[Arianespace] Toujours sur le ring
A force de lire et d’entendre la puissance de la force de frappe des chinois (39 vols l’année passée !), d’observer les développements de SpaceX ou tout simplement de suivre les annonces concernant les futurs lanceurs, on pourrait croire qu’Arianespace, et par prolongement Arianegroup, est dans une situation difficile. Ou même, dans une situation inextricable entre les demandes du marché et les réalités d’un fournisseur de services de lancement européen… Pourtant, comme chaque année, la réunion du bilan annuel d’Arianespace montre des chiffres impressionnants et une résistance forte dans cet environnement concurrentiel. Alors, où en est-on ?
Que voulez-vous, elle fait partie du paysage… Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/G. Barbaste
Un carnet de commandes pléthorique
Alors certes, les plus observateurs auront remarqué qu’entre fin 2017 (5 milliards de lancements en commandes, 58 lancements) et fin 2018 (4,2 milliards de lancements en commandes, 54 lancements), les chiffres pour Arianespace se sont contractés. Mais tout ça reste très élevé et le nombre de tirs prévus est particulièrement bon, dans le contexte actuel puisqu’il couvre des lancements des 3 familles de lanceurs (Vega, Soyouz, Ariane 5 et 6) pour l’entrée dans la prochaine décennie. Avec 11 tirs l’année dernière, dont 6 entre septembre et décembre (tous réussis) les équipes en Guyane ont montré à leurs clients que respecter les cadences tout en répondant au défi constant de la fiabilité (qui reste LE credo européen) était possible et à leur portée. Bien sûr, en 2018 il y a aussi eu un couac important avec un vol Ariane 5 mal configuré, menant à une orbite mal inclinée. Mais de ce point de vue là, la communication a joué son rôle d’apaisement, et les clients n’ont, dans leur globalité, pas tenu rigueur à Arianespace de cette erreur (les seuls impactés, YahSat, ont demandé un dédommagement à leur assureur). Mais au delà de ça, le 100è vol d’Ariane 5 a pu avoir lieu sereinement, la version ES a terminé sa carrière sur une réussite et les vols à ne surtout pas rater (BepiColombo, Aeolus, CSO) ont été de franc succès.
Eh oui, cette mission là va vers Mercure grâce à Arianespace ! Crédits ESA
En 2019, Arianespace prévoit finalement 12 vols. Et si ironiquement, c’est le même objectif depuis 2014, l’entreprise basée à Evry compte s’en donner les moyens avec déjà des campagnes engagées sur Vega, Soyouz et Ariane pour le 1er trimestre (4 tirs prévus). Le premier décollage de l’année devrait avoir lieu sur Ariane 5 le 5 février, les deux satellites qui seront sous la coiffe sont déjà arrivés à Kourou et la campagne de préparation suit son cours. L’un des vols les plus attendus de l’année par les grands noms de l’industrie des télécoms suivra le 19 février (si tout se passe bien) sur Soyouz : c’est le premier tir au service de la constellation « internet » de OneWeb, avec dix unités à bord. Ces prototypes serviront de base de test avant le déploiement prévu en masse d’ici la fin de l’année à partir de Baïkonour (mais sous l’égide d’Arianespace via sa filiale Starsem). Autre lancement très anticipé cette année, celui de Vega pour sa mission équipé du SSMS, un dispositif modulable qui permet de libérer plusieurs configurations multi-satellites avec plusieurs unités entre 2 et 200 kg ! Développé grâce à l’ESA, le SSMS (Small Spacecraft Mission Service) rendra Vega plus attractif : ces types de missions sont de plus en plus demandés par les clients, et les constellations de nano-satellites sont à la mode. Côté institutionnel, il y aura plusieurs missions au service d’états européens (Prisma, CSG-1) et du reste du monde (Falcon Eye, Geo-Kompsat 2, GSAT-31, etc) ainsi que le télescope orbital CHEOPS (ESA) qui tentera de caractériser, une fois en orbite, des exoplanètes connues. Enfin, on attend pour la « fin de l’année » le premier vol de la nouvelle version de Vega, en préparation depuis 2014-15 : Vega C.
En attendant la version « C », la Vega « classique » s’est illustrée en 2018 avec son 13è succès d’affilée. Crédits CNES/ESA/Arianespace/CSG/S. Martin
Des adversaires qui souffrent
Etant en France, on entend forcément plus parler d’Arianespace et d’ArianeGroup que de leurs concurrents. Alors oui, le groupe français se plaint. A raison sur plusieurs sujets, par exemple le manque de cohérence des nations européennes qui se refusent à signer une préférence européenne pour leur accès à l’orbite (grand débat dont on a déjà parlé, qui est d’une logique limpide même s’il installerait de fait un monopole mais bref). Ou sur les tergiversations techniques, les méfaits des retours géographiques et le manque de compétitivité d’un euro fort. Bien entendu, la situation pourrait encore être meilleure pour ArianeGroup et Arianespace, qui fut deux décennies durant le leader incontesté des appels d’offres pour des satellites commerciaux (et reste numéro 1 mondial). Mais cela éclipse les difficultés des adversaires du groupe européen, qui souffrent globalement plus du climat de grande compétitivité et de réduction des commandes dans le secteur des satellites de communication. Le groupe ILS, qui commercialise Proton et Angara 1.2 n’a pas annoncé de commande substantielle depuis des années (mais réalisera deux vols si tout se passe bien en 2019, après un zéro pointé en 2018). De la même façon, ULA n’a pas réussi à percer sur le segment commercial, même s’il va emmener un certain nombre de charges utiles vers l’ISS dans les années à venir (y compris des gens). OmegA, de Northrop Grumman, ne sera qu’un lanceur institutionnel et ne vise pas les lancements commerciaux tandis que New Glenn, le lanceur de Blue Origin aux larges capacités, n’a pas réussi à ma connaissance à débaucher de nouveaux clients l’année dernière. A l’inverse, Arianespace, c’est tout de même 18 contrats signés l’année dernière et surtout les deux tiers de ses clients qui sont des opérateurs commerciaux. Même SpaceX, qui est l’un des artisans des fameuses inquiétudes (fondées) des européens, ne s’est pas fendu d’une liste exceptionnelle de nouvelles signatures (hors gouvernement US) l’année dernière.
Le satellite français ANGELS sera mis en orbite par Arianespace en 2019. Crédits CNES
Et puis en 2018, il y a enfin eu quelques annonces longtemps attendues pour des contrats concernant Ariane 6. Or ces derniers se faisaient attendre: à l’exception des deux premiers vols commerciaux (Galileo), rien n’était signé. Aujourd’hui, il y a des commandes supplémentaires pour Ariane 62 (CSO-3) et Ariane 64 (Eutelsat a signé pour 5 tirs) et même si l’entreprise estime que c’est peu au regard de ce qui aurait pu être signé, ce sont des engagements forts pour un lanceur qui a encore tout à prouver, même s’il a d’excellentes racines. Les autres futurs lanceurs n’ont pas tous cette chance : Vulcan n’a pas encore de commandes (mais un contrat de développement), la H-3 a réussi à décrocher un unique contrat commercial et Angara n’est pas encore commercialisée, ni la GSLV Mark 3 pour l’instant… Tandis que les chinois sont toujours exclus de la majorité des appels d’offres.
La « vraie » star de Kourou c’est elle ! Profitons-en : on devrait la voir encore beaucoup cette année et l’année prochaine, mais ensuite… Crédits CNES/ESA/Arianespace/CSG/S.Martin
La lente progression de la technique
En 2018, il y a eu la confirmation également que la majorité des concurrents d’Arianespace sont en retard dans leurs développements. Il n’y a eu qu’un seul vol de la Falcon Heavy (tandis que bon, elle est théoriquement bien concurrente d’Ariane 5 et 6), Vulcan est repoussé à 2021, New Glenn aussi (au moins), Angara fera à priori un seul vol en 2019 et son pas de tir dédié ne sera prêt qu’en 2022-23 à Vostochny. C’est comme ça, dans le spatial les annonces dépassent souvent la technique. Mais en attendant ça créé un environnement plutôt favorable pour les européens… Si ces derniers tiennent leurs propres cadences. Et sur ce point, les industriels se veulent rassurants, mais il y a tout de même à minima des interrogations. Par exemple, les tests des boosters P120C à Kourou. Il y en a eu un seul l’année dernière, en juillet. Mais le test était initialement prévu en mars, avec un second avant la fin de l’année. Or si le booster est à présent sur son banc d’essai, il ne sera allumé qu’à la fin du mois. Est-ce que ce sera suffisant pour le qualifier, réaliser un dernier essai et en installer un autre sur la première Vega-C dans l’année 2019 ? En coulisses, plusieurs voix en doutent. D’autre part, il y a aussi eu quelques concessions sur Prometheus, le futur moteur méthane-oxygène prévu pour diviser par dix le coût de la propulsion de la génération post-Ariane 6. Initialement il était prévu de lui faire subir ses premiers tests « en 2020 ». Or c’est 2021 qui est évoqué maintenant.
Et qu’adviendra-t-il de celle-ci en 2022-23-24 ? Difficile à dire, mais Arianespace ne devrait pas se presser de la commercialiser : elle sera alors en concurrence avec Ariane 62 d’un côté, et Vega C (et surtout E) de l’autre. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P. Piron
Mais l’étape la plus critique sera sans doute celle d’Ariane 6, dont la date du premier décollage semble toujours tenir pour le 16 juillet 2020. C’est dans 18 mois et il faut quand même constater qu’il reste beaucoup de travail, que ce soit pour le chantier (même s’il avance à grand pas) qui devra être terminé sauf finitions en 2019 pour avoir le temps de faire les milliers de tests nécessaires avant l’arrivée du lanceur, ou pour les autres éléments. Les composants d’Ariane 6 doivent par ailleurs être produits puis acheminés sur le site d’ici le début de l’année prochaine, en sachant que logiquement pour sa première campagne, la fusée passera plus de temps à la fois dans le bâtiment d’intégration à l’horizontale, ou sous son portique rétractable. Le défi semble cependant toujours à la portée des équipes et la communication n’a pas varié d’un iota depuis quatre ans environ… Et ça, c’est presque une aussi bonne nouvelle que les bilans annuels !
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