[Histoire] 50 ans plus tôt…
Oh, si peu. Quelques pas sur la Lune, pas de quoi… Ah si, on me dit dans l’oreillette que c’était en fait un événement d’importance mondiale. Ce cinquantenaire de la mission Apollo 11, impossible de passer à côté. Il est matraqué à la télévision, sur internet, dans le discours des agences, mais aussi sur les réseaux sociaux. Et dans l’absolu, c’est une bonne chose : faire enrager les complotistes tout en rappelant au néophyte que oui, un tel événement fut possible… Dans toute sa complexité et non pas résumé comme certains le voudraient à « c’était le plan de Kennedy après la Baie aux Cochons ». Bien entendu c’est aussi l’occasion pour un passionné comme moi d’entendre tout et beaucoup de n’importe quoi à propos du programme Apollo, de ses objectifs et des faits et gestes de Neil Armstrong et Buzz Aldrin une fois les pieds du LM enfoncés dans le régolite lunaire. D’écouter à la radio pour la Nième fois une anecdote scatophile (étrange, ce rapport supposé du grand public au caca) ponctuée d’un « extraordinaire, alors ils ont laissé des sacs de merde sur la Lune ! » Eh oui, demandez-vous bien ce qu’il était plus utile de ramener, des pierres lunaires ou un reste de pâté en tube.
Un drapeau et quelques milliers d’empreintes… Crédits NASA
Bon rassurez-vous, j’ai beau saturer, je trouve toujours le programme Apollo merveilleux d’ingénierie, de chance et de petits moments d’héroïsme qui ont permis à cette aventure incroyable de devenir l’un des événements les plus importants du siècle passé. J’avais même il y a deux ans, repris la mission en « live » sur twitter, et les archives sont toujours disponibles sur ce blog. Simplement, fêter et crier aussi fort que Apollo 11 et la fin de la course à la Lune ont changé le monde, c’est un peu participer à cette idée que l’exploration spatiale a atteint son paroxysme les 20-21 juillet 1969 et que depuis, tout n’a été que pécadilles. Car bien sûr, tout comme ce fut le cas entre 1969 et 1972, aucune des autres mission Apollo n’aura droit aux mêmes célébrations, tout comme les anniversaires des vols de Spoutnik, Gagarine et Leonov sont en général plus discrets. C’est une tendance toute naturelle, de se trouver des héros, des leaders et de décortiquer un peu l’Histoire en différents jalons, en oubliant au passage que tout est souvent plus lié que ce qu’on imagine. L’Exploration Spatiale, qui est encore très jeune (3 générations à tout casser) a connu des débuts en fanfare, qui étaient autant mis en avant qu’ils participaient à une démonstration de puissance et appuyaient des actions politiques. Logique, donc, que les souvenirs du « vainqueur » de la course à la Lune n’en soient que plus mis en avant : il s’agissait non seulement d’une victoire technologique et humaine, mais aussi d’une incroyable claque politique dont les échos étaient encore mal compris en 1961 lors des discours de Kennedy, ou en 1969 lors des premiers pas sur notre satellite naturel. Ce sont autant d’espoirs et de promesses d’avenir qui n’ont pas été tenues à l’époque, puisqu’à la course à la Lune devait se succéder les aventures vers Venus et Mars, la vie en orbite, bref, une expansion incroyable qui ne s’est pas concrétisée. Déçus d’avoir été entraînés sur un terrain qui ne leur avait pas réussi, les soviétiques se sont tournés vers les stations orbitales, tandis que les USA sans adversaires se réinventaient autour du concept de Navette spatiale, peut-être un peu trop tôt puisque le projet fut si cher et si complexe qu’il ne put jamais aller aussi loin que ce qui était prévu à la base.
Le pied de Buzz Aldrin a laissé cette trace, qui n’a sans doute pas beaucoup bougé depuis. Crédits NASA
50 ans, c’est beaucoup, dirons certains, d’autant qu’il y en a 47 dans le lot pour lesquels l’humain n’a pas marché sur la Lune. Et bien entendu, ce ne sont pas avec ces 6 atterrissages habités que la surface lunaire peut être qualifiée d’explorée, ou de bien connue. Il y a là haut quelques merveilles géologiques et on le sait de plus en plus précisément, de grands dépôts d’eau sous forme de glace. N’en déplaise, la Lune n’a pour autant pas été oubliée depuis, avec des missions robotisées en orbite de la part des européens, des japonais, des chinois et des américains ces dernières années, une tentative d’atterrissage d’une entreprise privée israélienne cette année, et deux missions à la surface déployant de petits robots à roues, les Chang’E 3 et 4 (cette dernière sur la face cachée). Un bilan « maigre » sur le plan comptable, mais élevé quand on se souvient que dans les 50 mêmes années l’humanité a exploré grâce à ses sondes une grande partie des éléments principaux de notre système solaire : une multitude de missions d’observation du Soleil, les premières orbites de Mercure, les atterrissages sur Venus, la véritable flottille de véhicules autour et sur la surface de Mars, une dizaine de missions vers, autour et même sur des astéroïdes et comètes, l’exploration depuis l’orbite de Ceres, la première planète naine visitée, deux missions pour observer en détail Jupiter et ses lunes, une mission de 13 ans autour de Saturne (incluant l’atterrissage le plus lointain jamais réalisé grâce aux européens avec Huygens sur Titan), des survols d’Uranus, Neptune, Pluton et même en 2019, l’objet le plus lointain jamais survolé, Ultima Thule. Ajoutez à cela une véritable révolution de l’observation astronomique depuis le sol grâce à de grands moyens optiques et radar, la même révolution depuis l’orbite grâce à des télescopes comme Hubble… Le bilan de ces 50 dernières années n’est plus si maigre, non? Simplement, dans une société où l’information est devenue immédiate, la longueur des missions de leur préparation à leur mise en oeuvre (et parfois le trajet qui va avec) font parfois piaffer d’impatience des générations entières.
L’autre jeu intéressant est celui des « si ». « Et si » les politiciens avaient décidé de garder Apollo 18, 19 et 20 ? D’augmenter les capacités de Saturn 5 ? Bref… Crédits NASA
Alors effectivement, nous ne sommes pas retournés marcher sur la Lune. Pas encore. Ca viendra peut-être : prendre pour argent comptant les promesses de la NASA ou des nouveaux milliardaires n’est pas une technique infaillible. Sur ce blog, on suit régulièrement les différents progrès et oui, il y a bien une dynamique lunaire actuelle et globale, avec des plans américains, chinois et russes pour amener des astronautes dans le coin, les autres grandes nations et agences spatiales s’engageant sur la voie de la coopération avec ces trois-là au cas par cas. Notez qu’il est possible aussi qu’on n’y retourne pas du tout, au gré d’une catastrophe, d’un conflit mondial, de problèmes de budgets ou d’autres surprises parfois imprévisibles qui font que oui, le futur n’est pas tracé tout droit devant nous. Reste qu’on est plus proches d’un retour qu’il y a une décennie avec plus de moyens, des technologies moins chères pour l’accès à l’orbite comme pour les robots utilisés dans l’espace. Les progrès, qui sont toujours lents, sont pourtant sur le chemin. Des satellites plus légers, plus performants avec des propulsions plus efficaces ont vu le jour ces 10 dernières années. L’humanité a testé ses premiers modules habités gonflables, et de nombreuses démonstrations ont testé l’impression de modules d’habitats avec du régolite lunaire. Les lanceurs super-lourds sont sur les rails, tandis que les coûts d’accès à l’espace ont baissé (pas autant que prévu, mais quand même). Les capteurs embarqués sont plus légers, plus précis, plus performants. L’intelligence embarquée permet quand à elle des missions plus autonomes, des détections d’erreurs, des plans de secours. Arrivera bien un jour où nous serons prêts techniquement à nous éloigner à nouveau de l’orbite basse, dont l’étude continue aujourd’hui par et pour des humains qui vivent en orbite sur des missions vingt fois plus longues que les aventures d’Apollo, le tout en coopération internationale. Dépenses inutiles pour les uns, exemple scientifique et de coopération internationale pour les autres, l’ISS aura encore plus que Mir avant elle, montré que vivre et conduire des expériences en orbite sur le long terme est important pour envisager l’avenir (là haut aussi, les progrès mettent des décennies).
Il faudra plus d’un discours pour unir une nation, ou plusieurs agences, pour partir vers la Lune.
D’ici là, il serait intéressant à mon sens de célébrer un peu plus d’autres missions, qui n’ont pas immédiatement été perçues comme un changement pour l’humanité, mais aussi de cesser d’auto-centrer ces aventures de l’exploration spatiale sur leurs héros. Oui, Neil Armstrong était un pilote exceptionnel au sang-froid qui lui a permis de franchir les sélections, et à l’efficacité impeccable. Pour autant, c’est aussi une bataille collective contre les éléments qu’ont mené plusieurs centaines de milliers d’ouvriers, techniciens, ingénieurs et chercheurs dans la décennie précédente qui l’a mené là-haut. Nous vivons une période riche pour l’exploration spatiale. Très riche, avec de nouvelles techniques (moteurs méthane, réutilisation, vols suborbitaux, CubeSats, constellations géantes) et l’exploration via des missions en cours de Mercure, Venus, Mars, deux astéroïdes différents, la Lune, Jupiter et le Système Solaire lointain… Il y a tant à admirer dans l’exploration spatiale que si fêter ces 50 ans des premiers pas sur la Lune ne doit pas rester anecdotique, peut-être pourrait-on les remettre en perspective sans évoquer immédiatement les autres plans pour y retourner, aussi incertains qu’ils soient aujourd’hui.
Moi je n’ai aucun doute, il faut y retourner. Quand nous serons prêts à tenter d’y rester. Crédits NASA
Nous retournerons probablement sur la Lune. Pas besoin de donner une date. Je ne vois pas notre civilisation se replier sur elle-même au point de cesser son expansion à l’espace indéfiniment. Les 60 premières années ne seront sans doute pas représentatives de ce que seront les 60 suivantes, mais comme pour tout domaine technologique, il passe par des phases de maturité et d’autres de ruptures, le tout gouverné par des budgets, eux mêmes tenus en main par des gouvernements. Lorsque le souhait sera clairement exprimé d’aller installer une base lunaire et de se donner les moyens d’aller explorer plus loin, Apollo restera dans les mémoires comme l’une des nombreuses « premières étapes ».
D’ici là, fêtez bien ces 50 ans !
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