[SpaceX] Peuvent-ils tenir la cadence ?
Deux décollages à quelques jours d’intervalle fin juillet, un lancement en ce début du mois d’août et une longue liste de campagnes mais aussi de travaux à mener dans les semaines à venir : le calendrier de SpaceX ressemble de près à celui qu’il était il y a un an, mais avec une stature supplémentaire : celle d’avoir convaincu le reste du monde de sa capacité à réaliser au moins deux décollages réussis chaque mois. Falcon 9 cumule à présent 32 succès d’affilée en moins de deux ans, et… 60 décollages depuis sa mise en service.
Le webcast de la mission Merah Putih, le 7 août 2018.
Côte Ouest : Iridium se termine, Starlink se profile
Le premier lancement de la série de succès actuels, c’était le premier décollage au service de l’opérateur Iridium, avec une « grappe » de 10 satellites Iridium-NEXT, lancés le 14 janvier 2017. Depuis, six autres missions ont été réalisées pour le compte de cet opérateur depuis la côte Ouest. De quoi justifier des investissements sur le pas de tir californien, et de chouchouter Iridium, qui a tout de même souffert des différents reports et retards de Falcon 9 à la fin 2016 (le déploiement complet était censé être terminé avant juin 2018). Malgré tout, cet énorme contrat est pour l’instant un succès éclatant. 66 satellites sur 76 sont déjà en orbite, et plus de la moitié ont déjà pris le relais dans le maillage d’Iridium, qui a pu étendre ses contrats tout en assurant la pérennité de la couverture (très important car c’est un opérateur utilisé pour des communications d’urgence, entre autres). Iridium, via son patron Matt Desch, a aussi su accepter de voler rapidement, dès 2017, avec des étages réutilisés pour bénéficier d’une meilleure cadence de vols. Ce qu’ils n’ont pas regretté jusqu’ici. Il reste un dernier décollage pour Iridium après celui du 25 juillet, prévu actuellement début octobre. Comme pour les vols précédents, la fusée partira plein Sud pour une trajectoire polaire, et larguera ses 10 derniers satellites Iridium NEXT entre T + 50 minutes et T + 1h, à raison d’une unité par minute.
Le traditionnel brouillard de Vandenberg est de la partie !
Crédits SpaceX
Toutefois, avec les technologies de réutilisation qui évoluent, la Falcon 9 au standard « Block 5 » permettra d’ici là de revenir se poser directement sur le site LC-4 à la base de Vandenberg. L’étage principal dispose à présent d’assez de puissance et a démontré suffisamment la précision de ses atterrissages pour recevoir les autorisations de survols et d’atterrissages sur terre plutôt que sur la barge en haute mer. Un avantage certain pour la réutilisation. Le premier lanceur « Block 5 » qui fera l’aller-retour vers le pas de tir est prévu d’ici fin août sur la côte Ouest, avec le décollage du satellite argentin SaoCom-1.
D’autre part, on pourrait penser que maintenant que les contrats sont terminés pour Iridium, les équipes soient allégées avec les calendriers de la côte Ouest… Il n’en est rien. Bien sûr, il est évident que pendant environ un an et demi, il y aura beaucoup moins de tirs faute de demande. Mais ce sera pour mieux préparer le site. Car à partir de 2020, SpaceX a prévu de démarrer le déploiement de sa constellation de communication Starlink, actuellement en test en orbite avec deux unités. Il faudra donc absolument garder un oeil sur la zone, qui deviendra de plus en plus stratégique… D’autant que Starlink fera un usage massif des réutilisations de lanceurs, en envoyant des grappes de satellites en orbite basse.
A quelques centaines de mètres seulement, un large site d’atterrissage a été aménagé pour que les boosters puissent revenir se poser. Crédits SpaceX
Côte Est : De Telstar à Telstar
Ce 7 août, dans la nuit de Floride, la Falcon 9 a fait son 60è décollage (61 Falcon 9, 2 échecs + 1 échec partiel dans sa carrière) avec le satellite Merah Putih. 5,8 tonnes à envoyer en trajectoire de transfert géostationnaire. Vous connaissez probablement la suite, puisque depuis le début de l’année, on a déjà eu droit 14 fois au spectacle: un décollage à l’heure, 3 secondes après allumage des neuf moteurs, une montée au cours de laquelle le premier étage accélère pendant une minute avant de passer le mur du son, et une minute 30 supplémentaire pour passer les 7000 km/h, avant de se détacher du second étage, qui fonce vers l’orbite tandis que le booster principal se réoriente et revient se poser, sur la barge « Of Course I Still Love You » stationnée à environ 600 km des côtes, dans l’Atlantique. Le second étage, d’abord en orbite basse de parking, rallume son moteur une vingtaine de minutes plus tard pour viser la plus haute apogée qu’il soit capable de donner avec le carburant restant, et s’éteint. Le satellite fut largué avec succès, une fois de plus. Et lorsqu’on regarde le webcast, on a vraiment l’impression que ces lancements sont devenus des routines agréables et presque sans enjeux.
Décollage de nuit pour Merah Putih, mission au profit de l’opérateur indonésien. Pour l’instant il semble que les 28 lancements annoncés cette année soient hors d’atteinte. Crédits SpaceX
Alors qu’un lancement, c’est toujours dangereux. C’est toujours une pression énorme sur les équipes, notamment pour le client qui a placé des centaines de millions de dollars dans son satellite, et plusieurs dizaines sur le décollage seul. Les équipes de SpaceX à Cape Canaveral sont à présent tellement rodées que répéter des campagnes de 2 semaines fait partie du jeu. Il ne faudrait pas oublier qu’ils sont actuellement les seuls au monde à pouvoir tenir cette cadence. Seuls les chinois lancent plus, et profitent pour ce faire de quatre sites de lancement répartis dans le pays, avec au moins 2 pas de tirs chacun.
Cet été est d’ailleurs un peu particulier pour SpaceX, puisqu’après le lancement de Telstar 19V le 22 juillet, l’entreprise devrait lancer Telstar 18V le 24 août, à peine un mois plus tard.
Le bloc moteur de la version « Block 5 » est particulièrement adapté pour la réutilisation. De quoi tenir malgré la violence de la rentrée atmosphérique ? Crédits SpaceX
L’un des points particulièrement intéressants sur ce décollage de Merah Putih, c’est l’aspect réutilisation. C’était en effet le second vol de cet étage principal, le B-1046 (que voulez-vous, c’est son petit nom). En soi, ce n’est pas une première, SpaceX a fait régulièrement voler deux fois le même booster depuis mars 2017. Mais cette fois, il s’agit du premier de la génération « Block 5 », qui contient les fameuses modifications conçues pour faciliter la réutilisation et la fiabiliser sur le long terme. Inutile de dire que la performance était très attendue. Surtout, contrairement aux décollages de l’année dernière et du premier semestre, SpaceX a récupéré l’étage une seconde fois. Avec l’intention par ailleurs de lui assigner un troisième décollage dès cette année ! On serait donc réellement rentrés dans une phase où la réutilisation massive et régulière des étages est une réalité… Bien qu’il faille encore nuancer tout ça : on fera le point à la fin de l’année. Mais non seulement SpaceX est la seule entreprise à récupérer et réutiliser ses boosters, elle est aussi la seule à avoir amélioré son concept au cours du temps pour permettre de le faire plus efficacement. Au point que ça a l’air facile. Or les 100% de succès pour des étages réutilisés, c’est une statistique particulièrement importante pour l’entreprise californienne.
Le seul détail qui manque aujourd’hui est celui de l’équation économique !
Second atterrissage en quatre mois pour ce booster principal de fusée. Une performance assez inédite. Et inimaginable il y a 5 ans. Crédits SpaceX
De la Crew Dragon à la Falcon Heavy, ça traîne !
Vous avez remarqué ? Ca fait quelques temps que SpaceX n’a plus rien annoncé de démesuré ou extravaguant. Oh, bien entendu, il y a le bateau de récupération des coiffes qui a vu son filet de récupération quadrupler en surface (sans que cela ne suffise), et il y a quelques mois, Elon Musk tweetait sur de potentiels essais de récupération des seconds étages de la Falcon 9. Mais tout ça, c’est calme… Et pour cause ! Il y a déjà énormément de projets « dans les tuyaux » chez SpaceX, qui mettent du temps à se concrétiser. La montée en puissance de la version « Block 5 » de la Falcon 9 a été plus lente que prévu, la capsule Crew Dragon n’est pas encore en état d’aller visiter l’ISS, les installations pour accueillir les astronautes au sol ne sont pas encore installées sur le pas de tir (au passage le LC-39A est en plein travaux, sans que ça fasse beaucoup de publicité). Et du coup, certains sujets prennent du temps. C’est le cas par exemple de la Falcon Heavy. Malgré le succès presque sans failles de février, le second exemplaire (lui aussi en mode « Block 5 ») se fait attendre, et on a appris aujourd’hui que la date prévisionnelle actuelle est fixée au 30 novembre. Pas fameux, avec autant de publicité…
SpaceX a encore toute une collection de satellites de communication à envoyer en orbite entre maintenant et la mi-2019. Mais peu de contrats ont été annoncés cette année… Crédits SpaceX/SSL
Les défis, SpaceX en a beaucoup. Il y a ceux que tout le monde surveille, comme celui de la réutilisation multiple, mais aussi ceux qui restent dans l’ombre une grande partie de l’année. Dans ce registre, on peut citer le centre spatial de Boca Chica, au Texas. Longtemps pensé pour accueillir des vols réguliers de Falcon 9, le site sera au final largement dédié aux tests et aux vols de la future fusée super-lourde BFR. Boca Chica devait entrer en service « à la fin de l’année » et accueillir les premiers « sauts » de la BFR dès la fin 2019. Reste qu’à part des travaux d’assainissement et de terrassement réalisés en 2016-17, un hangar, deux antennes de suivi et un réservoir pressurisé installé là au printemps, le site ne bouge pas beaucoup. La BFR est elle aussi un sujet de long terme : la firme devra déjà s’occuper de son site de production, qui reste entièrement à aménager au sein du port de Los Angeles.
L’étage « sale » du vol Merah Putih. Sera-t-il encore plus sale d’ici la fin de l’année ?
Crédits SpaceX
La troisième barge de SpaceX (« A shortfall of Gravitas ») pour assurer des vols plus réguliers sur la côte Est ? Elle n’est plus une priorité, annonce Elon Musk. De même, pas de nouvelles sur le tourisme, ou sur l’architecture actuelle du plan martien. Bien entendu, il y a peu de sujets qui « traînent », malgré les retards… Il y a juste énormément de pain sur la planche. Et pour ce qui est de Mars, le sujet reste au cœur des ambitions : SpaceX tenait ce mardi-mercredi un workshop à l’Université du Colorado sur les différentes possibilités et technologies disponibles pour conquérir la planète rouge. On l’aura compris, les ambitions elles, sont intactes.
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Superbe article merci !
Merci Éric. Super article au top
Merci à vous :p
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