[SpaceX] Des airs de répétition générale
En Floride, en cette belle fin d’après-midi, la terre à de nouveau tremblé. Oui « de nouveau » parce que c’est déjà le 3è lancement à peine en un mois, sans compter les essais statiques de Falcon 9 et surtout de la Falcon Heavy. La région est très active, et les travaux qui s’accélèrent chez Blue Origin (qui devrait bientôt investir ses locaux) ne dissipent pas une certaine frénésie sur la côte Est. Mais aujourd’hui, c’était avant tout un petit retour à la « normale » pour SpaceX, qui lançait la 49è Falcon 9 de son histoire…
Pour le coup je vous ai mis le live commenté en français par Stardust, vous me direz si vous préférez l’original de SpaceX.
Une campagne modèle, dans la discrétion
Eh oui. Avec l’attention du monde entier portée sur la Falcon Heavy, il aurait été facile d’oublier que SpaceX, c’est aussi des centaines d’employés à Cape Canaveral qui travaillent sur la Falcon 9 et dont tout le monde attend des résultats. Une constance, un rythme et une fiabilité qui restent autant de défis, on l’a bien vu le weekend dernier: les plus fiables des fusées peuvent encore avoir des difficultés et des ratés. Cela, SpaceX ne peut se le permettre: la stratégie du groupe repose sur des campagnes réussies et rapides. Dès que le mystérieux satellite Zuma est tiré, les équipes qui ne sont pas obligées de se coltiner les soucis techniques sur le site voisin du Kennedy Space Center avec la Falcon Heavy sont sur le pont pour le tir de SES-16, qu’on appelle aussi GovSat-1 (voir plus loin). Le satellite arrive sur place le 11 janvier.
Décollage! Si le site du LC-40 n’est pas aussi impressionnant que le LC-39A, ça reste très scénique…
Crédits SpaceX
Le travail se poursuit correctement et le 26 janvier, l’ensemble de la fusée (hormis le satellite sous coiffe) effectue son test de mise à feu statique. Un élément crucial, qui conditionne la suite des événements. Et un test toujours scruté à la loupe surtout ici, lorsque le premier étage est réutilisé: ce qui n’avait jamais été testé il y a un an est devenu un élément du paysage des lanceurs (c’est déjà le 6è tir avec un booster « éprouvé », en l’occurence celui du vol du satellite américain NROL-76 en mai 2017).
Elle grimpe à travers l’atmosphère. Une vision familière, mais avec la magie habituelle des lancements. Crédits SpaceX
Le programme était chargé pour les équipes de SpaceX, avec un décollage prévu le 30 janvier à 22h25 (Paris). En plus d’une météo pas folichonne, un souci se déclare sur le second étage, et il faut changer un capteur après avoir identifié le problème: le vol est décalé de 24h. Cette nuit, les conditions en Floride étaient bien différentes: un grand soleil presque sans nuages, quelques vents en haute altitude mais pas assez pour perturber le décollage. La fusée s’élance à 22h25 tout pile, et tourne rapidement vers l’Est. Pour son premier lancement de satellite géostationnaire de 2018, Falcon 9 a passé Mach 1 en une minute, et Max-Q en 1m18s. Le premier étage, qui n’a pas été récupéré, s’est séparé après 2m40s. Comme il n’allait pas atterrir sur la barge « Of Course I Still Love You » qui est restée au port, le lanceur n’a pas été suivi dans le webcast… Mais on sait que SpaceX a tout de même effectué les manoeuvres de rentrée atmosphérique: le canal audio du centre de commande SpaceX listait tous les événements pour le premier étage! Affiner les modèles, même si l’étage n’est pas récupéré, ça n’a pas de prix!
Le premier étage a tenté de se poser sur la mer avec un profil de freinage très particulier. Apparemment ça a tellement bien fonctionné que l’étage ne s’est pas désintégré: Elon Musk a promis de tenter de le ramener au port. Crédits SpaceX
Le second étage de la Falcon 9 n’a pas failli, et après le largage de la coiffe, le satellite fut en orbite basse à T+8m35s. Pour l’injecter sur une trajectoire GTO et diminuer l’inclinaison du lancement, un second allumage de l’étage supérieur a eu lieu à T+26m40s, pour à peine plus d’une minute de forte accélération. Un passage qui lui fait gagner presque 9000 km/h! GovSat-1 a ensuite été éjecté avec succès sur une ellipse d’environ 200x40000km (ne disposons pas des caractéristiques pures à cette heure).
Voir un étage réutilisé « sale » n’est même plus une surprise. Comme les choses ont changé!
Crédits SpaceX
SES-16 ou GovSat-1, un satellite bien européen
Si Arianespace obtient de l’Union Européenne un agrément pour une « préférence européenne » à savoir l’obligation pour les états membres de lancer leurs satellites avec une fusée européenne tant que le service est offert commercialement, alors un tir comme celui de GovSat serait sans doute revenu sur Ariane 5. Ce « gros » satellite de télécommunication (4,3 tonnes avec carburant) est en fait un partenariat public privé d’un genre nouveau. SES a commandé le satellite, originellement nommé SES-16, mais la gouvernance de ce dernier est finalement revenue à LuxGovSat, d’où son nom de GovSat1. La mission principale du satellite sera d’opérer les communications cryptées et sécurisées entre les différents centres de l’OTAN, y compris les liaisons téléphoniques, vidéo, de données, etc, le tout au titre de la contribution du Duché de Luxembourg. Cela dit c’est une tâche qui seule, coûte très cher. Alors SES, associé au gouvernement a monté LuxGovSat, et va pouvoir utiliser une grosse poignée de transpondeurs en bande Ka sur le satellite pour lui donner une raison d’être commerciale et générer des revenus.
GovSat-1 replié. Un vrai bijou de technologie.
Crédits Orbital-ATK
Crédits Orbital-ATK
Ce partenariat public-privé d’une forme originale vient à point nommé pour Orbital-ATK, qui y a vu l’opportunité de placer sa nouvelle plateforme GeoStar3, plus puissante et plus adaptée aux durées de vies longues d’aujourd’hui avec une propulsion chimique pour la mise à poste et des petits moteurs plasma pour le maintien de l’attitude et de la position du vaisseau au cours de ses 15 ans de durée de vie opérationnelle garantie. Pas mal, non? Pour Orbital, ce sera l’occasion de rattraper un peu un début 2018 avec les lèvres serrées: le premier satellite à disposer de la plateforme Geostar 3 est Al Yah 3, parti la semaine dernière sur Ariane 5. Et ce dernier devra (au moins un peu) entamer sa durée de vie opérationnelle pour atteindre son emplacement final. Heureusement, il sera bien possible de faire jouer la fibre patriotique pour les actionnaires d’Orbital-ATK (et Northrop-Grumman qui veut les racheter), puisque le satellite a été construit aux USA pour les besoins de l’OTAN…
Allez, Ciao GovSat-1!
Crédits SpaceX
SpaceX prépare un mois de février capital
SpaceX prépare toujours quelque chose de capital, si on regarde bien. Le vol de GovSat-1, si on peut le considérer (à tord) comme une étape de routine était en fait très important. Déjà, il permet de rassurer les administrateurs américains et les clients qui pouvaient continuer à avoir des doutes suite à la campagne de tir de Zuma, au début de l’année. Il est maintenant acquis que la Falcon 9 a bien fait son travail sur ce vol, mais l’absence de communication durant plusieurs jours et le secret sur la mission exacte du satellite a pesé lourd sur la réputation de l’entreprise. Plusieurs articles continuent de marquer qu’il y a des « doutes » sur Falcon suite à ce fameux décollage. S’il y en avait, ne doutons pas que la FAA clouerait au sol les autres fusées du groupe le temps de l’enquête… Un succès « classique » sur une campagne de vol exécutée en trois semaines est de très bonne augure, et permet de se concentrer à nouveau sur le calendrier de SpaceX qui a prévu presque 30 vols cette année et devra en réaliser au moins 20 sous peine de créer à nouveau une prodigieuse file d’attente à cause de retards. Et la liste des travaux en cours est très longue pour l’entreprise!
Redémarrage du second étage de Falcon 9. La fusée approche déjà de son 50è lancement!
Crédits SpaceX
Il faut d’abord augmenter et stabiliser les campagnes de tir en Floride environ une fois toutes les trois semaines, voir moins… Toute l’année! Mais à plus court terme, il y a bien entendu le défi de la Falcon Heavy. Après un test réussi de mise à feu statique le 24 janvier, la fusée est prête à retourner sur son pas de tir et se prépare pour un décollage actuellement prévu le 6 février dans la soirée. Un vol compliqué et à haut risques pour SpaceX, qui doit à la fois montrer ses progrès sur ce lanceur, préparer les vols suivants, et s’assurer sinon du succès au moins de la réussite de la première minute de vol. Le moment le plus stressant sera à l’évidence celui de la séparation des boosters auxiliaires avant leur retour prévu vers la côte floridienne. Falcon Heavy est jusqu’ici une véritable réussite en terme de communication, et la firme d’Elon Musk aura tout de même à coeur de bien faire, au risque de se voir descendre en flammes par les articles de la planète entière en cas d’échec.
L’échec est pour une fois une option pour SpaceX, mais pas à n’importe quel prix. Il faudra absolument que ça n’impacte pas Falcon 9 ni les autres activités… Crédits SpaceX
Le gros défi est donc celui de la fiabilité de Falcon 9 et des cadences associées. Outre le décollage de Falcon Heavy, on attend aussi en février celui du satellite espagnol Paz et de deux vaisseaux de communication en orbite basse sur un seul tir de Falcon 9 depuis la base californienne de Vandenberg. Et d’ici à peine plus de deux semaines, le lancement du satellite de télécommunication Hispasat 30W6 depuis Cape Canaveral… Un rythme fou, donc, mais qui devra surtout être capable de durer. Et cela sans même évoquer la nécessité de progrès sur d’autres thèmes importants, à savoir la capsule habitée Crew Dragon, l’aménagement du pas de tir LC-39A pour accueillir des astronautes, l’introduction prochaine du nouveau standard de Falcon 9, la « block 5 », la gestion des étages réutilisés, la future constellation de communication en orbite basse, et un vol du vaisseau Dragon repoussé au mois d’avril… Pour cela, se concentrer sur « une étape à la fois » est devenu un leitmotiv intéressant : le prochain défi est celui de Falcon Heavy. Les préparations peuvent bien continuer sur les autres vols, la priorité est au monstre. En espérant que tout se passe exactement comme pour GovSat-1.
Difficile de s’imposer définitivement dans le paysage actuel, mais SpaceX prépare une invasion tout azimut ! Crédits SpaceX
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