[Mars] Forer n’est pas jouer
Depuis le 7 septembre, la conjonction est terminée : une grosse dizaine de jours durant, le Soleil est venu se placer en ligne directe entre la Terre et Mars, empêchant les communications avec les sondes en orbite et les deux robots actuellement en activité à la surface. Une situation prévue de longue date, dont les véhicules à moins d’un souci majeur se sortent sans souci majeur : un grand check-up et puis c’est la reprise quelques jours plus tard, des activités scientifiques. Et à la surface, les travaux ne manquent pas.
Le second trou de Curiosity en deux mois et en très haute résolution. Crédits NASA/JPL-Caltech
Curiosity double la mise
Début août, le robot Curiosity réussissait son 23è forage sur le site « Glen Etive », un joli surplomb au-dessus de la « vallée » Glen Torridon, ce qui donnait de magnifiques images de paysage avec les petites hauteurs de Vera Rubin au second plan, et le reste du cratère de Gale sur le fond de l’image. Et devant tout ça, un trou. Un forage réussi et un soulagement pour les équipes scientifiques, qui cherchaient depuis quelques semaines une cible digne de passer plusieurs semaines sur place et qui réponde à tous les critères. Glen Etive aura été une campagne de 3 semaines réussie, avec forage, étude des échantillons de poussière (déportée mais aussi à l’intérieur du rover avec une dépose d’échantillons), mais visiblement certains des résultats ont intrigué les équipes scientifiques. Il faut dire que le site étant en hauteur, il apporte peut-être de nouveaux éléments sur l’évolution de l’eau et du paysage martien sur place il y a quelques centaines de millions d’années. Donc pour confirmer des résultats géologiques, pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’une anomalie… Eh bien rien de tel que de forer quelques centimètres plus loin ! Sans surprise, le site s’est donc appelé Glen Etive 2. Curiosity y restera sans doute jusqu’à la fin du mois de septembre, même si les opérations devraient aller un peu plus vite que prévu : après tout cette fois ils savent quoi chercher !
Trou et trou sur Glen Etive. Crédits NASA/JPL-Caltech
Quelle prochaine phase pour InSight ?
Pratiquement dix mois après son atterrissage, la mission NASA InSight peut afficher un nombre important de réussites. Ses instruments à bord fonctionnent bien, mais aussi et surtout le déploiement des deux expériences principales, le sismomètre français de précision SEIS et le capteur de température foreur allemand HP3 ont été déposés correctement à la surface de Mars. SEIS guette depuis le mois de mars le moindre « marsquake » et enregistre ses données qui sont ensuite décryptées dans nos labos français entre autres, tandis que HP3… Ben… Pas grand chose. Car la Taupe, cette « tête de forage » en métal équipée d’un système à percussion, n’a pas réussi à s’enfoncer dans le sable de plus de 30 cm de profondeur. Malgré plusieurs essais des modes de percussion et des tests en parallèle sur Terre, impossible de l’enfoncer correctement. Comble de malchance, le haut de la tige métallique, qui est normalement capable d’entraîner dans sa descente à travers le sol martien jusqu’à 5m de câble équipé de capteurs de température, était bloqué dans le tube de l’instrument. Au mois de juin, la NASA a aidé les allemands une première fois, en déplaçant avec toutes les précautions du monde l’instrument lui-même, ce qui a permis de libérer la Taupe, mais aussi de l’inspecter sous toutes les coutures. La situation malheureusement, n’a pas évolué : les scientifiques estiment à présent que ce sont les propriétés du sable martien qui sont en cause, le trou autour de la tête de forage étant complètement tassé. Alors dans une seconde phase, les allemands ont avec les équipes du JPL utilisé le bras robotisé de la mission pour aller appuyer sur les parois du trou, et faire s’effondrer le sable à l’intérieur. Le tout avec une contrainte à l’esprit… C’est une tentative de sauvetage, ni le bras ni la Taupe n’ayant été conçus pour se retrouver dans cette situation.
On voit bien sur ce cliché le trou, les différentes tentatives pour appuyer à côté avec le godet et même la tranche. Crédits NASA/JPL-Caltech
Malgré tout, l’été n’aura pas permis d’être beaucoup plus optimistes pour la suite de la mission d’HP3. A trois reprises, le godet du bras robotisé a été utilisé pour « combler le trou » et redonner un peu de coefficient de friction à la taupe. Mais le sol de Mars a réservé de drôles de surprises : alors qu’on pensait le sable fin comme de la farine, en appuyant la partie courbée du godet, il n’y a eu absolument aucun effet. Alors les deux essais suivants ont utilisé la tranche, un peu comme une pelleteuse qui racle le sol. Et cette fois enfin, du sable est tombé dans le trou à côté de la Taupe. Ce n’est pas tout à fait satisfaisant (le trou est à moitié vide ou à moitié plein, comme vous voulez) et on devine que la tête de forage aura du mal à s’en accommoder, mais c’est peut-être mieux que rien. Les équipes, de retour de vacance après la conjonction, doivent déterminer en ce mois de septembre si elles vont tenter une nouvelle campagne de percussions (c’est que le matériel n’est pas incassable non plus) ou si il faut plus d’opérations autour de la tige métallique pour que la mission puisse progresser, et peut-être être sauvée. On devine aussi qu’après 6 mois d’essais, et même s’il faut garder toute sa tête, on rentre dans une période où soit ça fonctionne, soit on fait des tentatives désespérées, soit on déclare que l’instrument ne pourra jamais creuser ni permettre de valider la façon dont le sol martien conduit la chaleur.
Le rover Rosalind Franklin lors de son intégration. Crédits ESA
Plus que jamais l’incertitude pour l’an prochain
La prochaine « fenêtre de tir » vers Mars s’ouvre l’année prochaine, et il était prévu qu’une véritable armada de véhicules terrestres en profitent pour filer vers la planète rouge. Aujourd’hui, il y a deux missions qui semblent remplir tous leurs critères pour un départ dans les temps : l’orbiteur martien « Hope » des Emirats Arabes Unis (départ sur un lanceur japonais) et la mission qui enverra le cousin de Curiosity, Mars2020 (qui aura un nom officiel en début d’année prochaine). Ce dernier en assemblage dans les locaux du JPL a été préparé très en avance, et on peut affirmer sans trembler que sauf problème majeur, les américains seront prêts : c’est leur 6è mission à destination de la surface martienne en deux décennies, aussi sans parler de routine, on peut dire que les équipes ont pu se faire la main sur la planification et la préparation des éléments. Pour la Chine, qui prévoit d’envoyer une mission triple (orbiteur – atterrisseur – rover) c’est un peu plus compliqué : les échos qui nous parviennent semblent indiquer que les véhicules seront préparés à temps, mais c’est un manque de lanceur qui se fait sentir. En effet, la mission doit décoller dans moins d’un an, et la fusée CZ-5 n’a toujours pas fait son apparition pour être requalifiée aux vols. Le lanceur lourd chinois doit pourtant effectuer une première mission depuis Wenchang pour recevoir l’aval des autorités et embarquer les missions lunaires et martiennes, suite à son accident en 2017 et aux changements importants de design réalisés depuis. L’agenda est encore possible avec un retour au vol en décembre-janvier, mais au-delà il est possible que cette mission avec un très gros profil pour les équipes chinoises soit décalée à 2022.
La très difficile séquence de parachutes de l’ESA pour la descente d’ExoMars vers la surface. Crédits ESA
Et puis il y a l’ESA. Les préparations vont relativement bon train sur le rover Rosalind Franklin, mais aussi sur l’atterrisseur Kazachok qui, si l’on en croit les dernières informations publiques, seront probablement à l’heure pour être testés puis encapsulés à Baïkonour sous la coiffe de Proton. Mais tout ceci restera cloué au sol si le système de parachute n’est pas validé d’ici le printemps prochain. Parce que le module atterrisseur n’a pas de moteurs très puissants, la mission utilise en effet une combinaison de plusieurs parachutes successifs, dont deux parachutes principaux : l’un des deux (le plus petit) se déclenche à vitesse supersonique, l’autre à vitesse subsonique, fait 35m de diamètre. Sauf que voilà, les tests de ces parachutes réalisés cette année ont échoué, montrant des déchirures à plusieurs mois d’écart et donc malgré des changements de design. C’est embarrassant, alors un dernier « round » de tests (un pour le supersonique, un pour le subsonique) est prévu aux Etats-Unis cet automne et au tout début de l’année prochaine. Il va sans dire qu’au moindre accroc cette fois, l’ESA décidera sans doute de reporter la mission à 2022, ce qui impliquera une forte hausse des coûts mais permettra de poursuivre sereinement le programme de parachutes. En effet, il serait idiot également de faire passer les tests avec succès, de se presser de tout encapsuler et de perdre la mission un an plus tard à l’arrivée sur Mars parce que justement un parachute ne s’est pas comporté comme prévu. Personne à l’ESA ou en Russie n’aimerait ce scénario, d’une part parce que cela fait presque une décennie que l’on travaille ensemble sur cette mission, de l’autre parce que russes et européens ont des difficultés historiques à atterrir sur Mars (on se souvient que pour l’ESA c’est 2-0 pour la planète rouge avec Beagle-2 et Schiaparelli en échecs). La pression est donc maximale sur le sujet des parachutes.
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires