[Chine] Les micro-lanceurs qui montent, qui montent…
Contre toute attente, et malgré des dizaines de startups américaines qui bossent sur le sujet, le pays des micro-lanceurs en cette fin de décennie est bel et bien la Chine. Qu’ils soient d’origine « privée » (guillemets de rigueur) ou bien des entités directement issues des grands instituts de recherche aérospatiale organisés dans le pays, les nouveaux lanceurs légers chinois sont là. Limités à leur marché intérieur, cela devrait ralentir leur croissance… Non ? Non.
Smart-Dragon 1 ne se différencie par de ses concurrentes par un extérieur exubérant ou original. Crédits Weibo
Jielong-1, le « Smart Dragon »
Il n’a pourtant pas tant d’arguments pour se différencier de ses adversaires dans cette folle concurrence aux lanceurs à capacités légères (entre 200 et 500 kg en orbite basse selon les conditions). Mais face à la montée en puissance des acteurs non étatiques, supportés par de grands capitaux, les acteurs classiques du spatial chinois devaient réagir. Le lanceur le plus léger de l’armada chinoise issue de la CALT (China Academy of Launch Vehicle Technology) était la CZ-11, qui est relativement puissante. Même si elle est livrée avec son camion porteur et qu’elle a prouvé depuis le mois de juin qu’elle peut être tirée depuis une barge en mer, un lanceur encore plus léger, moins cher et plus souple d’utilisation devait voir le jour. C’est maintenant le cas avec Jielong-1, aussi appelée Smart Dragon-1, qui a fait son premier vol orbital le 17 août 2019. La campagne de tir, qui a permis de mettre en orbite 3 satellites commerciaux, s’est bien passée… Moins d’un mois après que le premier acteur de la sphère privée chinoise, iSpace, ait réussi son propre pari de lanceur orbital avec Hyperbola-1. Le grand avantage de ce petit lanceur, outre le fait que la China Rocket Company (filiale commerciale de la CASC, voir plus bas) puisse en produire comme des petits pains au besoin, c’est sa capacité à être stockée avec son carburant chargé pendant plusieurs mois sur son camion, dans un hangar. Besoin d’un satellite ? Hop, hop, on l’intègre sur le lanceur et après un minimum de tests et de préparations finales, le décollage peut avoir lieu.
C’est d’ailleurs assez rigolo de voir que Smart-Dragon décolle comme une partie de ses concurrentes depuis le site de Jiuquan. Crédits Weibo
A noter enfin que même si comme ses petits camarades, Jielong-1 est un lanceur à 4 étages à propulsion solide à poudre (capacité de 200kg pour une orbite LEO à 500km d’altitude), il se distinguerait selon Nasaspaceflight par un étonnant dispositif pour ses charges utiles, pas exactement placées sous la coiffe mais en « sandwich » entre le 3è et le 4è étage. Lors d’un vol, lorsque le 3è étage a terminé son action et largue le quatrième et dernier, ce dernier effectue un « demi-tour » et s’oriente correctement avant de démarrer son moteur. En théorie, cela permet de gagner quelques toutes petites unités de volume pour les satellites embarqués, mais c’est assez particulier !
Et pourtant, elle tourne ! Crédits Weibo via Launchstuff (twitter)
Kuaizhou-1A est encore en piste
Ce vendredi 30 août, c’est Expace qui est venu rappeler qu’ils sont toujours dans la course, et que leur petit lanceur léger a déjà de l’expérience ! Avec ce 3è vol de Kuaizhou 1A en 3 ans, la cadence n’est pas mirifique mais reste supérieure à la majorité des acteurs du secteur locaux. Surtout que ses capacités de 200 kg jusqu’à 700 km d’altitude en orbite héliosynchrone ne la placent pas particulièrement devant ses féroces concurrentes : comme d’autres, elle est constituée de 4 étages à propulsion à poudre, dérivés des technologies de missiles dont CASIC est l’un des acteurs chinois prépondérants. Pourtant, Expace, qui se charge de la commercialisation et des opérations de Kuaizhou, continue d’être optimiste, en annonçant après ce vol qui embarquait deux satellites expérimentaux pour des acteurs privés et institutionnels (Kuxue-09 et Xiaoxiang 1-07 de SpaceTY) jusqu’à 9 décollages de Kuaizhou 1A d’ici la fin de l’année. Si le rythme paraît difficile à atteindre, il faudra pourtant garder les deux yeux ouverts, les entreprises chinoises de l’aérospatial étant des habituées de ces fin d’années sur les chapeaux de roues. La mise en orbite de petites constellations de satellites légers chinois comme les Jilin (image, vidéo depuis l’orbite basse) fait l’objet de nombreuses négociations entre des acteurs privés et étatiques côté fabrication et opérations des satellites comme côté lanceurs : celui qui décroche la timbale est assuré d’avoir de gros contrats multi-lancements mais aussi pourra faire sa publicité avec une fusée alignant 5 à 10 décollages (de préférence réussis) en face de ses concurrents. Expace, soutenue par la CASIC, paraît être en bonne place pour ces contrats, mais il ne faut pas oublier l’image d’une entreprise « institutionnelle ». Les entrepreneurs du NewSpace chinois côté satellite préfèrent peut-être, comme du côté américain, donner un sésame à un acteur non étatique… La suite pour Expace passera aussi par la mise en service Kuaizhou-11, annoncée initialement pour 2018 mais qui n’a pas encore décollé pour son vol inaugural. Bien plus puissante que sa petite soeur la version 1A, elle était censée disposer d’au moins une dizaine de contrats de lancement. A voir si ces derniers tiennent toujours…
Expace a réussi l’exploit de rendre la Kuaizhou-1A reconnaissable. Crédits Weibo
Petit récap :
Du coup pour y voir un tout petit peu plus clair dans les acronymes que l’on voit souvent :
- Il y a deux grandes entités pour le spatial chinois :
- CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation) qui est un conglomérat d’état.
- CASIC (China Aerospace Science and Industry Corporation) qui est une entreprise d’état spécialisée dans les missiles.
Parenthèse, on retrouve au sein de la CASC des acteurs que tous les spacegeeks connaissent :
- La CALT (China Academy of Launch Vehicle Technology), qui a recherché et produit toute la génération de lanceurs Chang-Zheng (ou Longue Marche).
- La CAST (China Academy of Space Technology) qui conçoit et réalise des satellites.
- La CGWIC (China Great Wall Industry Corporation) qui vend les lanceurs Chang-Zheng en Chine et à l’international
Et maintenant qu’on a posé les bases de ces acronymes, il devient plus facile de s’y retrouver en disant que les deux grandes entités du spatial chinois ont créé ces dernières années des petites entreprises réactives pour lutter contre l’émergence des acteurs commerciaux privés.
- La CASC a donc donné naissance à China Rocket Co. (et son lanceur Jielong-1 ou Smart Dragon)
- La CASIC a donc donné naissance à Expace (et ses lanceurs Kuaizhou 1, 1A et bientôt 11).
A noter pour l’anecdote que la CASIC a déjà donné naissance à un autre lanceur à vocation commerciale, dont Expace ne s’occupe pas, la petite Kaituozhe (KT 1 et 2).
Eh oui vos yeux ne vous trompent pas, c’est bien le même pas de tir que Smart Dragon (remontez dans l’article). Crédits inconnus, via Weibo
Et plutôt que de conclure l’article en revenant vers l’évolution des générations classiques, pourquoi ne pas continuer dans les listes en reprenant un résumé des vols orbitaux pour les lanceurs légers chinois ? Vous allez voir, il y en a… Beaucoup. Et ça n’est rien par rapport à ceux qui sont en préparation !
- CZ-11 (CASC) : 7/7 succès depuis 2015, dont 2 en 2019
- Kuaizhou 1/1A (Expace -> CASIC) : 5/5 succès depuis 2013, dont 1 en 2019
- Kaituozhe 1 (CASIC) : 2 échecs en 2003 et 2004, n’est plus en service
- Kaituozhe 2 (CASIC) : 1 succès en 2017
- Zhuque-1 (LandSpace) : 1 échec en 2018
- OS-M1 (OneSpace) : 1 échec en 2019
- Hyperbola-1 (iSpace) : 1 succès en 2019
- Jielong-1 – Smart Dragon (China Rocket Co -> CASC) : 1 succès en 2019
Notez la camionnette derrière, c’était inattendu. Crédits inconnus via Weibo
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires.