[Vega] l’Italie fait des envieux
Dans la nuit de jeudi au vendredi 22 mars, très tôt à 02h50 (Paris), l’une des campagnes les moins médiatisées d’Arianespace est arrivé à son point critique : le lanceur Vega a pu allumer son moteur principal P80, et s’élancer dans le ciel du début de soirée au Centre Spatial Guyanais, pour un vol qui tout compris aura duré 54 minutes. Un succès majoritairement italien puisque le satellite PRISMA et son lanceurs sont tous les deux sous la responsabilité d’entreprises italiennes et de l’agence spatiale nationale. Engagée dans ce qui était à la base un « marché de niche » l’Italie fait des émules avec Vega et ses versions à venir.
Le satellite italien PRISMA. Compact et ambitieux ! Crédits CNES/ESA/Arianespace/CSG/JM Guillon
PRISMA, un prototype ambitieux
« PRecursore IperSpettrale della Missione Applicativa » est un satellite de 879 kg que l’on pourrait résumer comme étant un prototype de nouvel imageur hyperspectral italien à haute capacité. En plus de sa structure et de ses carburants, PRISMA embarque donc un seul instrument hyperspectral de 90 kg en orbite à 615 kg d’altitude (inclinaison polaire). Centré sur une bande d’observation de 30 km de large, PRISMA est capable de décomposer la lumière réfléchie par le sol en 239 bandes de fréquences isolées avec une résolution de 30m qui permettent d’isoler des variables environnementales comme les taux de chlorophylle, l’hydratation des sols, la pollution, la qualité de l’eau, etc. Couplé à un imageur panchromatique (image « noir et blanc ») d’une résolution supérieure (5m), le satellite sera lors de sa mise en service après les tests, à l’été, l’un des plus performants de sa catégorie. On pourrait faire le rapprochement avec Sentinel 2, dont les unités n’ont « que » 13 bandes de fréquences utiles et une moins bonne résolution, même si la bande d’observation mesure 290 km de côté… Mais surtout, comme il s’agit d’une avancée d’OHB Italia, associé avec l’agence spatiale italienne, c’est une progression européenne dans ce domaine en plein boom (les chinois notamment ont beaucoup investi dans de petits satellites d’observation hyperspectrale) et c’est toujours un bon signe d’avoir une agence qui investit du temps et de l’argent pour mener à bien ce genre de projet jusqu’à la réalisation d’un prototype orbital. Ce sont trop souvent les militaires qui ont ce genre de développements, et la France avec ses petits satellites expérimentaux du CNES est l’une des seules jusqu’ici à tenter le coup. Espérons que PRISMA ouvrira la porte à d’autres projets italiens et/ou européens ambitieux (je pense à la seconde génération de Sentinel…)
Cette vue d’artiste est rigolote car le panneau solaire ne pointe pas vers le Soleil, et l’instrument n’est pas orienté vers la Terre. Crédits PRISMA/ASI
Vega et ses 14 tirs réussis
Il n’y a finalement qu’une grosse dizaine de lanceurs au monde qui sont capable d’afficher une fiabilité telle que leurs 14 derniers lancements sont des réussites. Un chiffre qui se réduit considérablement lorsqu’on ne considère que les lanceurs légers dédiés à l’orbite basse : la CZ-2C chinoise, la rokot russe (dont la carrière est pratiquement terminée), la Pegasus américaine et ses 29 succès d’affilée… Et bien entendu, le lanceur européen Vega. Depuis le début de sa carrière, il a fait un sans faute, ce qui n’est pas unique dans le monde des lanceurs, mais reste très rare lorsque l’on considère des fusées qui décollent plusieurs fois par an. Surtout, c’est un argument de choix lorsqu’on cherche à s’adresser à des clients qui ont en face d’eux toute une palette de solutions différentes pour accéder à l’orbite. En effet, des russes aux chinois en passant par les indiens et la redoutable PSLV qui est particulièrement souple avec les acteurs privés étrangers, les offres ne manquent pas. Mais Vega, malgré un prix élevé, peut maintenant se vanter de proposer un « premium » assez sympathique, en plus de ses autres caractéristiques (une capacité de plus d’une tonne en orbite polaire, des profils de vol complexes avec plusieurs allumages de l’étage supérieur, etc). Pour ce décollage de PRISMA, qui était semble-t-il le 600è satellite mis en orbite par Arianespace, la campagne s’est déroulée dans un silence relatif tout au long des semaines de préparation, l’entreprise comme les agences concernées ne fournissant pas d’images ou presque de la mise en place et des différentes étapes pour organiser le tir… Qui fut reporté de presque 10 jours au dernier moment pour quelques vérifications additionnelles. Le décollage lui-même s’est passé exactement comme prévu, avec les différents étages à ergols solides de la fusée (P80, Z23, Z9) qui ont fait le boulot, puis l’éjection de la coiffe avec une marge sympathique au-dessus de l’atmosphère (170 km !) avant deux allumages pour l’étage supérieur AVUM, un premier pour se mettre en orbite basse et viser la bonne altitude, et un second pour circulariser l’orbite (a noter que comme d’habitude un troisième allumage a eu lieu après éjection de PRISMA pour ne laisser aucun débris en orbite). En bref une campagne rondement menée, malgré quelques menus retards qui vont impacter le calendrier très chargé d’Arianespace en avril-mai.
Le décollage de PRISMA. Mach 1 en 30 secondes, Vega ne se laisse pas dépasser ! crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/S. Martin
Vega Light et Vega E toujours prévus ?
On sait depuis quelques jours que, malgré le passage de l’étape cruciale du « Critical Design Review », le vol inaugural de Vega C n’aura lieu qu’au premier trimestre de l’année prochaine, si tout se passe bien d’ici là… Puisqu’il faudra du temps pour cette première campagne et que le pas de tir est occupé cette année par trois autres tirs de Vega en version « classique ». Mais puisque ce vol PRISMA était l’occasion d’aller interviewer des responsables de programmes italiens sur le satellite mais aussi sur le lanceur et ses futures évolutions, il y a eu plusieurs discussions assez intéressantes sur le futur de Vega. Qui pour l’instant, n’est financé que pour une version Vega normale et Vega C. Mais chez Avio, qui pilote le programme avec l’agence spatiale italienne (et reste maître d’oeuvre avec une « patte » industrielle a quasiment tous les niveaux de la fusée), tout l’intérêt est de vanter la souplesse de solutions futures avec des architectures modulables : Vega « Light » qui serait simplement une Vega sans premier étage, pour emmener des charges très légères de moins de 300 kg en orbite basse, mais aussi une Vega E plus puissante et encore plus souple avec un étage supérieur à propulsion méthane, capable de venir empiéter sur les plates-bandes… d’Ariane 62 (en relativisant toutefois, sur la question des capacités il y aurait plusieurs tonnes d’écart en orbite basse, mais c’est une question de concurrence sur les marchés).
Le portique mobile de Vega, déjà adapté à Vega C. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/S.Martin
Malgré tout, il faut bien se souvenir qu’à ce moment, aucune de ces deux évolutions n’est financée ni décidée sur le plan européen, même si des études ont lieu pour évaluer le marché mais aussi sur le développement de la propulsion. Les observateurs avertis se souviendront que sur le stand d’Avio, on retrouvait déjà une Vega réduite à son strict minimum à l’édition 2015 du Salon du Bourget. Et s’il ne fait aucun doute qu’un lanceur léger européen dédié aux nano-satellites et à bas coût aurait du sens, il faut se souvenir que plusieurs startups se cassent déjà les dents dessus (plusieurs centaines, si l’on prend en compte l’ensemble du monde, même s’il n’y a probablement que 10 ou 12 d’entre eux qui ont une chance de réussir). Alors est-ce cohérent ? Vega restera-t-il le lanceur européen léger, parti d’un marché de niche (l’observation terrestre) et à l’insolente réussite ? Ou bien sera-t-il capable d’évoluer dans la prochaine décennie pour devenir l’indispensable famille phare de lanceurs européens ?
Avec Vega C, il y aura également une coiffe plus large. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/S.Martin
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