[Chine] Des progrès agressifs
La Chine est sur une dynamique spatiale assez unique. En route pour un record absolu du nombre de lancements en 2018 (déjà 18, et plus d’une quinzaine supplémentaires prévus avant la fin de l’année), le pays communiste est également à la recherche de progrès déterminants pour les technologies spatiales à venir, ainsi que pour son expansion, mesurée mais sur les rails.
Et vous allez le voir, ces progrès ne concernent pas que les programmes publics.
La collection de nouveaux lanceurs chinois, mis en service à partir de 2015. La CZ-8 est évidemment d’une forme différente aujourd’hui: les efforts sont centrés sur la réutilisation.
Crédits Xinhua
Les programmes CZ-8 et CZ-9 reprécisés
On en parle régulièrement, la Chine est en train de mettre en place sa nouvelle génération de lanceurs. Cela prend beaucoup de temps, et les « stars » que sont les familles Longue Marche 2 et 4 pour l’orbite basse, ainsi que la Longue Marche 3B/3C pour les tirs vers l’orbite géostationnaire ont encore de belles années devant elles. Toutefois les travaux progressent. La Longue Marche 5 (CZ-5) sera de retour cet automne après son gros échec de juillet dernier qui a mené à un nouveau design d’une partie du moteur. Et les futures générations sont en travaux. Notamment la fusée super-lourde de la Chine, la CZ-9. L’agence chinoise travaille sur le sujet avec la CALT depuis 2014-2015, et le monstre progresse comme prévu… Même s’il n’entrera en service au mieux qu’à la fin de la décennie 2020-2030. Concurrente de la SLS ou de la BFR de SpaceX, ainsi que de la fameuse Saturn 5 américaine, la Longue Marche 9 sera équipée d’un étage central de 10m de diamètre, ainsi que de quatre boosters auxiliaires à propulsion liquide de 5m de diamètre chacun. Une énormité de presque 4000 tonnes, capable d’emmener plus de 44 tonnes en transit vers Mars. Sa première mission pourrait d’ailleurs être une mission « tout comprise » de retours d’échantillons depuis la planète rouge.
La CZ-9 serait potentiellement vraiment un monstre. Crédits Weibo/Moonbabama
Nous aurons bien le temps de nous intéresser à la Longue Marche 9 lorsqu’elle sera entrée dans une phase plus complète de premiers tests au sol de ses gigantesques éléments (selon les déclarations récentes, les équipements d’usinage sont au coeur du projet actuellement). La Longue Marche 8, bien plus petite, est pour sa part prévue en 2021 à présent. Initialement, elle devait remplacer les Longue Marche 3B et 3C pour les tirs géostationnaires et héliosynchrones lourds, mais elle devrait finalement servir de banc d’essais pour les technologies réutilisables, avec un étage central réutilisable, mais aussi deux ou quatre boosters auxiliaires à poudre qui devraient aussi être récupérés et réutilisés. Reste qu’on aimerait bien voir ces progrès annoncés par la Chine devenir réalité, plutôt que d’être expliqués lors de conférences ou « fuitées » dans des documents… Certains lanceurs utilisés par la Chine aujourd’hui ont été conçus dans les années 80.
La CZ-5 sera pour son retour en novembre, le lanceur le plus lourd de l’arsenal actuel des lanceurs chinois. Elle est nécessaire pour les futures missions lunaires et martiennes.
Crédits Xinhua
Aucune « peur d’innover »
C’est une tare parfois reprochée aux agences spatiales « classiques », celle de ne pas innover suffisamment par peur qu’un accroc technologique vienne remettre en cause l’ensemble de la mission. Les chinois, qui ont une approche graduelle de l’exploration spatiale, en testant leurs programmes « par étapes », ne pourront toutefois souffrir de ce qualificatif de frilosité. Non seulement les grands programmes en cours font usage de nouveautés notables (on a déjà parlé du premier relais de données lunaire, à présent installé « derrière » la Lune, qui supportera le premier atterrissage sur la face cachée d’ici la fin de l’année), mais les futurs ne font pas exception. C’est le cas pour le programme civil avec plusieurs exemples marquants: la présence par exemple d’un gros télescope orbital à proximité immédiate de la future station chinoise, les tests récents de nouveaux profils de rentrée atmosphérique ainsi que de technologies de parachutes, la mission sur Mars de 2020 qui prépare à la fois un orbiteur, un atterrisseur et un rover, ou le profil des missions de retour d’échantillons lunaires et martiens qui se profilent pour plus tard.
C’est aussi le cas sur le plan militaire avec les essais (terminés depuis avec succès) du premier satellite relais équipé d’un cryptage quantique, les nombreux tirs suborbitaux de planeurs hypersoniques ou les supposées nouvelles armes antisatellites dont la Chine se serait dotée. C’est cette progression débridée que D. Trump vise sans se cacher lorsqu’il évoque dans ses discours la création d’une « space force » américaine. La Chine et son programme militaire spatial a bien évolué depuis une décennie.
La CZ-2C qui a envoyé deux satellites « expérimentaux » en orbite basse.
Crédits Weibo
Et puis, il y a cette culture du secret qui ne fait que rajouter aux doutes occidentaux. La Chine arrive toujours à cacher les atouts qu’elle a dans sa manche, malgré les lancements et les possibles fuites. La communication est drastiquement réduite. En témoigne le décollage la semaine dernière d’une CZ-2C équipée d’un tandem de satellites « d’expérimentation ». Le 27 juin à 5h30 (Paris), le lanceur a quitté le sol depuis le centre de Xichang. Et figurez vous qu’on en sait vraiment pas beaucoup plus: ils sont en orbite basse à 470 x 485 km inclinée à 35°, ce qui « colle » effectivement avec une campagne exploratoire : une mission opérationnelle militaire ou civile aurait probablement eu lieu à une plus grande inclinaison. Alors, pourquoi un duo ? Satellites radar stéréoscopiques ? Transmission et liaisons de données laser ? Les autorités auraient procédé à une modification de la coiffe pour l’allonger et autoriser une petite excroissance sur le côté. Un instrument avec un second satellite qui sert de réflecteur ? Toutes les conjectures sont ouvertes pour le moment.
Seuls les armées américaines, la défense européenne et les russes, dotés de moyens d’observation de l’orbite basse par radar et suivi optique, auront probablement le fin mot de l’histoire.
Comme d’habitude, les retombées après les lancements depuis Xichang sont pour le moins spectaculaires…
Les startups dépassent les effets d’annonce
Comme les pépites américaines avant eux, les startups chinoises marquent un peu le pas après une première vague qui correspond aux effets d’annonce des grands projets, ainsi que les toutes premières démonstrations technologiques. Il y a quatre startups spatiales principales, et il est facile de les confondre quand on y regarde pas de trop près: ISpace, OneSpace, LinkSpace et LandSpace. Les quatre bénéficient des soutiens d’universités, d’un grand vivier d’ingénieurs et de jeunes talents chinois, et d’un marché intérieur qui ne demande qu’à fleurir vers l’orbite basse pour croquer des parts de marchés. Et il est tout aussi difficile d’affirmer aujourd’hui laquelle va réussir son pari…
Le premier tir, spectaculaire, de OneSpace, a permis de valider les premières briques technologiques de leur futur lanceur. Crédits OneSpace
– LinkSpace est axée sur la technologie réutilisable, et conduit des essais de moteurs ainsi que du contrôle à basse altitude. Si elle n’a pas publié grand chose depuis le mois d’avril, la société souhaitait toutefois réaliser un vol suborbital dès cette année, et faire revenir son étage sur Terre. Ce sont eux qui ont montré leur prototype voler d’un côté à l’autre d’un parking au printemps…
– LandSpace développe actuellement un moteur méthane-LOX pour son futur lanceur spatial. S’il s’agit pour l’instant de la seule startup avec un contrat d’un opérateur étranger (l’européen GomSpace), on pourrait remarquer que l’entreprise est en retard: sur la base d’un accord avec la CASC qui produit la fusée Longue Marche 11, LandSpace devait réaliser un tir orbital de sa fusée LandSpace-1, qui en est directement dérivée, dès 2018. Sans nouvelles pour l’instant.
– OneSpace a déjà réalisé et réussi un tir suborbital, avec son lanceur OS-X à propulsion à poudre qui semblait très archaïque… Mais qui leur a permis d’accomplir une belle prouesse. Depuis le 17 mai, la startup qui ne baisse pas le rythme de ses annonces, a déjà testé au sol le premier étage (solide, lui aussi) de sa future fusée OS-M1. D’une masse totale de 20 tonnes, elle pourrait emmener jusqu’à 200kg en orbite basse circulaire à 250 km.
– ISpace est bon dernier de cette liste, et on ne sait pas exactement quels sont leurs orientations technologiques. Pour autant, ils ont réussi à convaincre Matrix Partners China d’investir l’équivalent de plus de 90 millions de dollars ! Gageons qu’avec cette ligne de crédit, les progrès devraient être significatifs…
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4000 tonnes au décollage pour satelliser 130 ou 140 tonnes ? Même la vénérable Saturn 5 des années 60 n'avait besoin que de 2900 tonnes pour le faire et cela sans boosters et sans moteurs cryogéniques au 1er étage. D'ailleurs la SLS elle-même n'a pas besoin de décoller à 4000 tonnes. Il semble donc que les chiffres de la CZ-9 ne soient pas les bons.