[NASA] Artemis doit convaincre
Quelques mois à peine après le « grand virage » de l’agence spatiale américaine vers la Lune avec une nouvelle architecture, un nouveau nom (Artemis), à peine un nouveau logo… Et le président des Etats-Unis demandait, lors des événements des 50 ans d’Apollo, pourquoi la NASA ne dirigeait pas plutôt ses efforts vers Mars. Un pied de nez que Jim Bridenstine, communiquant hors pair et politicien convainquant, a vite retourné à son avantage, rappelant la maxime éculée (et plutôt décriée côté scientifique) que « la Lune est la première étape vers Mars ». Surtout, l’événement vient rappeler que la NASA a besoin de convaincre les politiciens et l’opinion publique pour pouvoir financer Artemis et viser la Lune, si possible pour 2024. Ce qui sera à la fois cher et difficile.
Il est encore long, le chemin vers le pas de tir… Et plus encore vers la Lune ! Crédits NASA
Artemis et la Gateway, deux étapes indissociables
Il y a encore un an, le plan américain était le suivant : construire une station en orbite lunaire, nommée Gateway, avec des modules internationaux, sorte de « mini-ISS » capable de faire office de relais à des missions de longue durée, à des descentes vers la surface lunaire pour les pays qui voudraient s’en donner les moyens, à des missions semi-robotisées pour les autres, bref, une aventure en commun. Artemis est venu changer tout cela, et même si la NASA fait des pieds et des mains pour convaincre ses partenaires internationaux qu’ils ont tout intérêt à investir dans la station orbitale lunaire, la première phase de cette dernière (avec Artemis) sera américano-américaine. Car ce sera bien une capsule Orion américaine (avec certes, un module de service fabriqué en Europe), qui viendra s’amarrer sur une station à minima équipée d’un module de propulsion américain, d’un « noeud » équipé d’un habitat à minima, et de modules lunaires amarrés de l’autre côté : un véhicule de descente (US), un véhicule habité (US) et un véhicule de remontée (US) parés à amener les deux premiers astronautes depuis Apollo, un homme et une femme, à poser le pied sur la Lune. A priori, après quelques mois de définition, c’est bien cette version qui tient, parce qu’une autre évaluait des options sans Gateway du tout. Or pour avoir tout ça en 2024, il faudra bien bosser sur les différents éléments : Orion et son moyen d’accès à l’orbite et à la Lune, le module de propulsion de la Gateway, le module de « noeud » et d’habitat de la Gateway, et l’ensemble pour aller se poser sur la Lune avec la descente, le module lunaire et le module de remontée.
Iconographie soignée pour le nouveau logo d’Artemis. Crédits NASA
Actuellement, les contrats sont signés ou en cours de signature pour que, côté Orion, tout soit paré pour 2024. Ce sera Artemis-3, le second vol de SLS avec Orion et des astronautes. Côté Gateway, les partenariats sont signés, mais il manque encore le budget : la NASA n’a que l’argent de financer les pré-études via son programme NextStep. Ce sont toutefois Maxar qui se chargera du module de propulsion PPE (comprenant de très imposants panneaux solaires), et Northrop Grumman qui s’occupera du module comprenant un mini-habitat pour les astronautes, basé sur l’actuel cargo Cygnus qui ravitaille l’ISS (dernier en date à être annoncé). Alors que reste-t-il ? En plus des chèques pour les industriels et le gros travail qui va avec, il reste la grosse décision de l’architecture de descente, atterrissage et remontée lunaire, pour lequel la NASA a déposé un appel à projet (on sait déjà que Lockheed et Blue Origin sont sur la brèche). Pour celui-ci, la NASA attend la fin de l’automne… Et surtout la décision attendue pour son budget de l’année fiscale 2020, qui démarre officiellement au 1er octobre. Ce n’est qu’à cet instant que l’on saura vraiment si le Congrès américain soutient Artemis et son architecture pour amener des américains sur la Lune en 2024. Ce qui sans une grosse réserve d’argent pour l’agence, ne sera pas techniquement possible… Et on le saura très vite, si les partenaires ne reçoivent pas les fonds nécessaires ils ne tiendront pas les cadences, et ce sera vite remarqué. D’ici moins de trois mois on aura donc bien plus de visibilité sur ce grand plan des années 2020. Et si le Congrès n’est pas d’accord avec la Maison Blanche et n’arrive pas à voter un budget ? Ma foi, ce sera comme les années précédentes : des votes intermédiaires pour prolonger le budget 2019 (sans la possibilité de démarrer de nouveaux programmes ou de débloquer des fonds), et au besoin un « shutdown » comme on l’a connu en 2018 par exemple. Ce dernier a toujours des échos aujourd’hui, et la crédibilité d’Artemis passera par un respect du calendrier… Qui démarrera bien mal si l’agence américaine ne peut plus payer ses personnels pendant quelques jours ou semaines.
Alors fantasme d’une administration poussée par la Maison Blanche, ou véritable effort national à moyen terme ? Crédits NASA
Le Green Run aura bien lieu
Autre annonce majeure de la NASA ces derniers jours, le lanceur super-lourd SLS, élément essentiel au programme Artemis, devra bien passer par son test « Green Run » une fois le premier étage central complètement assemblé. Ce dernier est actuellement en cours d’assemblage à Michoud, et les équipes travaillent encore sur le bloc moteur qui sera ensuite assemblé sur le reste de l’étage. Ce dernier partira en barge au centre spatial Stennis, avant d’être soulevé et installé sur un stand de tir prévu spécialement pour cet essai. Il faudra du temps pour l’installer et l’instrumenter : un compte à rebours sera lancé et tout le premier étage devrait s’allumer sous nos yeux ébahis pour l’ensemble de la durée prévue pour un vol orbital, soit 8 minutes complètes. Avec ses 4 moteurs allumés, ce sera le plus puisant et imposant test depuis celui du premier étage de la Saturn-V et ses 5 moteurs F-1 dans les années 60 ! Toutefois, le « Green Run » coûte cher (et techniquement, a déjà coûté très cher pour adapter le stand de test), surtout en temps : le matériel est délicat, et l’installer, l’instrumenter, faire le test puis l’évaluer avant de le remettre dans sa barge pour l’amener cette fois au Kennedy Space Center en Floride… Cela prendra au minimum 4 mois, et plus probablement 6 ou 7.
Le très impressionnant stand d’essai qui accueillera tout le premier étage de SLS pour un allumage de ses 4 moteurs. Crédits NASA
La décision de le faire ou non revenait donc à la direction de la NASA : tester en profondeur et en conditions réelles l’un des assemblages les plus importants de la future fusée super-lourde, ou bien gagner du temps dans le planning et respecter les souhaits politiques (tout en économisant du budget). C’est finalement la sécurité des vols qui l’a emporté, et l’administrateur de la NASA a confirmé que le Green Run aurait lieu une bonne fois pour toutes. Il faut dire que ce sera une étape importante pour confirmer à la fois le design et les performances, mais aussi la sécurité des astronautes : dès Artemis-2 (en… 2022 ?) ce seront deux à trois astronautes qui prendront place au-dessus. La NASA, on le répète régulièrement, n’a pas droit à l’erreur sur ce programme.
Tout récemment, la nouvelle salle de contrôle au Kennedy Space Center a passé sa première simulation complète d’un compte à rebours et d’un lancement de SLS. Crédits NASA.
Le problème des combinaisons résolu ?
C’est un « détail » que les responsables NASA n’aiment pas voir mentionné dans les questions des journalistes. Il est pourtant tout simple : si l’agence américaine doit envoyer deux astronautes se poser à la surface de la Lune en 2024, fut-il techniquement possible avec tous les autres problèmes à régler, il faut aussi des scaphandres capables de sortir et de s’y promener, sur la Lune. Sans quoi l’expérience devient ridicule : envoyer deux astronautes se poser dessus sans pouvoir sortir à la surface… Or figurez-vous que les EMU actuellement au sein de l’ISS ne sont pas dessinés pour aller se promener sur la surface lunaire, et que la combinaison que porteront les astronautes au décollage d’Orion n’est pas prévue non plus pour sortir de la capsule. La solution pourrait être simple : développer, de préférence rapidement et efficacement, une combinaison lunaire. Sauf qu’il n’y a rien de simple là dedans. Vous ne le savez peut-être pas, mais cela fait une quinzaine d’années que la NASA travaille au remplacement de ses combinaisons EMU, une ligne de crédit qui a déjà absorbé des dizaines de millions de dollars pour ne produire aucun matériel digne pour l’instant d’être embarqué vers l’espace.
La nouvelle combinaison de Collins Aerospace, définitivement orientée vers la Lune. On y monte comme dans une Orlan. Crédits pour The Verge, Loren Gush
Développer un scaphandre c’est long, et c’est cher… Sans compter que le cahier des charges a tendance à évoluer en cours de route, ce qui peut faire passer une combinaison pour une usine à gaz. C’est dans ce cadre très favorable que Collins Aerospace, entreprise qui a déjà été en partenariat avec la NASA à de nombreuses reprises (y compris sur les EMU), a dévoilé son prototype de combinaison lunaire à Washington. Un concept qui ne demande qu’à être financé, mais qui promet à la fois souplesse de mouvement, protection des astronautes et missions longues grâce à un « pack » technologique impressionnant pour recycler l’air et fournir tout ce qui est nécessaire à des astronautes posés sur leur pieds… Donc avec un poids moindre que des scaphandres EMU. Et, parce que le message sur les tailles de combinaisons est bien passé, adaptable à toutes les carrures (99% de la population, selon eux). Collins annonce une disponibilité entre 12 et 18 mois s’ils reçoivent les financements, avec un prix « mini » à négocier avec l’agence. La NASA, si tant est qu’elle reçoit les crédits nécessaires pour Artemis, pourrait bien sauter le pas !
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Un petit truc où je suis paumé, elle tournera autour de quoi la LOPG? la terre, la lune, le couple terre/lune?
La Lune, définitivement. Mais elle sera manoeuvrable.
Merci (je sais que c’est marqué lune dans l’article, mais j’ai l’impression que ça n’arrête pas de changer)