[SpaceX] CRS-18, puissance trois
Malgré une baisse significative du rythme des lancements en 2019 (9 à cette date, tous des succès), SpaceX prend le temps de soigner son client le plus important, la NASA. D’autant plus dans une période d’enquête après l’explosion sur son site d’essais d’une capsule Crew Dragon en avril dernier… Tandis que les équipes s’activent en coulisses, l’entreprise doit montrer qu’elle est un partenaire fiable. Mission réussie avec CRS-18 : après un décollage sans souci le 26 juillet à 00h01 (Paris), la capsule Dragon est venue s’amarrer avec quelques minutes d’avannce à l’ISS ce 27 juillet.
CRS-18 décolle de Floride, sous une météo finalement plus favorable que prévu. Crédits SpaceX.
CRS-18, troisième voyage
Avril 2015, la mission CRS-6 décolle et embarque 1.9 tonnes de cargo à destination de l’ISS. Une mission « classique » pour une capsule Dragon, qui se termine dans le Pacifique lorsque le véhicule est récupéré et son cargo transmis aux différents laboratoires en attente des précieuses charges utiles. Dragon pour sa part, volera de nouveau le 15 décembre 2017, cette fois avec 2.2 tonnes dans ses soutes pressurisées et non pressurisées. Un premier vol pour la NASA utilisant un étage de fusée réutilisé, mais aussi la seconde fois qu’une capsule cargo revole vers l’orbite. Une manoeuvre que SpaceX est actuellement la seule au monde à réaliser, avec éventuellement Boeing qui réutilise ses petites navettes X-37B. CRS-6 est donc réutilisée pour CRS-13. Eh bien, c’est la même capsule, récupérée et remise en état de vol, qui a décollé ce 25 juillet 2019 pour la mission CRS-18. Belle première pour l’entreprise californienne, qui réussit à envoyer 3 fois le même véhicule Dragon vers l’orbite en quatre ans… Il faut ajouter que ce dernier transporte environ 2.3 tonnes de fret, il n’est pas « sous-utilisé », bien au contraire puisqu’il transporte 1.2 tonnes d’expériences scientifiques (dont une expérience de matériaux pour l’équipementier Goodyear, des plants de mousse végétale pour la JAXA qui étudie leur capacité à régénérer une atmosphère, et une première bio-imprimante 3D générant des formes en tissus humains). Le reste du cargo pressurisé comprend 233 kg de fournitures pour les astronautes (dont des fruits et légumes frais), 157 kg de matériel de remplacement pour l’ISS (filtres etc), 157 kg de pièces de combinaisons spatiales et quelques ordinateurs pour l’intérieur du bord.
Dragon en approche de l’ISS. Crédits NASA/Nick Hague
En plus de voler pour la 3è fois, cette capsule CRS-18 était également très attendue par rapport à la pièce embarquée dans sa soute non pressurisée, l’International Docking Adapter (aussi dit IDA) numéro 3. Pour comprendre l’utilité de cette pièce, il faut se souvenir que du côté non-russe de l’ISS, il y a deux types de port d’amarrage pour les véhicules en visite sur la station : ceux qui sont utilisés par les cargos mais qui nécessitent (pour l’instant) d’utiliser le bras robotisé Canadarm-2 pour l’amarrage, et ceux qui étaient jusqu’à 2011 utilisés pour y attacher les navettes. Navettes qui, cela ne vous aura pas échappé, sont à la retraite : pour que de nouveaux véhicules puissent s’y amarrer à leur tour, il faut un adaptateur « universel ». C’est ce rôle que remplissent les IDA. Reste que comme les capsules habitées qui viendront un jour s’y accrocher de façon automatisée, l’histoire des IDA fut tumultueuse. Accordé à Boeing, le contrat a d’abord pris beaucoup de retard, avant de subir un méchant coup le 27 juin 2015, lorsque le premier exemplaire a été désintégré avec le reste de la capsule Dragon et de son lanceur Falcon 9 lors de la première catastrophe en vol de SpaceX. Du coup, l’IDA numéro 2 a été transféré et attaché sur l’ISS comme prévu, et Boeing a utilisé les pièces de secours (et a du remobiliser ses équipes) pour produire un troisième exemplaire, qui a fait le voyage dans la soute entre le 2( et le 27 août. Cela représente quand même 526 kg et bien entendu, un matériel à quelques dizaines de millions de dollars. L’IDA-3 sera installé à la fin du mois d’août normalement, lors d’une sortie EVA pour le connecter.
Déjà deux « ISS » peintes sur ses flancs, en plus du sigle « Apollo 50 » de la commémoration actuelle. Crédits NASA/Nick Hague
Falcon 9, réutilisation et hoquets de météo
Avec 45 lancements réussis d’affilée, Falcon 9 continue sa course dans la gamme des lanceurs les plus fiables de cette décennie. Il est d’ailleurs l’un des plus utilisés de ces dernières années (loin derrière Soyouz toutefois) avec 74 campagnes de lancements, 2 échecs et un échec partiel. Surtout, Falcon 9 est encore promis à un bel avenir, même si la cadence à baissé cette année… La seconde moitié devrait être un peu plus rythmée (d’autant qu’il n’y a pas besoin de préparer de campagne Falcon Heavy). Le plus important est de continuer d’engranger un maximum de contrats pour la firme d’Elon Musk, tout en continuant de prouver que sa solution de réutilisation permet de proposer des prix moins chers que pour la concurrence, avec de bonnes statistiques de fiabilité. Le décollage du 25 juillet utilisait un étage de fusée déjà éprouvé moins de 3 mois plus tôt, à l’occasion du vol CRS-17, et qui a de nouveau parfaitement réussi sa mission, en « déposant » le second étage à la bonne vitesse et bonne altitude après 2 minutes et 21 secondes de vol dans le ciel de Floride, mais aussi en revenant se poser dans une descente toujours aussi maîtrisée sur le site LZ-1 à Cape Canaveral. Rappelons qu’il y a quelques années à peine, la majorité des observateurs estimaient que le taux d’échecs pour des étages réutilisés serait un obstacle à cette technique de retour au sol qui ne serait jamais rentable… SpaceX réutilise à présent régulièrement ses étages jusqu’à 3 fois (et bientôt 4), et aucun étage réutilisé n’a jamais subi d’échec. Si le vol s’est très bien passé, on peut signaler une météo compliquée actuellement en Floride, qui a reporté le décollage initialement prévu le 24 juillet (UTC), stoppant le compte à rebours à moins de 50 secondes du décollage.
Sera-t-il à nouveau utilisé dans les mois à venir ? Le booster du vol CRS-18 est rentré dans de bonnes conditions. Crédits SpaceX
Petite spécificité également, SpaceX a testé pour ce vol quelques améliorations technologiques mineures. La première, au niveau du lanceur, puisque le second étage (qui n’est pas réutilisé) était peint d’une bande grise assez prononcée. Il s’agissait en fait d’observer l’influence de cette couleur sur la température des réservoirs de carburants. En effet, cette dernière ne varie pas beaucoup en fonction des conditions au sol, parce que le carburant est rempli à quelques minutes du décollage dans les réservoirs. Mais une fois en vol, selon les conditions le second étage peut être exposé durant plusieurs dizaines de minutes au soleil avant de devoir redémarrer, et la température interne des réservoirs influe directement sur la performance du moteur. Tout cela est très important à quantifier pour SpaceX, qui répond aux appels d’offres de la défense américaine et compte même faire partie des deux opérateurs que l’US Air Force va sélectionner pour les décollages de la défense pour la période 2021-2025… Or certains de ces vols exigeront de redémarrer les moteurs après une longue période de pause de 6 heures environ pour les injecter directement en orbite géostationnaire (trajectoire GEO et non pas GTO du coup). Dans ce cadre, connaître l’influence de la peinture blanche/grise/noire sur le carburant à l’intérieur est très important. Le second test technologique sur ce vol a lieu directement sur la capsule Dragon, qui est équipée de deux tuiles en céramique particulière, et qui feront peut-être leur apparition sur de futures versions de Starship. Testées au sol avec la NASA, ces dernières sont différentes du revêtement habituel du bouclier thermique de la capsule : certifiées par l’agence, autant observer leur comportement lors d’une situation réelle de rentrée atmosphérique…
Deux vues du récent test du StarHopper à Boca Chica au Texas. On ne voit pas grand chose, mais on devine que c’est réussi. Crédits SpaceX.
SpaceX ne doit pas montrer que Starship
Enjeu important pour le futur à moyen et long terme de SpaceX, son nouveau concept de lanceur Starship/Superheavy fait beaucoup parler de lui. Plus parfois que les autres réalisations de l’entreprise qui sont déjà en service, comme Falcon Heavy, Falcon 9, ou la réutilisation. Or si montrer que l’on a un plan d’avenir qui pourrait révolutionner le monde des lanceurs et de l’accès à l’espace fait partie intégrante de la stratégie chez SpaceX, il ne faudrait pas oublier que la firme commercialise aujourd’hui d’autres solutions qu’elle doit vendre, sans quoi elle n’aura pas les moyens de développer Starship. Une ligne très fine entre montrer au maximum le développement de ce véritable monstre en devenir (si l’entreprise réussit à le financer, de nombreuses entités commencent à s’inquiéter de l’arrivée de Starship), et garder la dynamique qui leur permet actuellement de remporter des appels d’offres. La ligne devient de plus en plus floue pour les lancements passés 2021, puisque c’est semble-t-il à cette date que SpaceX tentera un premier vol orbital avec charge utile de son nouveau et gigantesque système de lancement. D’ici là, nous en reparlerons d’ici quelques jours mais la « cocotte minute » Starhopper a réussi un « saut » sans filin à un peu moins de 20m d’altitude, sans s’écraser au moment de son retour au sol. De quoi déjà promettre pour Elon Musk, une nouvelle grande conférence pour clarifier ses plans concernant le gros lanceur, et un prochain essai à 200m d’altitude dans les semaines à venir…
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