sont prévus au maximum (c’est à dire, s’il n’y a pas de problème de jeunesse…), Ariane 5 organisant encore des campagnes de vol « classiques » pour couvrir l’ensemble des besoins des clients vers l’orbite géostationnaire. Et en 2023, Ariane 6 devrait prendre complètement le relais. Il restait donc à les commander, ces derniers exemplaires de la fusée européenne qui a régné sur le spatial pendant 25 ans… C’est à présent chose faite: cette semaine la signature pour dix fusées Ariane 5 fut actée, représentant la commande pour la période de transition. Il reste donc en tout entre 23 et 25 Ariane 5 qui vont décoller, et puis ce sera terminé (difficile d’avoir le chiffre exact, 23 sont en commandes, mais deux sont à différents stades d’assemblage à Kourou et je ne sais pas si elles sont comptées)! Il va donc falloir se préparer, la fin de carrière est tangible pour Ariane 5. L’erreur à ne pas commettre, serait de relâcher l’excellence technique. Enfin, on verra sans doute des performances record dans les dernières années d’Ariane 5, grâce à une dernière évolution des boosters auxiliaires EAP.
Ariane 5 en cours d’intégration en Guyane. L’assemblage d’un lanceur, c’est beaucoup de main d’oeuvre et une expertise bien rodée pour Ariane 5!
Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG
Ariane 6 et Vega C ont encore du pain sur la planche
Eh oui, ce n’est pas tout d’avoir une nouvelle génération de lanceurs qui arrive, encore faut-il convaincre les clients de les utiliser! Pour l’instant pas d’inquiétude, il est encore tôt. Mais il n’y a qu’un seul contrat pour Ariane 6 signé, pour deux lancements de Galileo en 2020 et 2021. Il va falloir serrer les dents pour les trois années à venir, car la transition dépend de deux défis à relever obligatoirement pour Arianegroup. Le premier, c’est la complétion à temps du programme Ariane 6. Soit notamment un nouveau booster P-120C qui devra montrer des performances impeccables en 2018, mais aussi Vulcain 2.1 qui doit faire ses preuves. Sans les résultats, peu importe que le chantier du pas de tir avance, les premiers décollages pourraient reculer de plusieurs mois. De la même façon avec les infrastructures au sol: même si visuellement les progrès sont impressionnants, il faudra que pour le second semestre 2019, tout soit terminé. Commander les « dernières » Ariane 5 présume donc d’un développement dans les temps et dans l’enveloppe imposée (baisse des coûts d’Ariane 5 de 40%, 4,5 milliards d’euros d’investissements pour le programme).
Le futur pas de tir d’Ariane 6 en décembre. Les travaux progressent à grand pas! A droite, on voit les piliers du futur portique rétractable. Crédits CNES/CSG
Le défi de cette transition, c’est de transférer la base des clients actuels d’Ariane 5, qui disposent d’un service fiabilisé sans échec depuis 2002, avec plus de 80 vols sans échecs, ce qui est en soi une belle garantie de succès… Contre une fusée, certes fabriquée avec de nouvelles garanties et disponible moins chère, mais qui aura tout à prouver. Il sera impératif que les débuts d’Ariane 6 soient plus convaincants que ceux de la génération précédente: cette fois l’échec sera à nouveau interdit, car (et c’est peut-être ironique) pour cette fois les concurrents ont un argument. Lorsqu’Ariane 6 entrera en service, la Falcon 9 face à elle disposera de plus d’une décennie d’utilisation et de réutilisations. Si SpaceX continue sur sa lancée actuelle, l’entreprise disposera elle aussi de plus de 90 décollages successifs sans échecs… Bref, plus que jamais l’Europe va devoir montrer patte blanche et mettre la barre très haut sur la technique et la réussite. La marge de manoeuvre est faible: en 2020, SpaceX, Blue, ILS/Angara, Mitsubishi seraient très heureux de remplacer le constructeur européen pour sa place sur le podium des grands industriels des lancements orbitaux!
Dans la « tranchée » qui guidera les gaz et les flammes d’Ariane 6. Bientôt là dedans: l’enfer.
Crédits CNES/CSG
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Eric : "ambuscade" ? 😉
Oh eh si on ne peut plus ambuscader personne, c'est fou ça!
(corrigé merci 😉