[Chine] Landspace rate le coche
Le secteur du NewSpace chinois, si vous lisez ces colonnes régulièrement, n’est pas vraiment une surprise pour vous. Malgré tout même si on connait la vitesse hallucinante du développement de ces startups du spatial, savoir qu’un premier tir orbital a été tenté ce 29 octobre reste très impressionnant. Le décollage est à mettre au crédit de LandSpace et de sa fusée ZhuQue-1, lancée vers une orbite polaire à moins de 500 kilomètres d’altitude. Toutefois dans sa dernière phase de vol la fusée a été victime d’un accident qui a causé la perte du 3è étage: elle n’est pas parvenue à séparer le satellite qu’elle portait en orbite.
Dès à présent, les adversaires se préparent…
Le lancement de ZhuQue-1 ! A quelques dizaines de secondes près, c’était un succès…
Crédits LandSpace
ZhuQue-1 rate les étoiles
De la cohorte de Startups chinoises qui se font la course à l’orbite basse avec leurs lanceurs de faible capacité, LandSpace était la première entreprise vraiment « privée » à tenter l’aventure. En effet, en Chine il y a les lanceurs de la CASC (CAST/SAST) (les « Longue Marche » ou CZ), mais aussi ceux de la CASIC (Kuaizhou). On aurait pu croire que la firme ExPace était la première à réaliser avec succès des lancements vers l’orbite, mais justement ExPace est une émanation directe de CASIC… Ce qui laisse les véritables « privés » (oui je mets des guillemets, car en Chine le support de l’état n’est jamais loin), dont les plus sérieux sont LandSpace, OneSpace, iSpace et LinkSpace. Vous les confondez souvent ? Vous n’êtes pas les seuls. Mais ce n’est plus aussi compliqué qu’au début de l’année :
– LandSpace vient de rater son lancement de ZhuQue-1 vers l’orbite (la fusée rouge, c’est eux)
– OneSpace a fait deux vols suborbitaux en 2018, leurs fusées s’appellent OS-X
– iSpace a fait un seul vol suborbital en 2018, leur fusée ressemble à un missile balistique gris
– LinkSpace n’a rien fait voler très haut et se concentre sur un lanceur réutilisable.
Décollage pour ZhuQue-1. Simple, efficace, mais difficile de réussir du premier coup !
Bref, revenons au lancement de ZhuQue-1, annoncé depuis quelques mois. Pour ce premier essai depuis Jiuquan (devenue de fait la base de lancement des prototypes grâce aux larges régions désertiques qui l’entourent), LandSpace tentait de viser une orbite polaire, dont l’altitude de 500 km n’a pas été totalement confirmée pour ce vol… Mais ce n’est pas si grave, puisqu’elle ne l’a pas atteinte. ZhuQue-1, qui est un lanceur à trois étages à carburants solides, a décollé avec succès à 10h00 (Paris) le 27 octobre, s’élançant à l’assaut d’un grand ciel bleu. Les premières phases du vol se sont bien passées, même si on ne dispose pas des timings exacts, mais après environ 6 minutes et 40 secondes, après le démarrage du 3è étage et la séparation de la coiffe, un problème avec le contrôle d’attitude (RCS) aurait entraîné une fuite de carburant puis la perte totale de contrôle. En trajectoire parabolique, le dernier étage et le petit satellite Weila-1 sont montés à 335 kilomètres d’altitude, avant de retomber à travers l’atmosphère pour se consumer au-dessus de l’Océan Indien. Les conséquences de cet échec, qui en est encore au stade de l’enquête sur le crash, sont inconnues pour le moment: on ne sait pas si LandSpace souhaitera capitaliser sur plusieurs lancements de ZhuQue-1 ou si la startup préférera passer directement à la génération suivante. A l’IAC, la firme avait affirmé travailler d’arrache-pied sur une motorisation méthane-oxygène.
C’est le 1er échec en Chine cette année, le premier depuis juillet 2017.
ZhuQue-1 à l’apogée, avant de malheureusement devoir redescendre plus vite que prévu.
Crédits LandSpace/Weibo
Jeux de secrets et satellites expérimentaux
Le satellite Weila-1 embarqué sur le vol raté de LandSpace était destiné à la CCTV, qui n’est pas un opérateur « classique » de satellites, c’est la télévision nationale chinoise. Dans ce petit cube de 40 kg il y avait deux expériences particulières, dont l’une devait consister à observer le comportement de pommes de terre exposées au vide (comme dans The Martian). Avec une caméra embarquée, il y a aussi eu quelques rumeurs : les téléspectateurs auraient pu interagir avec le satellite dans un contexte non précisé. Impressionnant, mais cela rejoint une tendance très récente, qui voit les nanos et micro-satellites chinois déployer des usages dont on n’aurait même pas eu l’idée jusque là. Je vous passe sur les projets de développement de « lunes artificielles » développées suite à la demande farfelue d’une entreprise. Alibaba a ainsi préparé un CubeSat (probablement déployé avec le sino-français CFOSAT) qui permet d’enregistrer une demande en mariage ou de déclarer sa flamme, et de relayer le message par radio depuis l’orbite. AliExpress aussi a son petit satellite, qui prend des images des pays qu’il survole pour ses meilleurs clients…
Un marché que l’on ne voyait pas venir, orienté sur la publicité, le buzz et la fascination du public pour le spatial ! On se demande où ça va aller, car les entreprises chinoises devraient logiquement se lancer dans des campagnes de plus en plus ambitieuses.
Le satellite d’Alibaba sacrifie 1/3 de son espace pour une mascotte de chat.
Crédits Weibo/CCTV
Il y a aussi le problème de savoir ce qu’il y a sous les coiffes. Parce que les sociétés chinoises, au contraire d’autres qui annoncent les lancements longtemps à l’avance, se font une joie actuellement d’annoncer que leur satellite est en orbite. C’est ainsi par exemple qu’il a été difficile, lors du lancement du satellite météorologique CFOSAT, de savoir combien de co-passagers faisaient partie du vol. On sait aujourd’hui que la CZ-2C embarquait 7 nano-satellites CubeSats, mais ce n’est que grâce à la ténacité des passionnés sur les forums, twitter et weibo que leur identité et leur utilité a pu émerger. Que se passera-t-il quand il ne s’agira plus de quelques unités mais de dizaines de CubeSats ? Nous serons encore plus dans le flou et c’est dommage, d’autant que le rythme des lancements chinois ne laisse que peu de temps pour comprendre exactement de quoi il retourne. Avec un tel marché intérieur, cette progression en flèche va poser beaucoup de questions !
Chaque année, ce sont des milliers d’étudiants chinois qui entrent sur le marché spatial… Ils ont les dents longues ! Crédits Weibo/Twitter LaunchSpace/A. Jones
La concurrence est rude… Et joue sur le réutilisable !
La Chine ne manque pas de lanceurs institutionnels. Pourtant, des efforts récents montrent que la génération « Longue Marche » va continuer d’évoluer. En effet elle est dans un état de transition avec des nouveautés qui ont fait leurs preuves (CZ-6, CZ-11 pour les petits, CZ-5 et CZ-7 pour les gros) et en même temps des « chevaux de trait » pour l’accès à l’orbite basse et géostationnaire, les CZ-2, CZ-4 et CZ-3. Mais d’ici 2020, les constructeurs espèrent avoir suffisamment progressé pour introduire deux ou trois générations de lanceurs réutilisables basés sur CZ-6, CZ-4 et une nouvelle génération intermédiaire, CZ-8. Pour ça, la CASC teste dès à présent de premières technologies pour y arriver. Lors du dernier vol de CZ-3B les boosters étaient équipés de capteurs et transmetteurs pour que l’agence puisse les suivre au cours de leur descente vers le sol. Puis il y a quelque jours, une vidéo est apparue sur le net chinois avec un petit booster qui faisait des allers retours en se posant verticalement, avec moteur turbojet. Pas encore tout à fait la démonstration que faisait SpaceX avec son dispositif GrassHopper en 2011-2013, mais pas loin.
De façon identique, le nouveau prototype de LinkSpace, qui fait plus de 4m de haut une fois posé sur ses pieds, a fait son apparition sur les réseaux sociaux : il servira également au test de technologies VTVL (Vertical Take-off, Vertical Landing).
Le démonstrateur de la CASC posé au sol.
Crédits Weibo/CASC
Les startups ont aussi les dents longues. Alors que le 32è vol chinois devrait avoir lieu au moment de la publication de l’article (un 16è vol au service de Beidou cette année), il se pourrait bien que OneSpace succède à LandSpace pour la prochaine tentative de vol orbital, avec sa propre fusée à 2 ou 3 étages solide prévue avant la fin de l’année. Des progrès à l’arrachée… Qui laissent le reste du monde un peu pantois. Certaines entreprises occidentales n’ont jamais eu les moyens que se donne le secteur chinois et les voient déjà faire leurs lancements ! Sans parler des programmes étatiques. En Europe par exemple, le démonstrateur VTVL Callisto, bien qu’ambitieux, ne verra son premier vol qu’en 2021…
Hâte de suivre cette aventure avec vous !
Crédits Weibo
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