[Mars] Solutions, préparations et retour sur ses pas…
Sur la surface de Mars, deux robots ont des activités bien différentes. Curiosity continue son chemin dans la vallée riche en argiles qu’il parcourt depuis le début de l’année, tandis qu’InSight n’a pas bougé car… Eh bien, il n’est pas conçu pour ça, tout simplement. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas venir en aide à ses instruments… Et sur Terre pendant ce temps là, les missions se précisent, avec leur lot de questions.
L’instrument allemand HP3 a été « grapiné » ce dimanche 9 juin. Crédits NASA/JPL-Caltech
InSight se prépare à bouger HP3
Vous le savez bien, InSight, c’est l’atterrisseur américain qui s’est posé sur Elysium Planitia l’année dernière en novembre. Depuis, le sismomètre de précision français SEIS fonctionne à la surface après une phase délicate de déploiement. Et même s’il ne détecte pas beaucoup de tremblements de terre (ou de Mars, ici), la croûte et le coeur de la planète rouge sont pour l’instant plus à blâmer que les équipes de Toulouse et Paris, car l’instrument fonctionne et il est bien calibré. A un peu plus d’un mètre de là, c’est une autre histoire. Depuis le mois de mars, les équipes allemandes tentent de déployer la foreuse de l’instrument HP3 (prononcez hache-pet-cube) : une tête de forage métallique de 40cm de long avec un mécanisme de percussion à un bout, et un câble spécial à l’autre bout bardé de capteurs de température, pour étudier la répartition des températures à travers les couches de la surface. Seul problème, arrivée à 30 cm environ dans le sable, la tête de forage a stoppé sa progression. Et depuis deux mois, les équipes tentent de comprendre pourquoi. Mais comme souvent, il n’y a pas qu’une seule piste (il a tapé sur un caillou, haha ces allemands n’avaient pas prévu un caillou comme on peut lire dans certaines bouches très intelligentes). Non seulement car HP3 est conçu justement pour que sa tête de forage puisse « riper » sur un caillou et s’incliner pour passer à côté, mais aussi parce que ça peut être la faute à du sable avec un mauvais coefficient de frottement (il pourrait ainsi se tasser au lieu de laisser passer ce marteau piqueur) ou bien, thèse assez improbable, son câble le retient dans l’instrument. Dans tous les cas, la situation actuelle est ennuyeuse parce que les 10 cm de HP3 qui dépassent de la surface sont encore dans le tube qui a protégé la tête de forage au cours de son long voyage jusqu’à la surface de Mars. Tube qui l’empêche de bouger à présent que la pièce est bloquée. Alors que faire ? Après la réflexion, l’action.
SEIS au centre, et HP3 à gauche, à nouveau attrapé par le grappin d’InSight. Crédits NASA/JPL-Caltech
Même si les équipes allemandes auraient préféré ne pas avoir à en arriver là, il va falloir soulever HP3 avec le bras robotisé de l’atterrisseur InSight. En accrochant délicatement l’instrument au bout du bras (un exercice d’équilibriste), ils vont tenter de le lever et de le reculer pour laisser visible la tête de forage au 3/4 enfoncée dans le sol. Les bénéfices potentiels de la manoeuvre sont nombreux. Déjà en observant la tête grâce à la caméra, on saura quelle est sa situation exacte. D’autre part, en sortant les 10 derniers centimètres du tube, la tête de forage gagne en liberté de manoeuvre : si elle doit contourner un caillou en s’inclinant encore plus, ce sera possible. Enfin, si c’est le tube qui coinçait le câble, on le saura bien vite aussi, car cela fera aussi remonter la tête de forage (un scénario bien pourri lui aussi, mais au moins qui apporte une réponse). Dans l’idéal, cette manoeuvre devrait donc débloquer la situation, et même si tout va bien, on pourrait voir dans une semaine ou deux, la tête de forage s’enfoncer doucement et disparaître dans le sol pour descendre jusqu’à presque 5m de profondeur. Par contre, il y a bien sûr des risques. A cause du bras robotisé déjà : même si jusqu’ici tout s’est bien passé, un faux mouvement et hop, HP3 pourrait se retrouver couché sur le côté, une vraie catastrophe. Ensuite, il y a le risque important que la manoeuvre fasse sortir la tête de forage du sable, et la couche sur le côté. Pareil, ce serait catastrophique. Et ce n’est pas tout, ça pourrait aussi coincer le câble ou pire, le plier et l’endommager. On le voit ici, c’est une prise de risque importante, qui a été calculée avec attention. Reste qu’aujourd’hui, les équipes allemandes et les scientifiques qui attendent des résultats de HP3 n’ont pas beaucoup de solutions à leur portée : marteler à l’infini jusqu’à ce que le tube surchauffe ou que le mécanisme se bloque n’aurait pas d’intérêt. Il faut passer à l’action, et prendre un risque au besoin, pour pouvoir dire qu’on a tout tenté.
Les paysages martiens, ce sont aussi de grandes étendues couvertes de petits cailloux tranchants… Crédits NASA/JPL-Caltech
Curiosity revient en arrière !
Lors de notre dernier bilan des activités sur Mars au mois d’avril, je vous expliquais que Curiosity venait de forer son second trou sur Kilmarie, à peine plus d’un mètre à côté du premier site Aberlady. Depuis, aucun nouveau forage de la part du gros robot, mais les équipes d’opération, en accord avec les scientifiques qui récupèrent les résultats d’observation, n’ont pas chômé. Curiosity a donc passé plus d’une dizaine de jours à proximité de la dune qui bordait le site des deux forages, ce qui a permis de réaliser des images absolument magnifiques, mais aussi sur le plan scientifique de comparer avec des mesures la couleur, la composition, la taille des grains de sable, en les comparant avec celles des dunes de Bagnold, observées en contrebas de l’autre côté de la crête Vera Rubin il y a maintenant plus de deux ans. Continuant plus à l’Est, Curiosity a ensuite passé pratiquement une semaine à étudier des roches affleurantes sur un site riche en potassium, puis s’est dirigé vers un site de forage potentiel… Avant que les équipes ne changent d’avis. Ce trou n’aurait pas été une bonne idée, mais l’étude des roches sur place laissait penser qu’un autre site, « Woodland Bay », croisé il y a plus de deux mois, était peut-être un meilleur candidat. Mais cela vaut-il le coup ? Après une bonne inspection des roues, la tentation a été la plus forte, et Curiosity a roulé sur presque 110m pour revenir en arrière et observer cette autre roche affleurante.
Pas difficile de comprendre l’intérêt géologique à revenir en arrière ! Ces strates ont sans doute beaucoup de secrets à révéler. Crédits NASA/JPL-Caltech
Et finalement… Toujours pas de forage. On remarque qu’en 2019, ce n’est pas comme l’année dernière pour laquelle les tentatives pour creuser (mais aussi les échecs) furent nombreuses. Peut-être mieux conscients des capacités du rover et plus économes de leur temps (la vallée riche en argiles au sein de laquelle le robot évolue actuellement est plutôt une zone de transition), les équipes ont choisi de ne pas passer plus de quelques jours sur le site avant de repartir. Toutefois suffisamment pour des observations à distance, grâce au laser de la ChemCam, grâce aux capteurs sur son bras robotisé et grâce aux différents appareils photo. D’autre part, ces périodes sans forage ont servi puisque Curiosity a étudié le ciel (il y avait pas mal de nuages) ainsi que le paysage sur plusieurs centaines de mètres afin d’essayer de repérer des tourbillons de sable, les fameux « Dust Devils » dont les traces façonnent parfois le sol martien. Reparti à l’Est ce weekend sur presque 50m, Curiosity devrait prochainement tourner vers le Sud et reprendre peu à peu son ascension sur les contreforts du gigantesque mont Sharp.
Petite vue sur le chemin parcouru ces derniers jours… Crédits NASA/JPL-Caltech
A peine plus d’un an avant le décollage de Mars 2020.
En Europe, mais aussi en Chine et aux USA, les trois missions principales vers Mars se préparent (une quatrième, des Emirats Arabes Unis est un peu moins ambitieuse mais également sur les starting blocks). L’ESA prépare son rover Rosalind Franklin, les russes leur atterrisseur Kazachok, les USA le cousin de Curiosity pour l’instant toujours nommé Mars2020 (il gagnera un nouveau nom d’ici le printemps prochain) et au JPL les équipes de préparation mettent la touche finale sur le petit hélicoptère à double rotor contrarotatif qui accompagnera le gros robot et sera l’une des expériences les plus attendues (avec, pour ma part, la foreuse de Franklin). Bref, on touche au moment le plus crucial de la préparation : les assemblages finaux, avant les derniers tests qui auront lieu dans les 6 à 8 mois à venir. Ensuite, ce sera l’encapsulation et le transport vers les différents sites de décollage : Cape Canaveral, Baïkonour, Wenchang et Tanegashima pour les émiratis qui utiliseront une fusée japonaise H2-A. Ces missions vont nous donner du travail pour vous expliquer leurs différentes découvertes pour plusieurs années… Mais il y a un débat assez intéressant sur la suite, notamment du côté NASA/ESA. Et ce dernier concerne les communications.
Et ce serait quand même dommage d’avoir moins de photos comme celle-ci. Crédits NASA/JPL-Caltech
En effet, les différents robots sur Mars reposent sur les différents véhicules en orbite pour relayer leurs signaux vers la Terre (ils sont aussi capables de « viser » la Terre mais ce n’est pas aussi fiable). Sauf que voilà… Les orbiteurs autour de Mars sont vieux. Sérieusement vieux. Mars Odyssey va sur ses 18 ans. Mars Express en a 15. MRO et son super téléobjectif tourné vers Mars a déjà 11 ans. Or voilà que malgré les dizaines d’images quotidiennes, qui vont bientôt se transformer en vingtaines, voire en trentaines, il n’y a pas de nouvel orbiteur prévu dans les tuyaux pour assurer le relai des données de la surface. En tout cas, pas avant le créneau de 2024, au minimum (aucun projet n’est financé pour l’instant). Or en 2024 (arrivée en 2025), Mars Odyssey sera parti à la retraite, tout comme probablement Mars Express. MRO aura atteint la fin de vie, si ce n’est pas avant car la sonde a déjà vécu quelques petites pannes ces dernières années. Il restera MAVEN et ExoMars TGO, c’est vrai… Mais ces derniers à eux tout seuls devront gérer leurs données scientifiques en plus de servir de point d’appui pour une flotte qui, si tout se passe bien, comptera au moins 4 unités. Il serait temps de se poser sur le problème, car dans le cas contraire on risque d’envisager une mission de récupération d’échantillons martiens en 2026-2028 qui ne pourra s’appuyer au mieux que sur des satellites dont le plus jeune aura déjà 12 ans…
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires.