[Stratolaunch] Roc en Stock
Le 13 avril 2019, le plus large avion au monde décollait du tarmac de l’aéroport de Mojave, qui accueille de nombreuses startups mais aussi des acteurs de l’aérospatial depuis des décennies… Y compris donc Scaled Composites, qui a réalisé le Roc pour le compte de Stratolaunch, avec son drôle de profil et son double empennage pour être capable d’embarquer, sous son aile gigantesque, des lanceurs jusqu’en haute altitude avant de les larguer. Une aventure qui semblait déjà limitée en potentiel du vivant de Paul Allen, le milliardaire co-fondateur de Microsoft qui finançait l’aventure. A présent plus de 6 mois après le décès de son fondateur, Stratolaunch se résigne et cherche à vendre son gigantesque avion.
Ben finalement… Crédits Stratolaunch
Le Roc, pas de second tour ?
Depuis son vol inaugural à la mi-avril, qui s’était soldé par deux heures de manoeuvres aériennes et un comportement en tout point conforme au cahier des charges (selon Stratolaunch), l’énorme avion est à peine sorti de son tout aussi énorme hangar. Il n’a pas non plus rallumé ses moteurs ou fait le tour de la piste, et encore moins volé. Ce qui en soi donnerait déjà un indice de taille à tout observateur extérieur, sans les fuites et différentes rumeurs qui se concrétisent ces derniers jours. Parce qu’un avion prototype qui ne vole pas, ce n’est pas bon signe. Surtout si son vol s’était bien passé et qu’il n’y avait pas de casse ! La vérité est malheureusement dans la réalité du marché très limité pour le Roc : seul Northrop Grumman a signé un accord pour la potentielle exploitation de ses lanceurs PegasusXL, lesquels disposent déjà d’un avion porteur nommé Stargazer, qui d’ailleurs est stationné dans son hangar à quelques centaines de mètres des installations de Stratolaunch. Personne d’autre pour le moment… Et nous en avons déjà discuté sur ce blog, à cause de ses coûts et de sa mise en oeuvre laborieuse (multiples soucis techniques), PegasusXL n’attire pas de clients privés. Il n’y a donc virtuellement pas d’utilité actuelle pour l’avion géant, ce que de nombreux observateurs (moi compris) pointent du doigt depuis plusieurs années. Dans ce cadre, il n’est pas surprenant d’apprendre que Stratolaunch cherche à vendre son unique exemplaire et prototype. L’entreprise avait répondu par la négative aux rumeurs il y a quelques semaines, mais en fin de semaine dernière, c’est CNBC qui révélait à son tour que le Roc est à vendre. Et pas pour une bouchée de pain : Stratolaunch (ou plutôt Vulcan, la holding qui englobe toutes les activités) chercherait à le vendre pour… 400 millions de dollars ! Le prix fait un peu sourire. Bien entendu, c’est moins que ce qu’a pu coûter le développement du gigantesque avion porteur, mais c’est aussi beaucoup plus que ce qu’il vaut tant qu’on ne lui a pas trouvé une utilité fondamentalement importante et impossible à conduire avec d’autres moyens.
Après la fin des activités de recherche et développement sur des moteurs à la fin de l’année 2018, puis l’annulation du programme de lanceur « made in Stratolaunch », l’évidence commençait à se faire pour le Roc. Mais le dénouement de ces dernières semaines interpelle : que la fin de Stratolaunch soit conclue par une vente ou tout simplement par la cessation d’activité, est-ce qu’on n’aurait pas pu éviter ce gigantesque gâchis ? S’agit-il vraiment d’un seul homme (Paul Allen) qui poussait ses équipes vers un objectif improbable, ou bien était-il particulièrement mal conseillé ? Quels sont les « génies » du conseil d’administration qui ont estimé qu’il était légitime de dépenser plus d’un milliard de dollars pour construire l’avion le plus large du monde même s’il n’avait pas (ou pas encore) d’utilité ? Et maintenant, que va-t-il devenir ?
Un musée, la casse ou… Virgin Galactic ?
400 millions, c’est beaucoup, même si selon CNBC, cela comprend les hangars, les équipes, le matériel, etc. A moins qu’une entreprise se découvre soudainement une passion pour le transport de charges importantes en extérieur sous voilure (entre 220 et 250 tonnes quand même) et un besoin qui ne pourrait être rempli par un autre avion pour beaucoup moins cher, il ne sera pas vendu à ce prix là. Pour le reste, tout dépendra du prix auquel l’entreprise se décide à se séparer de son géant pour mettre la clé sous la porte. Plus les semaines et/ou les mois vont passer, moins il sera en état de voler et moins il sera capable de convaincre les investisseurs potentiels. Un avion aussi unique demande forcément beaucoup d’argent à maintenir en condition de vol… Ce qui ne devrait pas être si problématique tant que l’acheteur est un musée ou une entité qui s’en chargera pour le montrer en statique. Ce sera plus compliqué pour une entreprise qui souhaiterait développer l’activité : s’agissant d’un avion expérimental, il ne peut voler partout, ni se poser partout, ni traverser l’Atlantique par exemple, sans un programme extensif d’essais en vol qui visiblement n’est pas au programme.
Et puis il y a Virgin, qui aurait fait une offre à… 1 dollar. Ce qui n’est pas si bête que ça, dans le sens où pour le coup, Virgin a l’opportunité de reprendre l’équipe et de développer l’activité du Roc : ce serait une solution élégante pour éviter d’avoir à tout liquider. Car Virgin (Galactic, mais aussi Virgin Orbit) dispose d’un certain besoin dans ce segment. L’entreprise est la seule à opérer de façon pré-commerciale deux avions porteurs : le VSS Eve (WhiteknightTwo) pour porter son petit avion suborbital VSS Unity, mais aussi le « Cosmic Girl », un 747 modifié pour embarquer sous son aile le lanceur orbital léger LauncherOne. Pour l’instant, l’entreprise n’a pas besoin de s’encombrer avec le Roc… Mais c’est exclure les plans d’expansion future vers des véhicules plus lourds. En effet dès 2017 Richard Branson évoque un « SpaceshipThree » qui serait non seulement capable d’embarquer des gens lors de vols suborbitaux, mais aussi de les transporter d’une ville à l’autre au cours de ses paraboles. Un business auquel il croit et il s’attache, même si actuellement il n’y a pas de matériel ni en développement ni capable de porter un avion plus lourd chez Virgin. Alors pourquoi ne pas l’acheter sur étagère ? C’est tentant, mais il faut encore que cela réponde à une équation économique qui est particulièrement complexe. Evidemment, Richard Branson ne rentrera jamais dans ses frais pour l’aventure qu’il mène actuellement, même si des centaines de touristes finissent par voler dans son petit avion (ce qui reste encore à faire) : il a déjà dépensé environ un, voire 1,5 milliards de dollars dans son projet. Sans un gros apport d’argent, on imagine donc mal Virgin « sauver » le Roc et Stratolaunch de la catastrophe… D’autant qu’il y a un paramètre supplémentaire, l’avion de Stratolaunch a été conçu et assemblé par Scaled Composites, entreprise à laquelle Richard Branson attribue toujours le crash mortel du VSS Enterprise en 2014, le premier exemplaire de son avion fusée. Depuis cette année là, Virgin Galactic a cessé tout lien avec Scaled Composites et créé sa propre sous-entreprise The Spaceship Company. Rien ne laisse donc penser que Virgin veuille se donner les moyens d’aider leurs voisins d’en face, si ce n’est pour en récupérer les employés les plus talentueux. Car eh bien oui, eux aussi sont basés sur l’aéroport de Mojave…
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