[NASA] Un pas discret vers la Lune
Il y a les programmes lunaires qui n’ont aucune ambiguïté, comme les aventures que mènent les chinois depuis une décennie et qui vont culminer cet hiver par l’atterrissage d’une sonde et d’un rover sur la face cachée de la Lune. Et puis il y a les atermoiements de la NASA au sujet de la Lune. Depuis un peu plus d’un an, le président américain a ordonné une orientation de son agence spatiale vers des opérations lunaires. En plus de donner un but au lanceur super-lourd en cours de construction (une base lunaire en orbite), cette « Directive Spatiale Numero 1 » a produit cette semaine une première sélection d’entreprises qui auront la lourde tâche d’emmener des charges vers la surface lunaire. Pourtant, en coulisses, les changements politiques des USA ont déjà fait changer le message…
On l’oublie parfois mais là haut… Il y a de quoi faire ! Crédits NASA
9 entreprises pour le CLPS
Pas facile de s’y retrouver, parce que initialement, la NASA comptait sur un retour « mitigé » dans les environs lunaires, à savoir sa belle station orbitale autour de la Lune qui permettrait d’étendre le spectre de ses activités progressivement hors de l’orbite basse au cours de la prochaine décennie. La « Directive lunaire N°1 » est venue bouleverser un peu tout ça, et l’agence y a répondu en lançant plusieurs programmes en parallèle avec cette fois pour objectif d’étudier aussi la surface lunaire en devenant de plus en plus ambitieux, tout en s’appuyant sur des partenariats publics-privés, suite aux succès des précédentes expériences avec l’ISS.
C’est là qu’à mon sens ça pèche un peu : ce lanceur de Firefly ne sera pas disponible avant un certain temps… Crédits Firefly
Le premier de ces programmes est le CLPS, ou Commercial Lunar Payload delivery Services. L’appel a candidature a été proposé le 27 avril et finalisé cet été, et l’agence a annoncé la sélection de 9 entreprises le 29 novembre. L’énoncé du programme est assez simple : la NASA cherche à envoyer des charges légères sur la Lune et pour cela, va faire appel à ces différentes entreprises qui se sont déclarées capables. En réalité, cela veut dire que seules ces 9 entreprises sont habilitées à postuler aux différents appels d’offres à venir dans le cadre du CLPS, pour les 10 prochaines années et dans la limite contractuelle sur 10 ans de 2,6 milliards de dollars. En gros pour un cas d’application concret, mettons que la NASA souhaite tester une foreuse sur le pôle Sud de la Lune. C’est un instrument de moins de 50 kg, elle fait donc appel au CLPS et lance un appel d’offres pour un lancement à date fixe. Seules les entreprises sélectionnées pourront y répondre et proposer leurs services. Après quoi la NASA peut en sélectionner une et signer un contrat en bonne et due forme pour un lancement, par exemple en 2021. Cela permettra des partenariats accélérés et surtout cela évite à l’agence américaine de s’ennuyer à concevoir des plateformes d’atterrissage, à passer des contrats avec les opérateurs de fusées et éventuellement à préparer des missions de retour d’échantillons. L’avantage justement de ce type de contrat, c’est que l’agence fournit son instrument, sa charge utile si on veut, et puis un chèque. Charge à l’opérateur sélectionné de faire le reste.
La liste des « sélectionnés » du CLPS. Crédits NASA
Cela pourrait vous choquer de ne connaître quasiment aucune des entreprises qui sont présentées, à part Lockheed Martin aucune n’a participé de façon significative à des missions spatiales d’importance jusqu’ici. Cependant, on a déjà parlé d’au moins quatre autres, à savoir Moon Express et Astrobotic au cours du challenge lunaire Google Lunar X-Prize, Masten Space Systems pour leurs essais de moteurs et d’atterrisseurs toujours plus perfectionnés et Deep Space Systems pour leur envie d’aller forer des astéroïdes dans un futur proche. N’empêche que même pour ceux qui ont une expérience (même limitée) aller poser des charges sur la Lune, ou réaliser des missions au profil unique et particulier, ce sera très difficile… Car l’agence américaine envisage un premier appel d’offre à finaliser dès le début de l’année prochaine (si elle obtient son budget).
Chez Moon Express, ce sont des habitués des partenariats et des propositions NASA (après CATALYST par exemple). Au fil du temps, ils sont devenus parmi les plus sérieux… Crédits Moon Express.
Toutefois le CLPS n’est pas le seul programme initié par la NASA dans le cadre de son exploration lunaire à venir. En effet, vous entendrez aussi parler un jour du CLTC ou Commercial Lunar Transportation Capability, qui lui aussi sera finalisé dans l’année à venir. Cette fois, il ne s’agit plus d’embarquer les expériences de la NASA, mais de réaliser un véhicule capable d’emmener 500 kg de charge utile au minimum sur la surface lunaire, avec au minimum deux missions contractuelles qui seront commandées par l’agence. Ce contrat sera au moins aussi imposant que le CLPS parce qu’il implique une structure de mission bien plus compliquée que d’emmener quelques petites charges. On parle d’un lanceur imposant, d’un atterrisseur qui sera plus gros que ceux des missions Chang’e chinoises actuelles… Bref, ce sera du lourd… Si et seulement si la NASA continue de pousser le concept. Car en effet c’est le point noir de toute cette architecture : elle dépend fortement de l’orientation que les politiciens veulent donner à leur agence spatiale publique. Il y aura bien une « poussée » vers la Lune accompagnée par les industriels, cela ne fait aucun doute… Mais il sera difficile de savoir jusqu’où l’agence pourra s’impliquer dans un contexte aux budgets contraints. Reste que la concurrence internationale va jouer en faveur de ces initiatives CLPS et CLTC : en janvier la Chine devrait se poser sur la face cachée, en février-mars l’Inde essaiera d’atterrir elle aussi… Les américains, qui ont l’habitude de dominer leur sujet, se sentiront logiquement exclus de cette aventure et voudront en faire plus.
Vous connaissez Intuitive Machines ? Moi non plus. Crédits NASA/Intuitive Machines
Le très discret #Moon2Mars
Il n’aura pas échappé au plus observateurs d’entre vous que les élections américaines de mi-mandat ont donné le beau rôle aux démocrates. Loin de moi l’idée de juger en bien ou en mal leur politique, il reste que les démocrates ont traditionnellement une vue des objectifs de la NASA différente de leurs collègues républicains… Ce qui est ennuyeux pour l’agence en cette période de vote des budgets et de recherche du consensus. En effet, sous l’impulsion des républicains (en tout cas ces 20 dernières années) le Congrès américain dirige la NASA vers la Lune, tandis que sous celle des démocrates, l’agence tourne ses efforts vers Mars. Les deux camps ont des arguments totalement valables, mais vous conviendrez qu’il n’est pas facile de construire une suite de projets ambitieux quand l’objectif final change radicalement après quelques années. C’est pourquoi l’agence cherche toujours à faire l’unanimité et à disposer d’un soutien « bipartisan ». Une bonne initiative pour la NASA est d’argumenter que la Lune fait en réalité une magnifique première étape vers Mars, et que donc tout ce qui est développé avec l’objectif lunaire servira « plus tard » lorsque l’attention sera revenue vers la planète rouge. Pour ça, l’annonce du contrat CLPS s’est faite avec le hashtag #Moon2Mars qui marque à nouveau un changement léger de message. Après le « Journey To Mars » de 2014 à 2017 puis le « Back to the Moon » depuis l’année dernière, voici le prudent « Moon to Mars » qui permet de souligner que de toute façon l’agence n’a pas d’objectif préféré entre les deux rivales planétaires, mais qu’elle a besoin de stabilité… Ce qui est peut-être le plus important. Au risque toutes les initiatives lancées cette année suite aux demandes présidentielles ne tombent… dans l’oubli. Au profit des autres nations qui ont pour certaines un programme explicite et ambitieux.
L’atterrisseur Peregrine d’Astrobotic, que je connais bien car j’ai interviewé son PDG lors du dernier salon du Bourget.
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