[SpaceX] La route est longue avant SuperHeavy
Derrière la frénésie médiatique qui accompagne les images et vidéos twitter postées par son PDG et créateur Elon Musk, SpaceX progresse en ce début d’année sur des sujets qui sont capitaux pour l’avenir de l’entreprise. Et dans l’immédiateté de ces informations, il est parfois difficile de se faire une bonne idée de la situation globale des développements. Alors voici un post pour faire un petit point de sujets chers à SpaceX, et déterminants par écho pour tout le reste de l’industrie spatiale.
Si certains matins sont chantants chez SpaceX, ce ne sont pas les défis qui manquent. Crédits SpaceX/NASA
Le pari Starship / SuperHeavy : c’est encore flou
La nouvelle du jour sur twitter, c’était assurément ces images du premier test au banc du modèle « de vol » du moteur méthane-LOX (oxygène liquide) de SpaceX, le Raptor. C’est peut-être le premier moteur de la « nouvelle génération » méthane à arriver à cette phase de son développement et c’est un moment excitant. 200 tonnes environ de poussée annoncée et une combustion étagée complexe, l’engin a tout pour impressionner le public averti comme le béotien. On y remarquera qu’il fut dès sa conception pensé pour être réutilisable et que sa forme est particulièrement adaptée pour rentrer dans une architecture à « casier » qu’utilise SpaceX pour ses étages de fusée : les moteurs sont rangés et espacés par des parois blindées qui autorisent l’arrêt voire l’explosion d’un moteur en vol sans impact pour ses voisins, d’après l’entreprise. Si le chef d’entreprise avait annoncé en décembre une version complètement modifiée du Raptor, on peut d’ailleurs se demander si c’est cette dernière qui est arrivée au banc. En effet, ce moteur est en développement actif depuis des années et l’US Air Force aura injecté presque 100 millions de dollars dans l’aventure depuis 2016 (33 + 16 + 40 millions), tandis que SpaceX a (au moins) placé 60 millions de dollars sur la table. L’artillerie lourde donc, pour ce moteur qui doit assurer l’avenir des programmes Starship et SuperHeavy qui ne sont autres que la « navette » de SpaceX avec ses 7 moteurs (vous savez, celle qui doit tout faire y compris emmener des touristes autour de la Lune) et son booster principal, l’ancien BFR, et sa propre constellation de… 31 Raptors. Inutile de préciser dans ce contexte que ce premier test à McGregor au Texas ne sera que le pionnier d’une très longue série avec de longues durées, plusieurs allumages, des contraintes dégradées, des changements de mélange, etc. Bref, toute une batterie d’essais qui prendra du temps. Alors évidemment, il est possible de qualifier « rapidement » le premier moteur pour valider les modèles dédiés au prototype à quelques centaines de kilomètres de là à Boca Chica, mais le programme de test pour les vrais moteurs de Starship prendra plus de temps. Et si le programme était mené dans l’ordre classique, on parlerait de plusieurs mois, voire plus d’un an.
Le spectacle reste d’une rare qualité. Crédits SpaceX.
Certains ont d’ailleurs oublié que le modèle de Starship construit « en extérieur » à la grue et au chalumeau sur le front de mer texan n’était qu’un prototype dédié, au mieux, à faire quelques « sauts » au-dessus du site pour étrenner cette nouvelle génération de moteur et montrer une fois de plus aux concurrents que oui, SpaceX sait faire atterrir des prototypes. Fussent-ils moins résistants que des abris de jardin, comme en témoigne le résultat de grosses rafales de vents le 22 janvier au soir : la moitié supérieure de ce « Starship Hopper » a été renversée sur son flanc alors qu’elle était dressée à quelques dizaines de mètres de l’assemblage en cours. Effondrée sur elle-même, la structure prendra plusieurs semaines de réparations supplémentaires d’après les commentaires d’Elon Musk. Les équipes à Boca Chica ne se sont d’ailleurs pas précipitées sur le côté pointu et abîmé pour travailler, ces deux dernières semaines étant concentrées sur les réservoirs internes du lanceur. Une chose est certaine, si ce « truc » quitte un jour le plancher des vaches, sa construction n’aura en rien été représentative des capacités de SpaceX pour la conception, la fabrication ou l’assemblage d’un lanceur. Ce sera plutôt une sorte d’ode à la simplicité, à la rusticité et peut-être à la puissance des nouveaux moteurs capables de faire voler un silo à grain recouvert de belles plaques d’aluminium au-dessus des plages.
L’angle de vue particulièrement travaillé qui a permis à SpaceX de faire la promotion de son « Starship » comparé à une vue vidéo. Après la photo, le haut a été démonté : il n’y avait pas de réservoirs à l’intérieur. Crédits SpaceX
Au-delà de la blague, il y a aussi une réalité : le fait qu’Elon Musk et ses équipes de recherche aient changé leur fusil d’épaule pour Starship : fini les matériaux composites à base de carbone, voici un alliage de métal à partir d’acier inoxydable. Ce qui ne veut pas dire que les exemplaires orbitaux de Starship seront construits sur le bord de la route (je sais, j’exagère avec cette histoire mais… bon.), plutôt qu’ils fêteront le retour des alliages métalliques à haute technicité pour le revêtement de pièces spatiales. Car oui, si le projet arrive à maturation il y aura tout un système de refroidissement liquide et d’évaporation entre et à travers les couches de « peau » de Starship. Toutefois une fois de plus, il faudra être patients. En plus de n’avoir aucun pas de tir aujourd’hui (les premiers vols orbitaux seront ils menés à Boca Chica ? le flou persiste), Starship ne pourra voler qu’après plusieurs campagnes de test. Nous aurons donc largement le temps d’en reparler. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant qu’en 2019 SpaceX et/ou Elon Musk fassent un « point » sur le développement d’une version initiale du duo Starship/SuperHeavy avec des précisions très attendues sur les coûts, les capacités et le potentiel agenda.
Le développement des moteurs Raptor sera évidemment au centre des débats sur le nouveau vaisseau. Crédits SpaceX/Elon Musk
La réutilisation fonctionne, mais n’a pas tout balayé
C’est un défi qui a pris sa forme finale il y a quatre ans seulement, lorsque SpaceX a commencé ses tentatives d’atterrissage de l’étage principal de la Falcon 9 sur une barge automatisée en mer. Un défi qui aura nécessité beaucoup de sueur mais qui a réussi, pour la première récupération en décembre 2015 et pour la première réutilisation il y a moins de deux ans, en mars 2017. Depuis, voir des étages recyclés sur une Falcon 9 ne fait plus débat. Aucun vol n’a eu de problème à cause d’une pièce réutilisée et la « flottille » de boosters de SpaceX s’est étoffée avec l’apparition l’année dernière de la dernière génération, la Block 5. On sait maintenant qu’un booster de SpaceX peut au moins réaliser 3 vols en moins d’un an, si les équipes s’en occupent correctement. Alors certes, c’est une technologie qui est encore jeune, dont les débuts n’ont même pas 5 ans. Mais la fameuse révolution des coûts et de la façon d’utiliser un service d’accès à l’orbite n’a pas (ou pas encore) fondamentalement évolué. Certes, SpaceX se permet des tarifs historiquement bas sur les contrats commerciaux (50 millions de dollars, et parfois moins) mais continue de facturer plus de 100 millions à son propre gouvernement ce qui, malgré d’évidents coûts supplémentaires induits, continuera à alimenter de légitimes soupçons de dumping de la part de ses concurrents. Utiliser un booster réutilisé n’a pas divisé les coûts par deux, ni pour les clients commerciaux, ni pour les institutionnels, et compte tenu des dépenses de SpaceX dans des développements pharaoniques tels que Starship/SuperHeavy ou la constellation de positionnement Starlink, il sera difficile de faire jouer la guerre des tarifs à la baisse dans les années à venir. D’autant qu’il faudra plus ou moins rembourser les propres développements de la Falcon 9 réutilisable, chiffrés à plus d’un milliard de dollars. Toutefois on peut signaler que pour SpaceX, les vols « classiques » de Falcon 9 sont de moins en moins chers. Déjà parce que l’entreprise en produit moins, ce qui nécessite moins d’employés (on n’oubliera pas les 600 d’entre eux qui ont été licenciés en janvier), mais aussi parce qu’après pratiquement dix ans d’opération, le lanceur est optimisé pour la chasse aux performances et aux coûts. Il ne reste d’ailleurs que deux efforts de développement significatifs qui le concernent, les vols habités et la récupération des coiffes.
Spectaculaire, certes. Techniquement et humainement fascinant. Mais ça les anciennes pratiques ont la vie dure, et tout ça coûte très cher. Crédits SpaceX/Elon Musk
Faire plus avec moins, le défi de 2019
Vous aurez remarqué qu’en janvier, SpaceX n’a réalisé qu’un seul tir orbital, depuis son site de Vandenberg en Californie. Un succès, mais qui ne masque pas que cette année 2019 sera compliquée en terme de cadences. En effet, les contrats ne se bousculent pas et les charges utiles sont rarement livrées en avance. Du coup en février aussi, c’est un seul vol qui devrait avoir lieu, et ce depuis le LC-40 en Floride. Il aurait pu théoriquement y en avoir deux, mais la capsule Crew Dragon n’a pas encore reçu toutes les autorisations pour décoller vers la station internationale, et ce ne sera probablement pas le cas avant le début du mois de mars (c’est difficile en plus, il faut la « caler » dans le calendrier de l’ISS). En 2019, on va rentrer dans le « dur » des baisses de contrats commerciaux vers l’orbite géostationnaire, et il paraît douteux aujourd’hui que SpaceX puisse supporter plus de 18 à 20 vols grand maximum cette année alors même que les besoins financiers de l’entreprise n’ont jamais été plus hauts : SpaceX a déjà beaucoup emprunté l’année dernière pour débloquer ses programmes Starlink et Starship, et elle est engagée dans des projets qui n’ont ni le droit d’échouer (les astronautes du Commercial Crew), ni le droit d’être trop en retard sur la concurrence (Starlink). Comme si le challenge ne suffisait pas, il faudra en plus ajouter la complexité technique de la Falcon Heavy qui reviendra sur le devant de la scène aussitôt que la capsule du vol DM-1 sera en route pour l’ISS, avec pas moins de deux vols espérés au cours du printemps.
Les ressources seront donc limitées et les objectifs, toujours aussi ambitieux. Ce que l’on peut espérer pour SpaceX, ce sera la seule façon dont ils pourraient s’en sortir : le succès, et le succès à tout prix. Car il faudra, pour la bonne santé du groupe avancer sur tous les sujets majeurs sans (trop) se tromper. Un défi, un vrai challenge. Mais on peut aussi se poser la question : et si SpaceX était la seule firme suffisamment équipée pour y faire face ?
Qu’est-ce qui est noir et blanc et qui attend… crédits SpaceX
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