Ceux qui se souviennent de ma couverture du lancement de la sonde Hayabusa 2 sur ce blog… Eh bien, bravo et merci à vous, car c’était l’un de mes tout premiers billets et des premiers lancements le 3 décembre 2014. C’était il y a trois ans et demi, et depuis la sonde japonaise de 609 kg a voyagé à la poursuite de son astéroïde, repassant près de la Terre le 3 décembre 2015 pour bénéficier d’un effet de fronde gravitationnelle. Elle arrive à destination, ce 18 juin elle est à moins de 185 km de Ryugu, l’astéroïde qu’elle va étudier.
L’occasion d’un petit billet sur l’observation d’astéroïdes, avant un prochain post sur la sonde elle-même et sa mission.
L’astéroïde Ryugu, observé à 900 km de distance environ. Les pixels ont été lissés pour obtenir ce rendu. Crédits JAXA.
Les objets les plus nombreux du système solaire…
Oh oui, et de très, très loin. Considérant les distances entre les planètes de notre système solaire, ça ne vous choquera pas si je vous écris qu’il y a beaucoup de place. Toutefois, il ne faut pas oublier de prendre en compte les astéroïdes. On en a déjà dénombré plus de 600000 dans le système solaire, et selon les estimations des astronomes, ce chiffre pourrait monter jusqu’à 150 millions. Oui. Bon, une fois de plus, rien d’inquiétant. Plus de 15000 d’entre eux ont été dénombrés comme étant des « Near Earth Objects » et aucun n’est dangereux ou en trajectoire de collision directe avec la Terre. Les rares qui ont été détectés avant de nous rentrer dedans, j’en ai parlé dans un petit thread twitter récemment, que vous pouvez retrouver ici :
https://twitter.com/Bottlaeric/status/1005058561880227841
L’astéroïde Eros, que plusieurs d’entre vous connaissent sans doute grâce à la série TV The Expanse.
Crédits NASA
Bref, les astéroïdes sont super nombreux, et super-communs. Pour autant, en capturer des images se révèle rapidement difficile lorsqu’on veut une résolution supérieure à quelques pixels. Eh oui, ce serait une bonne chose de connaître un maximum ces rochers qui pour la majorité d’entre eux datent des gigantesques impacts et agrégats de matière lors de la formation même de notre système solaire. On connait la forme d’une centaine de ceux qui passent proche de la Terre grâce à des relevés au radar, ce qui a même permis de découvrir des lunes à certains d’entre eux. Mais pour ce qui est de l’image directe et « bien résolue », les humains n’ont approché que… 12 astéroïdes. En tout, et en comptant dans cette liste Vesta, qui est en réalité ce qui reste d’une protoplanète, c’est à dire une formation qui aurait pu devenir une planète « majeure » sans la présence intempestive de Jupiter non loin de là. Et en comptant Ryugu, dont l’agence japonaise nous livre avec bonheur les images à quelques jours d’intervalle. (A savoir que je ne compte pas 1-Ceres, qui est certes le plus vieux des astéroïdes et le premier découvert, mais qui entre temps a été reclassé en planète naine).
12 astéroïdes sur 150 millions. On ne connait donc presque rien de ces rochers, qui sont pourtant présents un peu partout, qui pourraient contenir pour certains des centaines de milliards de dollars de ressources en métaux, roches, diamants et en eau…
La liste, en vous épargnant leurs numéros d’identité est donc composée de Vesta, Lutetia, Ida, Mathilde, Eros, Gaspra, Toutatis, Annefrank, Steins, Braille, Itokawa et Ryugu. D’ici la fin de l’année et la lente approche de la mission NASA OSIRIS-REx, on pourra ajouter Bennu.
Le « Potatoïde » Toutatis, photographié par la sonde chinoise Chang’e 2 après le succès de sa mission en orbite lunaire. Crédits CNSA
Les premiers survols
La majorité des astéroïdes dont on a aujourd’hui les images, et qui constituent un témoignage impressionnant de la diversité possible de ces objets qui varient du patatoïde au morceau presque taillé en diamant, ont été simplement survolés. Couverts de cratères ou effilés, ils ont tous révélé leurs lots de surprises… Mais la prise de vue était courte. On n’a généralement que peu de données et pour certains, seulement des images d’une seule face. Annefrank, Steins et Braille ont été survolés rapidement et on a peu de données, voir des images de mauvaise résolution, même si Braille était l’objectif principal de la sonde Deep Space 1 (en plus de démonstrations technologiques). Annefrank était une opportunité unique sur le chemin d’une visite de comète… Et Steins a été survolé par Rosetta, elle aussi sur le chemin d’une comète. Rosetta a d’ailleurs fourni de merveilleuses images d’un autre astéroïde, mais beaucoup plus gros, Lutetia, qui fait plus de 100 km de diamètre. Images hallucinantes. D’autres survols précis ont pu avoir lieu avec différentes missions, en tant qu’objectif secondaires comme pour la sonde chinoise Chang’e 2 après son orbite lunaire (survol de Toutatis), ou la sonde américaine Galileo, en route pour Jupiter qui en a profité pour prendre des images de Gaspra en 1991, et Ida en 1993. Pour cette dernière, ce fut un extraordinaire jackpot, puisqu’à cette occasion on a découvert une petite lune autour d’Ida, baptisée Dactyl.

La massive Ida et sa petite lune, Dactyl.
Crédits NASA.
Les américains ont d’ailleurs envoyé deux des missions les plus importantes pour comprendre les astéroïdes. La première était NEAR-Shoemaker en 1996. Elle survole d’abord Mathilde (58 km de diamètre, et un cratère d’impact géant de 20 km de diamètre sur son flanc), puis approche d’Eros, et devient le premier vaisseau à orbiter un astéroïde en 2000, avant de s’y poser. Eros est donc le premier astéroïde documenté sur le moyen terme, avec près de 3 ans de données. Moins d’une décennie plus tard, la sonde Dawn décolle et s’en va vers la ceinture d’astéroïdes. Avant d’aller orbiter la première planète naine (Ceres), Dawn s’est mise en orbite de Vesta en juillet 2011, pour l’étudier à fond avant de repartir. Pour les scientifiques, les années 2000 marquent un tournant. On recherche ce qui a causé l’apparition de l’eau sur Terre. Mais aussi, on s’interroge sur la genèse de notre planète et des autres rocheuses, et les astéroïdes géocroiseurs pourraient nous donner de précieux indices. Dans toutes les propositions de financement, les projets de retour d’échantillons commencent à fleurir…
Il ne s’agit plus que d’observer ces morceaux de notre voisinage cosmique, mais de les comprendre et de les étudier à fond.
Lutetia, photographiée par l’extraordinaire caméra OSIRIS de la sonde Rosetta. Crédits ESA.
De Hayabusa 1 à OSIRIS-REx
La mission Hayabusa marque donc un tournant. Elle décolle en 2003 pour aller visiter le petit astéroïde Itokawa. Deux ans plus tard, après l’avoir étudié sous toutes les coutures, la sonde Hayabusa se pose presque à la surface, faisant entrer en contact son dispositif de collecte d’échantillons avec le régolithe de l’astéroïde.
Itokawa, le « haricot de l’espace »… Crédits JAXA.
L’opération ne se passe pas vraiment comme prévu, et il faudra attendre 2010 pour le confirmer: malgré tout ce que l’on a appris sur Itokawa lors de son étude sur place, la collecte d’échantillons a globalement raté… Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Une recherche approfondie de la boite de collecte découvrira bien quelques microscopiques grains de matière, ce qui peut paraître surprenant mais suffira en fait à fournir de nombreux résultats scientifiques. Reste que Hayabusa, que l’on peut décrire comme la première et plus importante mission interplanétaire japonaise de son époque, a connu de très nombreux problèmes. Le Japon décide de bâtir une mission « bis » basée sur le retour d’expérience. Elle décollera 4 ans plus tard, et se nomme Hayabyusa 2. Son sujet d’étude, l’astéroïde Ryugu, est baptisé au cours de la première année de vol.

La meilleure image de Ryugu qu’on ait pour le moment. Cela va beaucoup, beaucoup s’améliorer mais d’autres astéroïdes connus n’ont malheureusement pas montré plus… Crédits JAXA
En 2018, notre connaissance des astéroïdes est donc sur le point de faire un bond significatif. Déjà, on élargit notre base de données de 11 à 13 astéroïdes photographiés et étudiés de près. Mais aussi, Hayabusa 2 et OSIRIS-REx vont tous les deux rester autour de leur sujet d’étude environ 18 mois. La sonde japonaise va larguer un impacteur, mais aussi un petit robot franco-allemand et deux CubeSats, et devrait rapporter un peu de poussière dans son collecteur. La sonde américaine quant à elle vise plusieurs centaines de grammes à ramener dans la musette grâce à un système d’aspiration innovant. Dans les deux as, on va beaucoup en apprendre sur ces astéroïdes sombres, avec toujours de meilleures images et des ambitions pour les futures missions. En effet, si la conquête lunaire a la cote, il ne faut pas oublier que deux missions NASA sont déjà acceptées pour les années 2020: la première vers l’astéroïde métallique Psyché (lui aussi une ancienne protoplanète), et l’autre vers un groupe d’astéroïdes trojans, qui ont la particularité d’être « piégés » par l’orbite de Jupiter. Aucun toutefois ne devrait ramener d’échantillons.
Enfin côté protection, on a déjà parlé de la potentielle mission AIM, qui vise à envoyer une première sonde en orbite autour d’un astéroïde, puis une seconde en tant qu’impacteur, histoire de mesurer les dégâts, l’impact et les possibilités de déviation d’une potentielle menace sur le long terme. De bien belles perspectives… Sans compter les hypothétiques missions de « minage » de certains de ces très, très nombreux voisins.
Lutetia vue par Rosetta. L’avantage de la mission européenne, c’est qu’elle avait prise des centaines de clichés lors de son approche, et qu’ils sont tous disponibles. Crédits ESA.
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Je suis surpris de la faible résolution des cliché de Ryugu malgré une forte proximité de la sonde (240km c'est près, non?).
Vous avez raison, c'est près. Mais comparé à la majorité des autres astéroïdes imagés jusqu'ici (à part Itokawa), Ryugu est assez petit avec ses 900m de diamètre. Cela revient à photographier l'île de la Cité à Paris, depuis le centre ville de Lille…