[Lune] Il y a encore du travail…
Devant le fleurissement des projets lunaires actuels, il faut souligner l’un des paradoxes de l’exploration de notre satellite : il y a beau avoir une vingtaine d’industriels et d’états qui planchent sur la question, il est aujourd’hui encore terriblement difficile de se poser sur la surface de la Lune. On a cru que c’était facile puisqu’Apollo y était arrivé avec quelques kilo-octets de RAM, que les sondes américaines et soviétiques ont réussi des missions robotisées dès les années 70, et puis parce que les chinois ont enchaîné à 5 ans d’écart Chang’E 3 puis Chang’E 4 sur la surface cachée. Il serait temps de se réveiller pour comprendre les échecs et mettre les moyens nécessaires aux succès.
Dans quel état sont-ils sur la Lune ? C’est toute la question… Crédits ISRO
Vikram n’a pas repris contact
Après la tentative ratée d’atterrissage le 7 septembre, la déception a été sensible tout au long du weekend dernier en Inde. A tel point que certains médias indiens, relayés dans le monde entier, ont fait état de « sources » qui leur confirmaient parfois n’importe quoi. Vikram aurait été aperçu depuis 100 km d’altitude par l’orbiteur de la mission Chandrayaan-2, il serait intact, mais posé sur le côté, etc… Il aura fallu attendre le début de semaine pour que l’agence indienne fasse le ménage, et déclare dans un premier temps que son directeur K. Sivan n’est pas présent sur les réseaux sociaux (les vrais observateurs du spatial savent par ailleurs qu’il ne maîtrise pas très bien l’anglais). Ensuite, l’ISRO a bien confirmé que le site d’atterrissage de Vikram avait été identifié, et qu’en effet les équipes indiennes tentaient toujours de prendre le contact avec l’atterrisseur. A vrai dire, on voit mal pourquoi ils auraient arrêté : s’il y a une infime probabilité pour laquelle le véhicule est capable de répondre, alors il n’y a pas à hésiter et il est logique que depuis la Terre et l’orbite lunaire, on « crache » le plus de signaux de démarrage/émission possible. Reste qu’à l’heure qu’il est, dans une semaine il fera nuit sur le site d’atterrissage (Vikram n’a pas été conçu pour résister aux températures de nuit), qu’aucun contact n’a pu être confirmé, que l’ISRO n’a pas mis en ligne les images du site… Et que la NASA ne pourra prendre de premières photos avec son orbiteur LRO que le 17 septembre (et encore, avec une forte inclinaison). En bref il faut comprendre que si les équipes indiennes n’ont pas repris contact avec leur atterrisseur maintenant, il est chaque jour un peu moins probable que ça puisse arriver.
A priori, Vikram ne ressemble plus à ça. Crédits ISRO
Contrairement à ce qu’affichent donc un certain nombre de médias nationalistes, ce n’est pas une « réussite partielle jusqu’à 2km du sol », mais bien un échec de cette partie de la mission. Ce à quoi il faut veiller par contre, c’est d’en apprendre un maximum. Et là encore, il va falloir faire confiance à l’agence spatiale indienne, qui n’est pas spécialement loquace en public depuis une grosse semaine. Or le public, pour faire son deuil de Vikram, a besoin de comprendre ce qui s’est passé, pour éviter de se perdre en conjectures ! India Today a par exemple fait un long article expliquant que Vikram avait, pour une raison inexpliquée, fait un salto avant entre la phase de freinage précis et la phase de freinage final, ce qui aurait eu pour conséquence d’accélérer la sonde et de lui faire perdre une partie de ses moyens de contrôle. A vrai dire, c’est possible, et cela « colle » avec les observations transmises par la télémétrie et montrées par l’ISRO lors de la descente… Mais il faudrait que ce scénario soit confirmé par les autorités. Peut-être est-ce une « bête » erreur, ce ne serait pas la première fois qu’une nation perd un satellite, une sonde ou une fusée pour une décimale mal placée, ou un compteur qui soudain passe de 255 à 0 (remarque qui n’est pas au hasard, cela pourrait expliquer un salto). Avouer ses erreurs, montrer qu’on apprend de ces dernières et chercher à toujours s’améliorer, c’est ce qui fait les grands succès du spatial. Maintenant, il faut simplement espérer que l’ISRO, si elle n’arrive pas à reprendre le contact d’ici le weekend prochain, décide de partager les dures leçons qu’elle a apprise.
Il va nous falloir de la confiance pour y renvoyer des hommes et des femmes… Crédits NASA
De Beresheet à Genesis….
Les israéliens de SpaceIL ont pour leur part déjà compris les leçons de leur atterrisseur Beresheet, qui a échoué à atteindre la surface en un seul morceau au mois de mai. Quelques jours après la tentative, les responsables d’IAI, le géant militaro-industriel israélien qui a absorbé SpaceIL annonçaient déjà un « Beresheet 2 », mais entre temps le message a été plus ou moins dilué. En effet SpaceIL a ensuite déclaré que Beresheet 2 ne viserait pas la Lune parce que cette mission était du déjà vu (euh, ok)… Bref. Mais en réalité il se pourrait bien qu’un vrai Beresheet 2 soit finalement américain. Eh oui, car l’entreprise du New Space Firefly, qui développe entre autre une gamme de lanceurs orbitaux et qui a l’ambition de réussir ses premiers lancements à partir de l’année prochaine, a aussi participé avec succès au premier round du contrat CLPS avec la NASA. Un contrat attribué à 9 industriels (plus que 8 aujourd’hui) pour envoyer des charges légères sur la surface de la Lune en mode « client » pour la NASA qui n’a du coup qu’à fournir ses charges utiles et payer, les entreprises se chargeant du reste. Alors pourquoi je vous parle de Firefly ? Parce que l’entreprise a dévoilé son futur atterrisseur lunaire, appelé Genesis. Et à qui Firefly a-t-elle fait appel pour concevoir sa plateforme ? A l’israélien IAI. La filiation ne fait aucun doute, et Firefly ne s’en cache pas, elle précise même sur son site que l’avantage d’avoir un contrat avec les équipes israéliennes, c’est de profiter de leur retour d’expérience ! Et l’atterrisseur s’appelle Genesis… Car c’est la traduction américaine de Beresheet. A noter toutefois que comme pour d’autres entreprises sélectionnées par la NASA dans le cadre du contrat CLPS, il faudra montrer que l’atterrisseur est bien « Made In America », sinon les contribuables ne seront pas contents.
Voici donc Genesis ! Crédits Firefly
A noter aussi que les échecs successifs des israéliens et des indiens soulèvent beaucoup de questions outre-Atlantique, se demandant bien comment la NASA peut avoir confiance en une dizaine de startups pour envoyer des charges utiles sur la surface lunaire, alors même que 2019 a prouvé à tous qu’il est extraordinairement difficile d’y arriver. Plus important, l’agence américaine doit très rapidement confier le développement d’un atterrisseur lunaire habité à une entreprise. Et là encore, le ratio risque/expérience n’est pas très favorable… Il va falloir que les « Golden Boys » américains montrent qu’ils sont capables d’y arriver, sans quoi non seulement les crédits seront rares, mais en plus les chinois continueront de rigoler. Parce que voyez-vous eux, ils sont effectivement sur la Lune. Pas sur Powepoint.
La Lune, vue par Beresheet. La mission a tout de même rapporté son lot d’émerveillement. Crédits SpaceIL/IAI
De l’argent pour Artemis, vite !
D’ailleurs si le plan principal pour ramener des astronautes sur la Lune, Artemis, a déjà peu de chances d’aboutir à temps techniquement (on rappellera que le lanceur ne sera pas prêt avant 2021, que les tractations pour la station orbitale lunaire Gateway sont toujours en cours, et qu’il y a 100 autres « détails » de ce type à régler), l’heure de vérité approche pour que les politiciens américains donnent un budget à cette aventure. En effet il faut rappeler que l’année fiscale 2020 (FY2020) démarre le 1er octobre. Si le Congrès (Senat et Chambre des représentants) ne s’est pas accordé avec la Maison Blanche (Donard Trump) d’ici là, alors le budget fiscal 2020 sera d’abord retardé. Ce qui signifie qu’au premier octobre, les USA seront financés par un CR, une « Continuing Resolution » qui permet pour quelques semaines de prolonger le budget 2019 sur sa même base proportionnelle. Cela permet en général d’assurer la continuité (d’où son nom) jusqu’à ce que les politiciens terminent de s’écharper et tombent d’accord. L’année fiscale 2020 est ensuite amputée de quelques semaines ou mois, et tout reprend son cours, ou bien une nouvelle CR est votée, ou bien un Shutdown. Or dans le cas d’un CR ou du Shutdown, il est bien sûr impossible de mettre un nouveau projet ou budget en place, puisque par définition, on prolonge l’année précédente.
C’est beau, c’est engageant mais… D’où vient l’argent ? Les comptes sont pas bons, Kevin… Crédits NASA
Le projet lunaire Artemis, qui bénéficie déjà d’une part importante du budget NASA via des composantes qui sont en continuité avec les années précédentes (par exemple la capsule Orion, ou le lanceur SLS), a besoin d’une grosse ralonge, voire même d’un budget exceptionnel dans l’année fiscale 2020, pour pouvoir réaliser quoi que ce soit vers la Lune en 2024. Eh oui, rappelez-vous, Artemis date de cette année, et l’année fiscale était déjà bien engagée lorsque la NASA a commencé à sélectionner ses partenaires privés pour emmener ses astronautes sur la Lune (et encore, les grandes sélections comme le futur LEM sont à venir). Conséquence directe, les appels d’offre ne sont pour l’instant pas ou peu financés, par des programmes de développement futur (contrats NextSTEP). Pour bosser sérieusement, les industriels sélectionnés ou qui vont être sélectionnés très bientôt vont avoir besoin de beaucoup d’argent. Ils ne pourront pourtant en avoir que si le budget de année fiscale 2020 est voté, et leur donne une ligne de crédit substantielle. On s’approche donc très vite du moment de vérité…
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Ouais on veut des moulures dans la LOPG quoi !
Je suis fier, quelqu’un a relevé la blague.