[France] La french Space Force ?
C’était l’annonce du 13 juillet du président Macron : la création d’un nouveau commandement de l’espace sous la responsabilité de l’Armée de l’Air, devenant l’Armée de l’Air et de l’Espace. Le 25 juillet, la ministre des Armées, Florence Parly a précisé le projet (objectifs, moyens techniques et légaux), a annoncé débloquer 700 millions d’euros sur cet axe, qui sera basé à Toulouse et comptera à minima 220 personnes. Dans cette année 2019 pour laquelle de plus en plus de nations montrent leurs muscles dans l’espace, il me semblait intéressant de revenir un peu sur les enjeux.
Allocution de la ministre des Armées, florence Parly, sur la stratégie spatiale française de défense. https://t.co/37JDLdEaVb
— Ministère des Armées (@Defense_gouv) 25 juillet 2019
Désolé, je ne l’ai pas trouvé sur Youtube, voici le discours en intégralité. Pas inintéressant…
La composante spatiale de la défense française aujourd’hui et demain
Notre pays, sans disposer d’autant de satellites de défense que certaines autres grandes puissances comme les USA, la Russie ou la Chine, utilise le spatial dans les deux domaines les plus classiques : l’observation terrestre et les communications. La France dispose de ses propres satellites en orbite basse, comme Helios (militaires) et Pleiades via Airbus D&S (civil + partenariat défense), en cours de remplacement par la nouvelle génération CSO (Composante Spatiale Optique) qui seront trois et disposeront de capacités à la pointe de l’observation optique. Pour les communications, la France emploie ses satellites Syracuse, qui sont eux aussi sur la voie du remplacement au début des années 2020. Au-delà, plusieurs accords nous permettent d’utiliser les satellites de nos voisins et réciproquement, via des partenariats de défense qui vont parfois de la conception jusqu’à la mise en orbite. On peut citer Syracuse-3C, aussi appelé Sicral-2, ou bien Athena-Fidus, deux projets avec les italiens. D’autres accords nous permettent de récupérer des données radar avec les Allemands et les Espagnols, par exemple. Ces capacités sont importantes, elles permettent d’une part d’observer de façon indépendante ce qui se passe au sol sur des théâtres d’opération parfois contestés (histoire de ne croire ni les versions russes ni les américaines sur parole), mais aussi pour les communications, de s’assurer que nos atouts stratégiques peuvent échanger des données sécurisées. D’autre part les développements à venir améliorent ces composantes mais restent dans les mêmes domaines, donc mettre en place une tactique pour protéger nos satellites aujourd’hui ou demain, c’est se poser les mêmes questions. Il y a aussi un volet plus européen, à savoir celui du positionnement. On a déjà évoqué ces dernières semaines la grande panne du système Galileo, eh bien cette dernière a fait beaucoup réagir le milieu de la défense français : ce système est appelé à devenir central dans la décennie à venir pour nos moyens de défense, aussi ce système de positionnement entre satellites et stations au sol, est à considérer comme une part intégrante de nos atouts de défense et d’indépendance… Même si Galileo (et c’est tout le paradoxe) est géré par des instances civiles.
Vue d’artiste du satellite d’observation CSO-1. crédits Airbus D&S
Il ne faudrait pas non plus oublier nos atouts au sol. Nous avons en effet de belles infrastructures de renseignements avec des radars et des éléments d’observation qui scannent le ciel et sont capables à la fois d’identifier et de classifier des cibles en orbite basse, avec une résolution sub-métrique aujourd’hui, de l’ordre d’une dizaine de centimètres demain. Et là encore, il s’agit d’un réseau distribué entre nos propres atouts comme le radar GRAVES (pour lequel l’ONERA cherche à obtenir des crédits afin de l’améliorer), et ceux de nos partenaires européens. Il existe d’ailleurs une initiative nommée euSST (Space Surveillance and Tracking) qui agit entre les différents grands centres depuis 2014 pour mettre en commun une partie des ressources d’observation. Au fur et à mesure que la technique progresse dans des domaines tels que les radars ou l’optique adaptative qui permet de s’affranchir des effets atmosphériques en temps réel, les installations au sol sont déjà des atouts majeurs pour la défense, qu’ils servent à observer le ciel ou « tout simplement » à réceptionner des données de satellites. En effet il ne faudrait pas disposer de satellites et de relais super-sécurisés pour ensuite avoir un centre de données ouvert à toutes les cyber-menaces…
Vue d’artiste des satellites Helios-2, aujourd’hui toujours en activité. Crédits Thales Alenia space
Une doctrine et des règles d’engagement
Bon bon bon. Donc on va avoir un commandement de l’Espace, et ce sont les militaires qui vont devenir opérateurs de nos satellites de défense (car pour l’instant, c’était le CNES). En soi, c’est intéressant, mais le point le plus central n’est pas dans les annonces qui ont été faites : la France va pouvoir se fixer une doctrine claire, avec des règles d’engagement pour savoir comment répondre aux différentes menaces. Et en effet, il s’agit d’être clair. La ministre a par exemple dénoncé les manoeuvres du satellite russe Luch-Olymp, à proximité de nos satellites comme de ceux d’autres opérateurs commerciaux. Que faire ? Visiblement, une simple protestation via les canaux diplomatiques n’a pas beaucoup d’effet. De la même façon, quelques heures après la conférence de presse de Mme Parly, la Russie démentait les accusations sur son satellite. Disposer d’un commandement de l’air et de l’espace, c’est donc aussi savoir quoi faire dans ce genre de situation. Faut-il manoeuvrer notre satellite ? Déployer des moyens passifs (cesser les communications, ajouter un cryptage supplémentaire, prendre des photos du satellite russe et leur envoyer avec une grosse cible dessinée dessus) ? Ou bien réagir directement, en brouillant le satellite, en l’aveuglant au laser ou même en le détruisant ? Bon si cette dernière option est très clairement belliqueuse, l’idée est justement de savoir quelles sont les règles que l’on souhaite suivre puisque les satellites des différents pays évoluent dans ce qu’on peut à minima définir comme un cadre juridique flou.
Lancement de CSO-1. Ironiquement, sur une fusée russe… crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG
Mais avant encore de savoir comment l’on doit réagir, il est utile de se doter de nouveaux moyens de bien comprendre ce qui se passe à proximité de nos satellites. Cela inclut l’installation de capteurs optiques et de proximité sur certains atouts comme les satellites de communication Syracuse, l’amélioration des radars au sol pour voir si des débris ou des satellites d’autres nations s’approchent régulièrement des nôtres en orbite basse, etc. Savoir si nous sommes écoutés, si l’on tente de nous illuminer ou même de nous éliminer est un défi important et une fois de plus, il est de bon ton de savoir comment réagir. Sur une échelle qui va de « ne rien faire » à « utiliser une arme anti-satellite ASAT » (ce qui a presque un équivalent d’arme de destruction massive), il faut savoir où se tenir et se préparer à ces situations. Enfin, n’oublions pas que les règles d’engagement comptent aussi lorsque l’on est une victime collatérale : que se passerait-il si par exemple la Chine et les USA commençaient à se détruire leurs satellites, et que leurs débris menacent les nôtres ? Comment réagir ? Ferait-on pareil avec des satellites privés ? Quels satellites constituent d’ailleurs des relais stratégiques et lesquels n’en sont pas ? Eh oui, imaginons qu’un état ou qu’une entreprise illumine ou brouille les satellites météos européens Eumetsat ou la constellation d’InmarSat au-dessus d’un continent. Si ce ne sont évidemment des situations que l’on ne souhaite pas, il est toujours utile d’avoir une vision claire et en général publiquement établie de notre façon de réagir… Qui agit du coup aussi comme une stratégie de dissuasion : il y a un besoin que tout le monde soit au courant de nos capacités et des règles que l’on met en place.
Vue d’artiste d’Athena-Fidus, qui aurait donc été « sniffé » par le satellite russe Luch-olympe. Crédits Thales Alenia Space
De nouveaux outils de dissuasion : vers la guerre des étoiles ?
Malheureusement, que ce soit nos amis ou nos adversaires, plusieurs nations spatiales disposent dès aujourd’hui de moyens pour espionner dans différentes gammes de fréquences, pour « sucer » nos données, pour aveugler nos capteurs ou détruire nos satellites avec des missiles en orbite basse. Et avec l’avènement attendu de petits véhicules de service ou de « nettoyage » des orbites d’ici quelques années, cette tendance à la méfiance ne devrait pas baisser. Au-delà donc de montrer ses muscles en légiférant et en prévenant tout le monde que nous serons intransigeants, la France a décidé de se doter de moyens de riposte : déjà des « nano-satellites patrouilleurs » capables d’aller observer et caractériser un satellite qui viendrait un peu trop près, mais aussi des armes laser, au sol et en orbite, capable avec leur puissance très focalisée d’aveugler et même de détruire des instruments optiques adverses. Ce sont des capacités qui, vous l’aurez remarqué, sont très intéressantes parce que contrairement à un missile ASAT, un laser destructif ne laisse pas des centaines de milliers de débris potentiellement dangereux en orbite pendant des dizaines d’années. Mais c’est aussi une solution qu’il faut développer, qui coûtera cher et qui, par l’absence de traces qu’elle laisse, pourrait également être utilisée par des assaillants.
Les CubeSats, souvent difficiles à manipuler (et pour lesquels la filière française n’est pas complète)… De futures armes anti-satellites ? Crédits NASA
Se dirige-t-on vers une escalade ? C’est possible, même si c’est peu probable. Bien que Mme la ministre s’en défende toutes les 5 minutes dans son discours, se donner des moyens de défense et de destruction actifs, c’est aussi disposer d’une arme, fut-elle de dissuasion. A ce moment-là, il ne faut pas d’erreur d’appréciation, d’hésitations ou bien de mauvaise réflexion : mal employées, ces armes peuvent aussi ruiner la confiance d’un allié, ou déclencher des hostilités commerciales, voire un conflit. Lors du discours on a apprécié (ou non, c’était mon cas) la véhémence avec laquelle la ministre a inclut « le NewSpace » dans les adversaires déclarés de la France. Faut-il en conclure que le pays va aussi protéger les entreprises françaises avec ses nouvelles armes en orbite ? A priori non, et j’espère que la doctrine d’emploi l’empêchera, mais une fois de plus n’oublions pas qu’une fois une arme développée, on n’est pas toujours responsable de qui la détient. Un gouvernement nationaliste très protectionniste pourrait tout à fait estimer que telle ou telle entreprise nous mène une guerre commerciale et agir en conséquence, en ayant à minima des comportement agressifs. Et là, on rentre dans les règles d’engagements d’autres nations qui auront d’ici là également étoffé leur arsenal. Pour ma part, je déplore cette décision même si l’utilité et la nécessité de ces outils sont bien présents en orbite pour répondre aux défis présents et futurs. Il serait en dernier lieu utile de mieux communiquer avec les autres nations agressives en orbite, et plutôt pousser à un traité international contraignant pour éviter des dérapages à l’avenir…
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