[RocketLab] De la suite dans les idées
A l’occasion du salon « Smallsat » (Small Satellite Conference, à Logan, Utah, USA), RocketLab a fait une nouvelle annonce avec le potentiel de changer ses opérations à l’avenir. En effet, après avoir engrangé des dizaine de contrats, présenté un système novateur d’enregistrement en ligne, dévoilé leur étage supérieur puis leur étage-plateforme de satellites, voici que RocketLab engage les travaux pour un premier étage… réutilisable. Sur sa fusée Electron, qui est déjà extrêmement compétitive en terme de coûts.
Surprise !
Electron, le retour
(Re)Posons les bases : Electron est le lanceur orbital de RocketLab. Il a déjà effectué quelques dizaines de tests au sol, mais surtout il est en opérations depuis 2017. Cette année-là, il effectue un vol orbital, qui se solde par un échec… Mais qui sera suivi en 2018 par trois succès et une hausse des cadences. En 2019, Electron a déjà réussi 3 vols et le quatrième est prévu à partir du 16 août. La fusée utilise un « modèle SpaceX », à savoir une architecture à 9 moteurs Rutherford identiques sur le premier étage, et un seul Rutherford spécialement équipé pour fonctionner dans le vide pour le second étage. Tous ces moteurs utilisent du carburant Kérosène-Oxygène liquide, sont majoritairement imprimés en 3D métal et ont (petit détail technologique) leurs turbopompes alimentées par des batteries. Disponible au prix public de 6.5 millions de dollars environ (4.9 millions dans un premier temps), Electron coûte en réalité plus cher aujourd’hui, mais la plupart des clients sont heureux de payer pour ce service, puisque l’entreprise est la seule à réaliser des vols dédiés pour les « small sats » avec un lanceur léger dans le monde. Cela permet une souplesse dans les orbites, un meilleur choix de la date de départ et c’est important pour les clients de ne dépendre ni d’un gros satellite « client principal » sur un lanceur, ni d’un nombre trop important de colocataires (jusqu’à 110) sur des lanceurs plus imposants. Terminons ce tour d’horizon avec les sites de lancement, puisque RocketLab en opère un sur la péninsule de Mahia en Nouvelle-Zélande, et en construit un second sur la base NASA de Wallops, en Virginie. L’entreprise est déjà en pleine expansion, et son PDG et fondateur Peter Beck l’avait annoncé il y a plusieurs années : il ne ferait pas de lanceur réutilisable. Trop difficile, trop de développement, trop cher… Le 7 août 2019, il avouera sur scène devant un large parterre de journalistes « J’ai du manger mon chapeau ». Les travaux sont en cours pour rendre Electron récupérable et réutilisable.
La première étape sera logiquement de réussir à ramener un premier étage d’Electron en bon état à travers l’atmosphère, ce que Peter Beck appelle « casser le Mur ». Mais c’est grâce à la lecture des milliers de canaux de données de télémesure du lanceur que les équipes de RocketLab se sont lentement persuadées que l’étage pourrait rentrer en un seul morceau et décélérer en suffisamment bon état pour être récupéré. L’idée dans un premier temps est de caractériser la rentrée de l’étage et ses propriétés physiques le mieux possible en augmentant l’instrumentation. Puis les éléments pour permettre la récupération seront mis en place : un ballon de décélération, puis un ou plusieurs parachutes capables de réduire encore la vitesse dans les derniers milliers de mètres avant le sol, pour permettre à un hélicoptère spécialement équipé de le récupérer au bout d’un filin. Un exercice qui semble compliqué mais que Peter Beck a balayé d’un revers de la main : le plus difficile sera de ralentir et de gérer les ondes de choc propagées par la structure pour ne pas que l’étage se désintègre en entrant dans l’atmosphère. Des études sont en cours et l’entreprise a montré à quel point l’exercice était complexe : la physique n’est pas la même que pour un lanceur plus gros…
Le second pas de tir pour Electron en travaux à Wallops en Virginie (USA). Crédits RocketLab
L’objectif de long terme est évidemment de remettre très rapidement en état l’étage pour qu’il revole, voire dans un scénario idéal de le ramener sur le site de lancement, de recharger les batteries et les réservoirs et de repartir. Comparée à SpaceX, cette méthode globale est plus difficile, car l’étage étant petit il n’a pas la latitude de garder suffisamment de carburant pour freiner ou faire demi-tour : toutes les étapes de la rentrée atmosphérique et de la récupération se feront de manière passive. L’entreprise ne préfère pas citer de date pour y arriver, mais haussera progressivement ses efforts en améliorant l’étage.
Electron sur son pas de tir. L’entreprise a fêté récemment le 100è exemplaire de moteur paré pour le vol… Crédits RocketLab
Le défi des cadences
Quel avantage à réutiliser le lanceur sur une fusée aussi peu chère qu’Electron ? Il s’agit d’un lanceur léger et déjà peu cher, il n’y a donc pas le même objectif que pour SpaceX dont le coût de production d’une Falcon 9 dépasse plusieurs dizaines de millions de dollars. En fait, il s’agit avant tout de parer aux carences et aux défis d’une production de masse. Malgré ses atouts (impression 3D des moteurs, automatisation), RocketLab n’a actuellement les moyens de lancer qu’à peu près une Electron par mois, au maximum de sa cadence. Avec pas mal d’embauches et une nouvelle amélioration de la fiabilité de son lanceur (mais aussi l’ouverture du second pas de tir) cette cadence pourrait accélérer à un décollage toutes les deux semaines environ… Mais cela ne suffira pas pour l’entreprise, qui se voit définitivement comme un acteur majeur dans les années à venir, et qui du coup voudrait utiliser la réutilisation… pour augmenter les cadences. Peter Beck a été très pragmatique lors de sa présentation, révélant qu’il ne pensait pas que la réutilisation de son lanceur pourrait lui apporter des économies de coûts, surtout pour le client final (ou bien vraiment de façon marginale) mais qu’un « simple » second vol de son booster principal pourrait lui permettre de doubler sa cadence. Un élément très important à prendre en compte pour l’avenir de l’entreprise, de plus en plus suivie et définitivement devenue une réussite du secteur du NewSpace.
En attendant, la 8è campagne orbitale est presque prête (comme toutes les autres Electron avant elle, celle du vol « Look Ma, no hands » a réussi l’essai de mise à feu sur son site d’essai, avant de partir sur le site de Mahia pour l’intégration), et si tout se passe bien 2019 sera une année record. Je pense qu’il est possible que RocketLab termine l’année avec 7 à 8 décollages, et puisse « tenir » environ un décollage par mois sur le dernier trimestre, avec la mise en place du nouveau site à Wallops. L’année prochaine sera cruciale pour ces efforts pour augmenter la cadence… D’autant que les concurrents directs sont pour l’instant aux abonnés absents.
L’étonnant écusson du 8è vol orbital prévu a partir du 16 août. Crédits RocketLab
Les concurrents sur la touche ?
Le contraste est toujours saisissant entre les réalisations de RocketLab depuis plus de deux ans, et les promesses de ses concurrents dont les cadences sont évidemment censées être fantastiques dès les premiers mois de la mise en oeuvre. Un grand nombre d’entre eux ne seront pas prêts avant 2020, et à ce moment là ils devront lutter contre une entreprise qui a déjà amplement déployé ses ailes… Avec un seul espoir, celui que le marché des petits satellites soit suffisamment important dans le début de la prochaine décennie pour que RocketLab soit toujours surchargée de travail et qu’ils aient donc un moyen de s’exprimer, et de monter eux aussi en puissance pour lutter à armes égales. C’est bel et bien une course ! Cela fait 18 mois environ que l’on pense que Virgin Orbit est le concurrent le plus proche de RocketLab, et leurs essais montrent qu’ils sont sérieux dans leurs objectifs, mais tout cela prend beaucoup plus de temps que prévu. Au cours du dernier essai, l’avion porteur de Virgin, Cosmic Girl, a largué une fusée LauncherOne dans une sorte de « répétition générale » d’un vol orbital : c’était la dernière étape pour pouvoir démarrer le programme opérationnel, et Virgin espère signer une réussite dès le premier tir pour s’engager dans les opérations commerciales le plus vite possible.
LauncherOne pour son premier vol… Moteur éteint. Crédits Virgin Orbit
Autre signe qu’il n’est plus temps d’attendre, la startup Vector (ex Vector Space Systems) qui a beaucoup fait parler d’elle, en partie parce qu’elle a été fondée en 2016 avec de gigantesques promesses de cadences de vol, un lanceur « simple » et disponible « dès 2018 » pour de toutes petites charges de moins de 50 kg en orbite… Et en partie aussi parce que son fondateur Jim Cantrell était l’un des tout premiers fondateurs de SpaceX. Mais avoir un nom ne suffit pas, et après une dernière année très difficile, le PDG-fondateur a été débarqué, en même temps que les 150 employés étaient renvoyés chez eux ce vendredi soir. L’entreprise fait une « pause dans ses opérations », faute de disposer des fonds suffisants pour faire décoller son lanceur Vector-R qui a beaucoup de problèmes techniques (selon Ars Technica les réservoirs de la fusée sont trop lourds) mais aussi organisationnels : l’organisation du site de lancement en Alaska a retardé les opérations, la plateforme de lancement « universelle » n’est pas aussi évidente à mettre en oeuvre que prévu, et la grande usine de production à Tucson n’a pas encore donné satisfaction. Il faudra donc de nouveaux investisseurs et beaucoup de bonne volonté pour faire « redémarrer » l’entreprise. Vector n’est qu’un exemple de ce marché avec plus d’une centaine de lanceurs légers en développement, et dont seulement quelques uns arriveront à faire décoller un premier exemplaire, sans même parler de bons résultats commerciaux. Dans ce segment, RocketLab semble déjà à quelques années lumière de ses plus proches concurrents !
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