[ISS] Cygnus sans anicroche
Ce mercredi 17 avril, un lanceur Antares a décollé de la base NASA de Wallops (Virginie) sur la côte Est américaine pour livrer en orbite un cargo Cygnus, le SS Roger Chaffee (en l’honneur de l’astronaute malheureusement décédé sur Apollo 1), qui a entamé son trajet de moins de deux jours vers l’ISS, sa soute pressurisée pleine de matériel. Une mission au profil « classique » au premier abord, qui contenait en fait tout un lot de nouveautés… Alors même qu’il s’agissait du dernier vol de Northrop Grumman pour le contrat « Commercial Ressuply Services » signé en 2008. Des évolutions qui serviront dans la continuité, puisque le prochain vol programmé à l’automne sera le premier vol du contrat Commercial Ressuply Services… 2.
Antares décolle, gagnant rapidement de la vitesse grâce à ses deux moteurs russes RS-181. Crédits NASA/Bill Ingalls
Décollage à l’heure
Le 17 avril à 22h46 (Paris). La date était écrite depuis plusieurs semaines et tout s’est aligné correctement pour permettre le vol. La météo d’une part, avec un beau ciel bleu sans vent au-dessus du pas de tir, les installations au sol ensuite, et puis le lanceur Antares 230. Comme ce dernier ne vole qu’en moyenne une à deux fois par an, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit un peu capricieux avec ses capteurs, ses lignes de carburants ou son pas de tir. Rien de tout cela: le remplissage des réservoirs a été autorisé en fin d’après-midi et tout s’est bien déroulé jusqu’à T-0 (tout juste quelques questionnements sur une valeur capteur du site au sol). Reste que les campagnes de préparation de Cygnus et Antares sont longues… Mais est-ce vraiment un problème ? Non. La NASA est la seule cliente de Northrop Grumman pour Antares, et le hangar de Wallops permet de préparer deux missions simultanément, pour avoir en continu environ un semestre de préparation et de tests, tandis que le cargo arrive en pièce détachées et est assemblé sur place, avant de le remplir avec les charges utiles. Sortie lundi matin de son hangar sur son énorme véhicule à roue télécommandé, Antares a été déplacée jusqu’à son pas de tir, puis connectée et mise en place pour une répétition générale à vide, avant d’être couchée à nouveau mardi soir pour pouvoir accueillir au sein de la capsule NG-11 du fret de dernière minute. Une capacité nouvelle, grâce à une salle blanche déplaçable qui vient se positionner juste autour du nez de la fusée lorsque celle-ci est placée à l’horizontale. Cela nécessite aussi une nouvelle coiffe, dont le bout peut être démonté pour accéder au cargo Cygnus, pour y placer les précieuses dernières cargaisons. Des fruits frais, quelques denrées périssables et puis pour la première fois sur ce véhicule, quelques souris des expériences américaines « Rodent Research » qui vont vers un funeste mais précieux destin scientifique. Moins de 24h plus tard, la fusée est à nouveau droite et le compte à rebours égrène les dernières secondes du lanceur sur terre.
Antares lors de son chargement « de dernière minute ». Crédits NASA/Bill Ingalls
Les puissants moteurs russes RD-181 d’Antares sont conçus, fabriqués et assemblés en Russie, chez NPO-Energomash et figurent, comme leurs cousins RD-180 (Atlas 5) et RD-191 (Angara) parmi les plus puissants en fonction dans le monde. Ce qui explique du coup pourquoi Antares décolle « aisément » en sautillant de son pas de tir à l’assaut du ciel. Après plus de 3 minutes de poussée, les moteurs s’éteignent et l’étage principal est séparé. Mais le gain de vitesse a été tel que pour mieux profiter des performances de l’étage supérieur, ce qui reste du lanceur Antares fait une pause d’environ 30 secondes et plane vers son apogée, avant d’allumer son moteur solide Castor 30XL. A T+5 minutes, la coiffe est éjectée, et 3 minutes plus tard, le moteur s’éteint: le vol n’aura pas duré 9 minutes que déjà Cygnus est en orbite. Après quelques vérifications et positionnements, le cargo à destination de l’ISS est éjecté à son tour. Il réalisera plusieurs manoeuvres et environ 2h après le décollage, étendra calmement ses deux panneaux solaires circulaires pliables. Le reste de l’approche vers la station se fera par petits ajustements de trajectoire, jusqu’à la rattraper vendredi matin le 19 avril par l’arrière, et de se positionner tout doucement à environ 12m des modules américains pour être attrapé par le bras robotisé Canadarm2.
Les moments les plus intéressants du décollage, pour un live qui n’était pas passionnant au-delà des premières secondes. Crédits NASA/SciNews
Antares a de la marge
Lanceur puissant et trapu, Antares ne montre pas sa taille sous ses aspects de « simple » missile balistique. N’empêche qu’elle fait quasiment 4m de diamètre, et que sa capacité d’emport de 8 tonnes en orbite basse est parfaitement taillée pour envoyer le cargo Cygnus vers la station spatiale internationale… Mais aussi d’autres clients en orbite. On l’aurait oublié, mais pour l’instant, Antares ne volait que pour Cygnus, Orbital, puis Orbital-ATK et enfin Northrop Grumman (au gré des rachats) n’ayant pas réussi à rendre le lanceur compétitif sur la scène commerciale. Pourtant, j’écris au passé, car pour la première fois dans ce vol, il y avait sur un petit adaptateur fixé entre le second étage et le cargo Cygnus un dispositif d’éjection avec un CubeSat 3U, et 60 petits satellites appelés ThinSat, qui font un peu plus que la taille d’un CD de musique (référence de vieux), soit 10x10x3 cm d’épaisseur environ. Et ces satellites, réalisés par et pour des étudiants, ont été financés par la Virginia Commercial Space Authority… Soit un acteur semi-privé ! Alors, assiste-t-on aux débuts commerciaux d’Antares 230 ? Sous une forme dédiée, cela semble difficile, d’autant que Northrop Grumman ne communique pas beaucoup sur ce lanceur en dehors des lancements de Cygnus. Mais avec ses capacités d’emport en orbite, il ne serait pas étonnant que Nanoracks (par exemple) se propose d’ajouter l’un de ses « casiers à satellites » lors des prochains vols, et profite une à deux fois par an des vols d’Antares pour vendre des places au meilleur prix.
Décollage d’Antares, sous un profond ciel bleu de Virginie. Crédits NASA/Bill Ingalls
Le lanceur lui-même ne semble pas prêt à évoluer pour s’adapter à de meilleures capacités, Northrop lui préférant le développement du lanceur OmegA plus puissant. Les changements de coiffe et d’infrastructure au sol pour permettre de charger Cygnus en dernière minute faisaient partie des demandes de la NASA pour le contrat CRS-2, dont le premier vol devrait avoir lieu cet automne, avec un véhicule Cygnus qui pour sa part continue de gagner en performances, et de s’imposer comme une grande réussite pour ce programme commercial. En évoluant par petites touches, tout en continuité, le cargo de Northrop Grumman vise une carrière encore au-delà de l’ISS, pour ravitailler un jour la future station lunaire américaine…
Dans le cargo Cygnus… Moins de 24h avant son lancement. Crédits NASA/Bill Ingalls
Un voyage de 8 mois pour Cygnus ?
Bien sûr, la première partie de son voyage ne durera qu’un peu plus de 36 heures. S’ensuivront environ 3 mois sur la station spatiale internationale (la date de départ est actuellement réglée au 23 juillet), au cours desquels les astronautes vont s’occuper de ses 3,44 tonne de cargo, dont 3,16 tonnes pressurisées. Cela inclut presque une tonne de matériel directement au service des astronautes (y compris de l’air et de l’eau), mais aussi 1.5 tonnes environ d’expériences scientifiques, dont un nouvel appareillage médical pour surveiller la carotide des astronautes, cette dernière subissant visiblement des dégradations lors de voyages longs, qu’il faut mieux étudier et mieux comprendre. Il y a aussi de nouveaux petits robots de la NASA nommés Astrobees, du matériel pour tenter d’imprimer de la fibre optique en orbite et un matériel médical canadien pour bien échantillonner et analyser le corps des astronautes en stockant tout sur une petite mallette. Il y a encore beaucoup d’autres matériels, mais la liste et longue et Cygnus a déjà démontré sa capacité de rester longtemps au sein de la station et d’agir comme un module temporaire, au sein duquel il est même possible d’installer du matériel de recherche : l’intérieur de la paroi peut être aménagée pour recevoir les « racks » de 1m de large qui tapissent les labos scientifiques côté américain. En plus de repartir avec les poubelles, on a déjà évoqué lors de derniers billets la volonté d’Orbital-ATK (et donc de Northrop Grumman) de vouloir augmenter encore ces capacités et les usages différents de sa capsule. Cela devrait continuer à prendre forme cette année, puisque la rentrée atmosphérique de NG-11 n’est pas prévue avant… la fin de l’année.
Le bâtiment d’intégration d’Antares abrite déjà le corps du lanceur en préparation pour le prochain tir à l’automne… Crédits NASA/Bill Ingalls
Mais alors, que fera la capsule Cygnus à 400 km d’altitude durant tout ce temps? Déjà, sachez qu’elle est pour la première fois équipée d’un matériel permettant la stabilisation et le contrôle d’attitude par roues gyroscopiques : auparavant la capsule n’utilisait que ses petits propulseurs d’attitude pour garder le cap et s’orienter (ce qui est logique lorsqu’elle n’est utilisée de façon active que quelques heures/jours). Puisque Northrop Grumman compte démontrer ses capacités à servir de véhicule à la longue durée de vie, montrer qu’elle est contrôlable et orientable à volonté comme un satellite d’observation sera une étape supplémentaire. Ensuite, on l’a dit, le premier vol de la nouvelle série de cargos, NG-12 est actuellement prévu à l’automne. L’entreprise compte donc démontrer sa capacité à pouvoir opérer deux capsule Cygnus simultanément en orbite, ce qui n’a l’air de rien mais n’est pas si évident que ça surtout sur le plan logiciel. De quoi, à l’avenir, proposer de plus en plus de services à la NASA, mais aussi à de potentiels opérateurs privés pour des charges utiles de longue durée dans un espace pressurisé…
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