[NASA] Un plan pour la Gateway
Débaptisée depuis l’arrivée de l’administration de D. Trump, la « Lunar Gateway » fut un temps rebaptisée LOP pour « Lunar Orbital Platform ». Tout ceci était alors aussi concret que les impressionnantes vues d’artistes de chez SpaceX. Mais depuis, le projet a pris du corps. Déjà parce que l’agence a reçu des directives précises pour accoucher d’un plan réaliste, mais aussi car à l’international l’idée fait son chemin. Européens et russes ont un pied à bord, et à bien y réfléchir une station en orbite lunaire pourrait desservir des intérêts variés.
A quoi pourrait ressembler celle qu’on appelle à présent « The Gateway » ? Mais surtout, est-ce bien réaliste ?
A l’évidence, les belles vues d’artiste sont appelées à évoluer. Ce sera plus grand !
Crédits NASA
2026-28 : Bienvenue dans la Gateway !
L’un des objectifs actuels est de capitaliser sur l’expérience (réussie à bien des égards) de l’ISS pour construire, en orbite autour de la Lune, une station spatiale internationale qui puisse accueillir, à des séquences régulières de trois mois, des équipages de 3 ou 4 astronautes. Tout comme il y a 25 ans, les USA sont à l’origine du projet et en seraient les principaux fournisseurs (matériel et budgets), y compris pour pouvoir y accéder: les nations et agences connexes profiteraient de la station via une participation en nature et un set d’accords internationaux, etc. En bref, une ISS moins russe et surtout en orbite lunaire. Avec des modules forcément plus petits (les y envoyer coûtera cher), profitant des retours d’expérience de presque 20 ans de présence ininterrompue en orbite basse. Il faudra aussi mieux les protéger contre les impacts et surtout les radiations issues de la météorologie solaire et cosmique, ce qui implique des pénalités de poids. Les partenaires devront aussi s’accorder sur les lanceurs : les « petits modules » (non russes) de l’ISS pèsent plus de 10 tonnes chacun. Or les européens ou les russes n’ont pas la capacité d’envoyer de telles charges en orbite lunaire (un maximum pour Ariane 6 est donné à 8,5 tonnes). Seuls les américains ont « sur étagère » ces options de vol.
Quelques uns des modules actuellement envisagés sur la « Gateway ». Remarquez une fois de plus que tout ça est très préliminaire. Crédits NASA
Alors quels éléments pour faire une station lunaire ? Le premier module sera destiné à produire alimentation et propulsion, c’est le PPE. Faisant déjà l’objet d’un appel à projets de la part de la NASA (les politiciens doivent lui voter un vrai budget en octobre), le PPE sera un gros module à propulsion électrique-ionique (Xénon) et chimique (hydrazine), qui devrait être envoyé en orbite lunaire d’ici 2022 avec une fusée lourde commerciale américaine et testé durant un an avant d’être officiellement accepté par l’agence. Equipé d’un port d’amarrage, il pourra être ravitaillé et sa durée de vie sera d’au moins 10 à 15 ans. Gardez à l’esprit qu’à part le PPE tout est encore lointain et donc peut changer drastiquement, mais un plan actuel donne une vision des modules suivants :
Voici à quoi une Gateway « ISS lunaire » pourrait ressembler.
Crédits NASA
– ESPRIT : Module Européen (ou japonais) disposant d’un petit sas pour expériences scientifiques, d’une importante réserve de carburants et de systèmes de communications perfectionnés vers la Terre comme vers la surface lunaire. Peut-être pressurisé ou non.
– Utilisation Element: Module américain équipé de stockage, d’habitations secondaires et probablement de racks scientifiques. Un nouveau bras robotisé est livré sur ses flancs, fourni par l’agence canadienne.
– Modules habitats: Un module d’habitat américain, un second européen ou international, constituent le coeur de la station lunaire. Il n’y a pas que des équipements utilitaires pour la vie courante (hygiène, sport, recyclage, cuisine, stockage, couchettes) mais aussi des équipements scientifiques et d’observation de la Lune. Dans les différents schémas, il est tout à fait possible que les USA se décident pour un module au moins partiellement gonflable suite à l’essai actuel réussi du module BEAM de Bigelow. Une telle technique permettrait d’avoir un module à grand volume sans avoir une masse au décollage prohibitive.
– Stockage: la Gateway serait ravitaillée une fois par an environ par des cargos dérivés de ceux qui font aujourd’hui l’aller-retour vers l’ISS. Ils resteraient en orbite beaucoup plus longtemps, et serviraient à la fois d’espace de stockage et d’extension temporaire d’espace pour la station.
– Spacedock : Dans l’architecture actuelle, un robot de taille moyenne (>500 kg) capable de faire l’aller-retour vers la surface lunaire pour en ramener des échantillons ou réaliser de petites missions à la surface est imaginé. Il est évident que si on trimbale tout ça autour de la Lune, il y aura au moins la tentation d’aller préparer quelque chose à la surface…
– Module sas : Potentiellement fourni par la Russie, ce module combinerait du stockage, de l’utilisation scientifique et un sas pour les sorties des astronautes et cosmonautes hors de la station. La Gateway serait d’ailleurs prévue dès le départ pour adopter sur ses flancs de nombreux capteurs et expériences scientifiques suite aux succès des différentes plateformes sur l’ISS actuelle.
– Module de transport : Pour l’instant, seule la capsule Orion a prévu de disposer des moyens pour rejoindre la Gateway dans la prochaine décennie. Avec son module de service européen, elle est déjà internationale, et permet à 3 astronautes de passer 3 semaines (serrés) de voyage loin de l’orbite terrestre. Sur la station, elle servirait aussi de « refuge » en cas de radiations trop élevées ou de tempête solaire.
Le module Quest, équipé d’un sas et installé sur l’ISS depuis plus de 15 ans, lors de sa préparation au vol en 2000. Crédits NASA
Intérêts partagés, objectifs uniques
Evidemment, chaque agence dispose de son objectif unique dans un environnement qui se situe dans un futur post-ISS. Eh oui, il faudra s’y faire, la station spatiale internationale ne pourra éternellement conduire ses opérations, même si je pense qu’au final même les américains soutiendront une rallonge jusqu’à 2028 pour les opérations « courantes ». Pour les USA, la Gateway est une manière de conserver l’initiative sur les vols habités de long terme, tout en proposant aux scientifiques et aux politiciens de nouveaux objectifs à la portée de l’agence. L’étude de la Lune, c’est aussi l’étude de l’indépendance par rapport aux moyens terrestres. Il sera plus dur d’y survivre en orbite, plus dur de communiquer, plus difficile de rentrer. Mais cela « débloque » des possibilités intéressantes. D’abord pour explorer la surface, que ce soit dans la prochaine décennie de façon robotisée ou plus tard avec des véhicules habités. En tant que plateforme, la Gateway a aussi un rôle de base avancée. De là, un véhicule peut se ravitailler et pousser « plus loin » comme jusqu’aux points de Lagrange lunaires ou terrestres, la visite d’astéroïdes, et même Mars, si tel reste l’objectif de long terme.
La capsule Orion EM-2 en préparation : ce sera la première à transporter des astronautes sur ce programme, pour un « tour de la Lune » prévu en 2023. Crédits NASA
Pour ce qui est des autres agences, si elles partagent le besoin et l’envie d’envoyer leurs astronautes et expériences en orbite lunaire, elles ont chacun un objectif qui diffère au final, mais qui permettrait à travers une participation à la Gateway, d’arriver à leur fin. L’ESA par exemple, plaide pour un « Moon Village » depuis un certain temps, même s’il s’agit plus d’une initiative globale que d’un projet technique, la Gateway permet de se rapprocher considérablement de l’objectif final. D’autre part, avec une participation sur Orion (le module de service) et sur la Gateway, l’ESA s’assurerait une présence et un paiement en nature permettant d’obtenir un levier suffisant pour embarquer ses astronautes dans l’aventure. Avec les risques que cela représente de s’engager avec les américains (opacité, missions parfois annulées, obligatoirement leaders…).
Pour la Russie aussi, c’est un outil pour, à moindre frais, disposer d’une base active autour de la Lune. Les russes voudraient faire « coup double » en sauvegardant leur moitié de l’ISS qui pourrait évoluer indépendamment du reste, mais cela incluerait des modules qui ont presque 30 ans… d’autre part leur lanceur super-lourd et leurs ambitions lunaires reposent sur la fin des années 2020 (2028 minimum). Mettre un pied dans la Gateway, s’est s’assurer de participer à l’aventure internationale autour de la Lune sans devoir assumer seule les gigantesques budgets associés. Et dans un cadre budgétaire contraint, de survivre… Japonais et Canadiens sont à bord pour les mêmes raisons que les européens, d’autant que le Japon a son propre programme d’exploration lunaire robotisé, qu’ils comptent mettre en place à compter de début 2020. Une aubaine ! N’oublions pas enfin de potentielles nations émergentes comme l’Inde, qui pourrait vouloir participer tardivement à ce projet à défaut d’avoir pu s’associer à l’ISS.
Le laboratoire américain Destiny lors de sa préparation avant de partir sur l’ISS, en navette.
Crédits NASA
Un léger souci…
En toute logique, la Gateway est sensée éviter les écueils qui ont pris à la gorge les planificateurs des missions de l’ISS durant la première décennie de sa mise en service. Des budgets qui dérapent, des technologies déjà anciennes et surtout, une dépendance aux navettes orbitales américaines qui aura failli stopper entièrement le projet en 2003, lorsque Columbia se désintégrait lors de sa rentrée atmosphérique. Heureusement que la Russie était capable (et l’est toujours aujourd’hui) d’emmener des astronautes en orbite grâce à Soyouz, démontrant la nécessité d’avoir plusieurs fournisseurs indépendants pour l’accès à la station. Une devise qu’applique aujourd’hui la NASA avec ses fournisseurs de cargo mais aussi pour les futurs véhicules habités de Boeing et SpaceX. Et pourtant pour la Gateway, tout repose sur le futur lanceur super-lourd de la NASA, à savoir la SLS. Ce dernier dispose aujourd’hui de bons indices de confiance pour au moins arriver un jour sur son pas de tir, mais le programme se chiffre déjà à plusieurs dizaines de milliards de dollars, aussi envisager des vols réguliers vers l’orbite lunaire n’est pas nécessairement un pari intéressant. Surtout, prévoir dès aujourd’hui un agenda ambitieux sans disposer du lanceur ou des capacités n’augure rien de bon : lors de la préparation de l’ISS, la NASA pouvait au moins se reposer sur les navettes !
Dans les entrailles de métal du VAB, la structure de lancement mobile de la SLS est à présent installée jusqu’à l’assemblage final. D’ici un an et demi, une SLS doit se trouver au centre !
Crédits NASA
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Et si, lassés des dérapages budgétaires, les politiciens américains retirent leur support à la SLS? Toute la Gateway tomberait en désuétude. Et si le premier vol de la capsule Orion, actuellement prévu quelque part mi-2020 (et qui est encore à la merci de mauvaises surprises) est un échec cuisant ? Ce sont deux possibilités bien réelles et la dépendance au système de vol américain en est une autre. A l’aune de ce constat, il ne faudra pas oublier que les partenaires de l’ISS, qu’ils soient russes, européens, japonais ou canadiens, ne sont pas ou plus suffisamment influents aujourd’hui pour disposer des moyens de leur alliée la NASA, et que plusieurs objectifs seront redéfinis dans les 3 ou 4 ans à venir pour harmoniser les besoins et les capacités de chacun.
Toutefois la Gateway est un élément intéressant. Gardez en tête que si Blue Origin réussit à faire voler sa New Glenn, cette dernière dispose en gros de la même puissance qu’une Falcon Heavy avec une coiffe de 7m de diamètre ce qui est parfaitement intéressant pour des modules orbitaux. Gardez en tête que quelques planificateurs de la NASA ont aussi dû regarder les annonces de SpaceX et de sa future BFR, même si pour l’instant l’agence s’est engagée à faire sans. Gardez en tête enfin que le facteur le plus important pour la construction d’une telle station, c’est l’argent. Et que pour l’obtenir, le soutien politique est vital tout autant que la motivation technique. De ce côté là, la bonne nouvelle c’est que le programme lunaire chinois ennuie profondément les américains : un an après la directive « objectif lune » de Donald Trump, c’est la Chine qui va y poser un atterrisseur et un rover sur la face cachée pour la première fois. De quoi stimuler les investissements ?
Réponse d’ici le décollage du PPE et les premiers tirs de la SLS !
Premier test d’aménagement structurel avec la capsule Orion au sein du VAB… En 2012.
Remarquez une navette derrière à gauche. Crédits NASA.
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