[Arianespace] Ariane 5 reprend la route
16 jours. C’est finalement le délai sur le second lancement d’Ariane 5 cette année, induit par la déviation de trajectoire lors du décollage du 25 janvier 2018. Les premiers soupçons ont depuis été confirmés: le mauvais paramètre avait été enregistré pour la centrale inertielle, résultant en une inclinaison de plus de 20 degrés par rapport à l’équateur. L’opérateur Yahsat aurait d’ailleurs fait appel à son assurance pour qu’elle couvre les millions de manque à gagner en conséquence du lancement: non seulement Al Yah 3 sera en opérations en retard, mais sa durée de vie sera écourtée. Bref, lors du décollage suivant, VA-242 jeudi 5 avril à 23h34 (Paris), il s’agissait de montrer que ces soucis étaient une anomalie corrigée.
Pari réussi!
Le live du lancement tel qu’il était présenté sur le site d’Arianespace
La trajectoire est nominale
Après ce qu’on hésite toujours à qualifier d’échec partiel en janvier, ce vol était particulièrement scruté de par le monde. La réponse (intelligente) d’Arianegroup et d’Arianespace a été de procéder exactement comme pour n’importe quelle autre campagne, avec l’ajout de deux semaines pour gérer quelques changements de procédures de vérification. Même s’il a toujours l’air de tousser à l’allumage, le moteur Vulcain 2 est correctement monté en puissance dans les 7 secondes suivant le T-0 avant que les deux boosters auxiliaires EAP ne se mettent à feu à leur tour. Pour ce 98è décollage d’Ariane 5 depuis sa mise en service en 1996, le lanceur s’est comporté exactement comme prévu. En consommant à chaque seconde 5 tonnes de carburant (les boosters en brûlent la grande majorité, l’étage central 300kg/s), la fusée part très vite à l’assaut du ciel, passant Mach 1 en à peine une minute, et Max-Q en 1min14s. Les boosters terminent leur action à T+2m21s, suivis par la coiffe lorsque le lanceur passe les 100km d’altitude, avant que l’étage principal ne s’arrête à T+8m54s. A partir de là, puisque le second étage cryotechnique s’est allumé et que la télémétrie continuait d’arriver à la station de contrôle, beaucoup au sein du centre de contrôle ont recommencé à respirer.
Ariane 5 décolle pour la 98è fois. Quelle aventure!
Crédits Arianespace
Après 25 minutes de vol (et 8 secondes, c’est important), la fusée avait atteint son orbite de transfert géostationnaire GTO à 250*35786km d’altitude. Au moins pour la propulsion, il n’y avait plus de doutes! La dernière partie n’a jamais posé de problème à Arianespace et la séparation d’abord de DSN-1 (plus lourd) puis de Hylas-4 précédé par le système d’adaptation SYLDA ont été réussis dans les minutes suivantes. Le vol a été constellé de petites vidéos de promotion pour les différents acteurs, y compris et c’était une source de sourires, plusieurs clips consacrés à DSN-1, lequel étant sous statut militaire pour les japonais, n’était jamais montré. Il n’est apparu que dans de très rares animations « standards » qui ne reprenaient que globalement la forme d’un satellite de communication. Pour en revenir aux clients, ils étaient tous très satisfaits. Mais c’est dommage, aucun n’en a profité pour annoncer de nouveau contrat (même si Avanti est un partenaire de longue date) comme ce fut parfois le cas dans le passé: c’est encore la crise des satellites géostationnaires!
C’était les 200 et 201è satellites mis en orbite par Ariane 5, d’après Arianespace.
Très belle vidéo du CNES pour expliquer les opérations menant au décollage d’Ariane 5!
Hylas-4 et DSN-1, le couple imposant
Le plus intéressant et le plus imposant des deux est sans doute DSN-1. Il s’agit d’un satellite japonais construit en partenariat public-privé, et disposant à la fois de transpondeurs pour l’opérateur SKY Perfect – JSAT et de matériel pour les communications de la défense japonaise (transpondeurs et antennes pour la bande X notamment). Pour la partie commerciale il s’appelle donc SuperBird-8 et prendra le nom final SuperBird-B3 une fois en orbite finale au-dessus du Pacifique… Tandis que pour la défense japonaise, il restera DSN-1. Avec une masse de 5.34 tonnes sur la balance, il aurait pu faire le trajet sur une fusée japonaise H-2A mais cette dernière est très chère et lorsque le Japon voulait mettre ce satellite en orbite, le calendrier de la H-2 était plutôt chargé… Mais au final DSN-1 a presque deux ans de retard car en 2016, lors de son transport vers Kourou, son caisson de transport s’est subitement dépressurisé dans l’avion au cours du vol: endommagé, le petit bijou de technologie est reparti chez Mitsubishi Industries… Ce qui a induit un phénomène pas si rare dans le spatial: DSN-2 était en orbite avant DSN-1. Si le secret est de mise pour la partie militaire, on sait que les transpondeurs commerciaux sur le satellite remplaceront le vieux satellite SuberBird 2B lancé en 2000, pour des services de communication et de diffusion en bande Ka et Ku.
Séparation de Hylas-4 sur la trajectoire prévue. Ouf, Ariane 5 retrouve le devant de la scène!
Crédits Arianespace
Hylas-4 est un satellite pour Avanti Communications construit par Orbital-ATK et qui pèse un peu plus de 4 tonnes avec une propulsion hybride chimique (mise en orbite) et électrique – ionique (maintien en position). Il est destiné à fournir des service de connectivité en bande Ka (c’est le coeur de marché d’Avanti, qui double ses capacités avec ce satellite) au-dessus de l’Europe et de l’Afrique, avec 4 antennes supplémentaires de couverture de zone en fonction des contrats à venir: un gros avantage quand les avionneurs par exemple souscrivent des offres pour offrir internet à bord des long courriers… Grâce à une grande réserve de carburant, le satellite devrait être en service pour au moins 15 à 19 ans, avec (matériel Orbital-ATK oblige) la possibilité d’une extension de mission grâce aux futurs véhicules MEV. L’éjection du satellite Hylas-4 ayant été le dernier élément de la campagne de tir, tout le monde était content lorsque le signal a pu confirmer un déploiement réussi!
Hylas-4 lors de sa préparation au Centre spatial guyanais. Crédits Arianespace
Quelques inquiétudes
Le vol Ariane 5 VA-242 était le seul prévu en avril, et il n’y a rien d’autre de prévu avant le 25 mai (pour le prochain décollage Ariane 5). Ce n’est pas un bon indicateur pour Arianespace et Arianegroup, puisque c’est presque un état de fait: les 14 lancements indiqués en janvier comme objectif pour cette année 2018 ne sont plus d’actualité. A partir du 1er mai, cela impliquerait de réaliser en moyenne un décollage toutes les 3 semaines jusqu’au 31 décembre. Or l’entreprise ne dispose pas de la force de travail nécessaire, ni du calendrier de lancement pour soutenir ce rythme. Si les objectifs n’ont pas été officiellement revus à la baisse, ce sera probablement le cas bientôt: Arianespace ne peut se projeter sur 11 lancements supplémentaires en 2018 (même si je vous avoue que j’aimerais beaucoup voir ça). On peut du coup se demander si ce calendrier intenable a été communiqué uniquement car le concurrent, SpaceX, annonçait lui aussi une année record? 11 à 12 décollages depuis Kourou paraissent encore réalistes cette année: peut-être vaut il mieux annoncer la stabilité?
Ariane 5 sera à nouveau la prochaine sur son pas de tir! Mais ce ne sera pas avant fin mai…
Crédits ESA/CNES/CSG/Arianegroup/G.Barbaste
Un point de satisfaction qui pourrait balancer cette cadence moyenne de 2018, c’est la progression des travaux pour Ariane 6. Arianegroup n’a pas le choix évidemment, mais il semble que sur tous les fronts, il y a de belles sources de satisfaction. Pour les boosters P-120C, la première tuyère est sortie des ateliers et partira prochainement pour Kourou avec un premier test à la clé cet l’été (pour le coup, le calendrier a reculé un peu…). Les réservoirs de la première fusée sont aussi en cours d’usinage et aux Mureaux, à côté de Paris, le site de production progresse à grands pas. En Guyane aussi, le béton du site ELA-4 coule à flots! Le bâtiment d’assemblage horizontal est en cours d’aménagement intérieur à quelques kilomètres du pas de tir, tandis que la table de tir est sur place. Le portique mobile monte doucement… Reste à savoir si le rythme imposé permettra de finir à temps! Pour l’instant, la date de décollage d’Ariane 6 reste en place pour juillet 2020, grande source de fierté pour le groupe.
Reste que là aussi, on aimerait bien voir quelques annonces de contrats!
Premier réservoir opérationnel pour l’étage supérieur d’Ariane 6. Crédits MT Aerospace
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