[Orion] L’Europe livre le Module de Service !
Longtemps à la traîne pour le premier vol du nouveau lanceur super-lourd américain SLS, le module de service de la capsule Orion sera envoyé aux USA le 5 novembre. En effet, celui-ci a été assemblé à Brême, en Allemagne, sous maîtrise d’oeuvre d’Airbus Defense and Space et sous responsabilité de l’ESA. Indispensable pour un vol opérationnel d’Orion, l’ESM (European Service Module) fournira oxygène, eau, électricité, régulation thermique et propulsion pour la capsule habitée au long cours. La livraison de l’ESM pour le premier vol d’Orion (actuellement prévu en 2020) est une très bonne nouvelle !
Lundi matin tôt, dans la soute d’un Antonov…
Crédits NASA/Rad Sinyak
ESM : Lockheed sur la touche !
Le partenaire de la NASA pour la capsule Orion et toutes les pièces qui s’y rapportent, ça devait être Lockheed Martin. Rescapée du projet Constellation, Orion est en quelque sorte une « Apollo sous stéroïdes » plus grande et modernisée. Elle survit aux coupes du projet en 2010 et sera confirmée dans son rôle de véhicule habité hors de l’orbite terrestre en 2011 lorsque la NASA commence à s’engager vers la SLS. L’agence spatiale européenne, désireuse de participer au projet, a déjà approché les Etats-Unis: l’ESA pourrait capitaliser sur son savoir faire développé au sein du projet ATV, le véhicule cargo autonome qui ravitaillait l’ISS depuis 2008. L’accord NASA-ESA est signé en janvier 2013, laissant l’industriel américain Lockheed sur la touche. Même si les deux concepts se ressemblent beaucoup pour le module de service d’Orion, celui de Lockheed, non sélectionné, continue d’ailleurs aujourd’hui d’être présenté sur les salons aéronautiques et spatiaux… L’ESA a donc récupéré le projet, mais assez tard : le temps de lancer les appels à projet et de sélectionner les industriels (Airbus D&S remporte le contrat signé en novembre 2014), le premier test de la capsule Orion, qui fait une orbite elliptique large à plus de 6500km d’altitude en décembre, a déjà eu lieu. Peu importe, les européens seront à l’heure pour le premier vol, annoncent-ils.
Orion et toutes les pièces qui l’accompagnent au décollage. Le système d’éjection d’urgence (à droite), le module de service européen et 3 éléments de coiffes qui seront éjectés lors de la montée. Crédits NASA
Rappelons que lorsque Airbus signe, le vol EM-1 (Exploration Mission 1, vol inhabité qui fera au moins une orbite autour de la Lune) était prévu pour décembre 2018. Ne restait donc que 4 ans pour développer et livrer un module de service pour vaisseau habité. Or ATV ne préparait pas à tout non plus. L’ESM, c’est un puzzle de 20000 pièces de haute technologie, qui doit en même temps être suffisamment fiable pour qu’on lui confie la vie de 2 à 4 humains. 8,6 tonnes de carburant, avec un moteur principal et 32 propulseurs auxiliaires RCS. Une fois chargé et prêt pour le vol, l’ESM pèsera à lui seul plus de 13 tonnes, ses panneaux solaires lui donnant une envergure de 19m une fois le module décroché.
Contrainte supplémentaire, c’est la NASA qui a choisi le moteur du module de service, en souhaitant l’installation d’un moteur SSOMS (Space Shuttle Orbital Maneuvering System). Si vous vous souvenez des navettes, il y avait à leur queue les 3 moteurs principaux RS-25, mais il y avait aussi dans deux « pods » autour de l’aileron central, deux moteurs SSOMS. Ce sont donc ces moteurs qui sont installés sur le module de service d’Orion.
On les voit bien ici les deux moteurs OMS à gauche et à droite sur cette navette à l’envers.
Crédits NASA.
La « Ligne Rouge » pour EM-1
Il faut bien comprendre qu’il n’est pas possible de livrer le module de service d’Orion quelques mois avant le décollage, de l’assembler rapidement avec Orion, puis avec l’étage supérieur du lanceur SLS et hop hop, direction le pas de tir. Non, s’agissant d’un système vital (même si EM-1 n’embarquera pas d’astronautes), l’ESM doit être testé avec la capsule en amont. Pour vérifier par exemple que toutes les interfaces sont correctes (électricité, oxygène, système de refroidissement, commandes de moteur, télémétrie, etc). Mais aussi pour vérifier que structurellement, l’assemblage Orion + ESM pourra résister aux rigueurs du décollage, à plusieurs semaines de vide spatial… Et pourra se séparer avant que la capsule ne fasse sa rentrée atmosphérique. Bref, des mois de campagne d’essais avant même l’intégration finale, qui durera plus longtemps sur le vol EM-1 que pour le suivant, histoire d’affiner les procédures mais aussi d’étrenner les nouvelles installations au Kennedy Space Center. Pour que le développement se fasse de façon optimisée, l’ESA livre en décembre 2015 un ESM « structurel » de test, qui fait les mêmes dimensions et masses que le « vrai », sans toutefois avoir de fonctionnalité. Cela permet déjà de tester le transport, l’assemblage, les contraintes mécaniques, etc. Puis début 2017, un modèle de qualification est livré. Celui-ci dispose de la « plomberie », des moteurs et des contrôleurs en plus des bonnes dimensions. Il a été testé jusqu’à l’été 2018 par la NASA, ce qui a entre autres permis de détecter quelques variations de poussée indésirables sur les moteurs SSOMS.
L’ESM « structurel » assemblé à la structure de jonction avec Orion (le cylindre noir mat en haut) pour des tests. Crédits ESA/NASA
Et le modèle de vol pour EM-1 ? Eh bien il prend l’avion le 5 novembre pour rejoindre les USA. L’envoi a été régulièrement repoussé depuis plus d’un an, mais cela a permis aux équipes à Brême de faire des corrections sur le modèle de vol, tout en restant plus ou moins « dans les clous » vis à vis du planning. Car le module européen a régulièrement, depuis 4 ans été l’élément sur la Ligne Rouge du calendrier de ce premier vol : l’ESM était sur le « chemin critique », celle à partir de laquelle l’agenda est incompressible et qui va déterminer le retard total du projet. Mais l’ESM n’a jamais été seul sur ce chemin critique. Tantôt avec le logiciel de vol de la capsule Orion (un moment très en retard), tantôt avec les gigantesques pièces qui constituent le premier étage du lanceur super-lourd américain. Ce sont ces dernières qui sont sur la Ligne Rouge aujourd’hui : livré en novembre 2018, l’ESM européen aura le temps de subir des tests intensifs avant d’être accouplé à la capsule Orion fin 2019 ou début 2020, et d’être acheminé avec elle sur le lanceur, puis sur le pas de tir. A l’IAC, au début du mois, les responsables de la NASA avaient prévenus : tant que le module est livré avant fin novembre, ce n’est pas lui qui sera pointé du doigt !
Relevons tout de même que l’histoire pourtant courte de ce composant international indispensable au vol EM-1 n’aura pas été un long fleuve tranquille, sur le plan institutionnel (budgets, etc) comme industriel. Travailler « pour » les américains est toujours un exercice fascinant…
Dernier coup d’oeil aux réservoirs avant d’installer le dernier panneau des radiateurs externes.
Crédits ESA/Airbus
Quelle suite pour la contribution ESA ?
A Brême, les équipes seront encore occupées quelques temps. Le contrat dévolu à Airbus D&S inclut un second module de service européen, à livrer avant un vol, habité cette fois, de SLS autour de la Lune en 2022 (Mission EM-2). Même s’il semble aujourd’hui évident que cette mission sera retardée à 2023 ou au-delà, le second exemplaire d’ESM est lui déjà sur de bons rails. Non seulement sa structure primaire est terminée, mais les équipes ont commencé depuis l’été 2018 à préparer son électronique, ainsi que la fabrication de ses éléments principaux. Le travail sera bien sûr beaucoup plus facile que pour le premier ESM, équipes, outillage et documentation étant disponibles sur place, d’autant que les retours des deux dernières années de test ont pu améliorer le travail des équipes allemandes.
Il serait logique de pérenniser le travail de l’agence européenne, en signant un accord cadre pour un à deux vols supplémentaire d’Orion, en 2025 et 2026 par exemple. Pourtant la NASA n’a pas elle-même reçu de confirmation pour être en mesure de construire plus que deux exemplaires de son lanceur SLS.
La structure du second module de service EM-2, qui supportera un vol de 3 semaines avec des astronautes, autour de la Lune. Crédits Airbus
C’est pourtant un élément crucial de la suite des opérations. Lockheed Martin espère (toujours !) reprendre la main sur le module de service, les européens voudront probablement garder un pied dans ce projet qui leur permet de participer à une ambition de vols habités plus loin que l’orbite basse. Le souci, c’est la capacité limitée (c’est une question de politique) de la NASA à concevoir et valider ses missions ambitieuses pour la prochaine décennie. Acter le développement de la station « Lunar Gateway » (LOP-G) serait une clé évidente pour donner une raison d’être au projet SLS, et signer les deux ou trois vols de l’agenda permettrait aux industriels de voir plus loin. Nul doute aussi que le module de service européen contienne des marges importantes de gains de masse, d’efficacité, de potentiels pour des nouvelles propulsions, etc. Si tant est qu’on leur laisse un peu la bride, les européens pourraient fournir bien plus que ce rôle de sous-traitant de luxe. Mais tout ça est pour l’avenir : il faut déjà que le premier ESM vole, et pour ça, en route pour les Etats-Unis ! Bonne route !
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