[RocketLab] Une victoire pour Electron!
Avec une campagne de tir compliquée en décembre 2017, émaillée d’ennuis techniques y compris un arrêt au moment de l’allumage des moteurs, on se demandait exactement quand le second décollage de la petite fusée Electron pourrait avoir lieu. La fenêtre rouvrait le 20 janvier, après un mois de repos et de travaux pour éviter à la fusée tous les petits ennuis et reports d’une campagne prototype. Et finalement c’est ce matin qu’elle est partie, le 21 janvier à 2h43 du matin. Un succès jusqu’à l’injection en orbite réussie de trois CubeSats!
Les équipes peuvent se féliciter, ils ont marqué un grand coup!
Le webcast du lancement. A hauteur des meilleurs standards actuels… Manque une chaîne « bis » avec la télémétrie et des informations techniques!
Au passage, il s’agissait déjà du 10è vol orbital de 2018. Je n’ai pas le courage de regarder tous les registres, surtout ceux des années 70, mais il me semble que c’est un record inégalé, ce que je peux en tout cas vous confirmer sur les 10 dernières années.
Décollage (presque) surprise
Rappelons rapidement que l’entreprise a réalisé son premier tir vers l’orbite le 25 mai 2017, avec une fusée Electron. Le tir se passe bien malgré les craintes initiales, et la séparation du premier étage, ainsi que les phases suivantes sont correctes. Malgré tout, la télémétrie a un raté, et la perte de contact entre la fusée et le sol entraîne l’activation du système de destruction: le lanceur se désintègre avant d’arriver en orbite, mais il a atteint l’espace. RocketLab, qui prend le temps d’analyser les données, annonce en août avoir résolu le problème: la seconde campagne pourra avoir lieu avant la fin de l’année. Pour autant, les fusées Electron, avec leur moteur Rutherford (9 moteurs sur le premier étage, 1 moteur modifié pour le second étage, comme chez SpaceX) ne sont pas encore produites en série. La fusée arrive sur son pas de tir de la péninsule de Mahia, sur l’île du Nord de Nouvelle-Zélande, au mois de novembre. Le second essai vers l’orbite s’appellera « Still Testing » (le premier tir était nommé « It’s a Test ») et cette fois, trois satellites Cubesats sont sous la coiffe. Même s’ils sont conscients des risques, Spire place deux satellites « Lemur » (météorologie + suivi des navires par leur transpondeurs) et Planet Labs un satellite « Dove » (cartographie terrestre temps réel) sous la coiffe.
Le patch du second essai orbital. Le drapeau rappelle que si l’entreprise est bien installée en Nouvelle Zélande (y compris ses racines) son siège social est basé aux USA. Crédits RocketLab
1er décembre: la fusée passe avec succès un test WDR (Wet Dress Rehearsal, remplissage des réservoirs).
8 décembre: ouverture de la première séquence de fenêtres de tir.
8, 9, 10 décembre: reports pour cause de météo exécrable.
11 décembre: report pour cause de météo et « trafic en orbite »
12 décembre: après le compte à rebours et allumage des moteurs, la fusée ne décolle pas car son ordinateur de bord a jugé que la température du réservoir d’oxygène était trop élevée.
13 décembre: analyse des données de l’essai avorté.
14 décembre: tentative de tir reportée pour cause de vents en haute altitude
15 décembre: tentative de tir reportée pour cause de problèmes électriques sur le pas de tir.
16 décembre: décision de reporter les essais à janvier 2018.
20 janvier: ouverture de la seconde séquence de fenêtres de tir
20 janvier: report pour cause de présence de bateaux dans la zone d’exclusion, puis météo.
21 janvier: compte à rebours parfait, lancement réussi!
Fun fact, la fusée est intégralement en noir, les bandes blanches que vous voyez dessus sont uniquement dues à la glace d’eau de condensation. Crédits RocketLab
La fusée Electron, avec le plein de carburant et ses satellites, pèse environ 12,5 tonnes au décollage. Ses neuf moteurs Rutherford créent une poussée de 16.5 tonnes, ce qui explique l’accélération rapide à partir du site de tir, tout à la pointe au-dessus des vagues! La fusée a décollé à 2h43 (Paris) et a passé le mur du son en à peine plus d’une minute, puis Max-Q (maximum de pression exercée par l’atmosphère sur la structure) en 1:15 environ. L’action du premier étage s’est poursuivie jusqu’à T+ 2 minutes 32 (on peut d’ailleurs se demander si les régimes avant extinction étaient tout à fait maîtrisés), après quoi les moteurs se sont éteints, pour laisser la place à l’action du second étage. La visualisation de l’éjection et de l’allumage moteur étaient spectaculaires! L’étage supérieur a pris le relais pour 5 minutes 34 d’action, au cours desquels on a pu voir la coiffe se détacher, puis deux packs de batteries (voir paragraphe suivants). Le contact vidéo n’a pu être maintenu plus de quelques secondes après que le moteur se soit éteint, mais la joie des opérateurs qui, pour certains, n’y croyaient pas, était palpable. Quelques minutes plus tard, les entreprises responsables des trois satellites confirmaient le succès avec de bonnes réceptions et paramètres orbitaux.
Largage du 1er étage et allumage du second. Impressionnant!
Crédits RocketLab
On pourrait ajouter que « curieusement », seuls les satellites ont été repérés sur leur orbite de 290*530km prévue, ce qui renforce une théorie que partagent de nombreux observateurs sur le fait que le second étage a pu tester un second allumage de son moteur pour augmenter son apogée: deux « pièces » ont été détectées en orbite à 494*504 km.
UPDATE 23/01: Il s’agissait d’un test pour un « kick stage » ou étage supérieur. Le satellite de Planet Labs est resté en orbite à 290*500km avec le second étage et la dernière batterie (supposition), tandis que les deux satellites Spire et ce petit étage nommé « Curie » sont montés jusqu’à l’orbite circularisée.
Les vents en haute altitude jouent avec la traînée de la fusée, qui disparaît du ciel de Nouvelle-Zélande. Crédits RocketLab
Rutherford n’aura pas déçu!
Le petit moteur phare de RocketLab, amplement testé au sol avant les campagnes orbitales, est mis en avant depuis le lancement. Il faut dire que, comme le reste de la fusée (qui comporte entre autres des réservoirs en fibres de carbone, une première), ce tout nouveau moteur dont 10 exemplaires sont présents sur la fusée est assez novateur. Déjà, il comporte très peu de pièces, car il est largement imprimé en 3D via des machines très chères et très précises, mais qui permettent d’en fabriquer en série avec des caractéristiques identiques. Je ne sais pas si c’est déjà le cas, mais à terme, un moteur ne devait prendre que quelques jours à créer et assembler. Le moteur utilise aussi deux minuscules turbopompes, qui sont sur des moteurs traditionnels des pièces incroyablement compliquées et résistantes, qui sont alimentées par les ergols, ou par des gaz spécifiques. Ici, le pari est de taille, puisque le turbo est alimenté électriquement! Chaque moteur Rutherford est relié à une centrale électrique alimentée par batteries. Le design est du coup beaucoup plus simple, mais l’inconvénient est de taille: il faut embarquer lesdites batteries, et la fusée va consommer des centaines de kilowatts (certains évoquent 1MW).
tests du second étage. Derrière, la Comté avec quelques hobbits.
Crédits RocketLab
Cependant, on a pu voir au cours de l’accélération de la fusée vers l’orbite un aspect intéressant d’un moteur avec batteries: lorsqu’elles sont vides, elles peuvent être larguées! Un phénomène que l’on observe dans la vidéo après quatre minutes d’action du second étage: ce dernier embarque trois packs de batteries, dont deux sont larguées pour alléger l’étage et donc améliorer la performance dans la dernière phase de vol. Un gain inédit et bienvenu pour les clients qui pourraient à l’avenir avec l’amélioration des technologies de stockage, profiter d’un lanceur toujours plus efficace. Ce que les concurrents ne pourront pas avoir: difficile d’améliorer un gaz ou un ergol…
Les moteurs dédiés au quatrième vol sont déjà produits. Et ils ont même reçu un emballage particulier! Crédits RocketLab
Des perspectives enfin ouvertes
RocketLab est la première entreprise privée de la vague du « New Space » à réussir un nouveau design et à mettre une charge en orbite depuis… Bon, depuis SpaceX, mais c’est un peu biaisé: l’entreprise d’Elon Musk avait décroché pas mal de fonds de la Nasa! RocketLab en a au moins quelques uns (un contrat de… 7 millions de dollars), mais ça n’est pas grand chose en comparaison. L’entreprise a de grandes ambitions, et a réussi à atteindre l’orbite avec des levées de fonds de seulement 100 millions de dollars, ce qui reste un budget maîtrisé! Sachez pourtant que sur les marchés, même s’il n’est pas possible d’acheter des parts de RocketLab (à ma connaissance), la pépite est valorisée à 1 milliard de dollars. C’est peut-être surcoté, mais comprenez bien l’impact de cette petite entreprise: elle propose un ticket d’entrée pour l’orbite basse (150kg) de seulement 4,9 millions affichés (spoiler ce sera plus pour les premiers tirs) dans un marché qui réclame ce genre de services depuis littéralement une décennie. C’est un peu comme d’ouvrir trois guichets supplémentaires sur un péage lors des grandes vacances: ça va marcher. Surtout, elle est la première et la seule dans sa catégorie pour l’instant.
Présente sur les réseaux sociaux, l’entreprise a tout compris à la communication moderne. En témoigne ces T-shirts plein d’humour à cause des reports de tirs à répétition…
Crédits RocketLab
RocketLab semble avoir anticipé la lente montée en puissance qui se profile. Mais sans précipitation. C’est tout à l’honneur du patron Peter Beck, qui malgré quelques déclarations à l’emporte pièce en 2015, s’est fait depuis une réputation en or. Les données de ce second vol réussi seront donc analysées en profondeur (25000 canaux de données, quand même) et l’entreprise va préparer en parallèle ses troisième et quatrième vols prévus cette année. L’augmentation des cadences sera progressive. Et par ailleurs, on peut déjà se rendre sur le site commercial de RocketLab (celui ou, souvenez-vous, vous pouvez acheter votre « place » pour un CubeSat en trois clics et une carte bleue) pour constater qu’il y a de l’attente mais que les objectifs ne sont pas déraisonnables… Contrairement à certains concurrents qui annoncent déjà d’emblée des lancements chaque semaine. Reste à confirmer le succès commercial et cela ne pourra passer que par une seule variable: la fiabilité. RocketLab est entré dans la course!
Le bout du bout de la péninsule de Mahia. Extraordinaire paysage, qui méritait bien un pas de tir.
Crédits RocketLab
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