[ISS] Une première sortie 100% féminine
Une fois de plus, il aura fallu attendre des dizaines d’années pour qu’au gré d’une des rares opportunités, deux femmes puissent entrer dans l’Histoire et prouver qu’elles sont aussi capables que les hommes. Car ce vendredi a eu lieu la toute première sortie EVA 100% féminine. Et non, ce n’était pas anecdotique, et non ce n’était pas un coup de com. Explications.
Quelle main tendue, et quel cliché ! Wow. Crédits NASA
La sortie elle-même : une urgence très bien gérée
Si vous lisez régulièrement ces lignes, vous savez très bien que l’ISS est dans une séquence très chargée de sorties en cette fin d’année, avec pas moins de 10 sorties extravéhiculaires (EVA) de prévues avant la fin décembre ! Les cinq premières sont au service du remplacement d’un pack de 12 anciennes batteries nickel-hydrogènes ayant dépassé leur durée de vie par 6 nouvelles batteries lithium-ion toutes neuves et 6 plaques d’adaptation. Les deux premières EVA ont déjà eu lieu les 6 et 11 octobre, et les deux astronautes Christina Koch et Drew Morgan se sont très bien débrouillés pour échanger du vieux avec du neuf, en prenant de l’avance… A tel point que la cinquième des sorties était déjà en question lors de leur retour dans la station. Mais tout ne se passe pas toujours exactement comme prévu. Pour changer des batteries, vous conviendrez qu’il est utile de « couper le courant » ? Eh bien sur l’ISS aussi. De cette façon 3 BCDU (Battery Charge/Discharge Unit), qui sont grosso-modo des boitiers-relais ont été basculés sur la position OFF le temps de la sortie. Sauf qu’un des trois n’a pas voulu se rallumer ! Situation embarrassante, mais surtout ennuyeuse techniquement puisque ça ne sert à rien de remplacer des batteries si le relais qui les commande est hors service. Par chance, plusieurs relais BCDU sont disponibles à l’extérieur de l’ISS, stockés au cas où. Mais il faut aller installer le BCDU de remplacement, qui se trouve comme les batteries au-delà de la portée du bras robotisé de l’ISS. Il faut donc deux astronautes qui puissent s’y coller. Et vite.
Un BCDU n’est pas une petite pièce d’équipement. Sur Terre il faudrait être au minimum 4 pour la porter d’une pièce à l’autre. Crédits NASA
S’ensuit une sélection rapide, au cours de laquelle la NASA a le choix entre Drew Morgan, Christina Koch et Jessica Meir. En cas d’indisponibilité elle aurait aussi pu envoyer Luca Parmitano, mais il y a déjà assez de choix comme ça. La sortie sera parfaite pour une « rookie » comme Jessica, le changement de BCDU ne prenant normalement pas plus de 4h. Finalement, l’agence américaine assigne Christina et Jessica, et la « petite EVA » devient une sortie historique, puisque jamais il n’y avait eu que des femmes à l’extérieur de l’ISS. Ou à l’extérieur de n’importe quel véhicule spatial. En 54 ans de sorties EVA, il y avait toujours un mec. Eh bien, plus cette fois.
La sortie elle-même aura été aussi ennuyeuse qu’on peut l’espérer, c’est à dire intéressante à suivre mais sans aucun événement spécifique, sans erreur ou gaffe, bien au contraire, et ce malgré la pression des imbéciles qui espéraient montrer que non, elles ne pouvaient pas y arriver. Le BCDU a été changé en un peu plus de 3h (et encore, elles ont eu droit au fameux et traditionnel écrou-qui-ne-veut-pas-tourner), avant d’en profiter pour plusieurs tâches qui n’avaient pas jusqu’ici mérité une sortie spatiale spécifique, comme la préparation sur le module européen Colombus de sa future plateforme extérieure Bartholomeo qui devrait arriver l’an prochain. Après finalement plus de 7h d’efforts (7h17), Christina Koch et Jessica Meir qui sont meilleures amies dans la vie mais aussi collègues de travail (ce qui oui, s’est ressenti notamment dans leur façon de communiquer au début)., sont rentrées dans le sas et ont pu répondre, au lieu de se reposer, aux centaines de sollicitations du monde entier et des USA en particulier pour recueillir leurs témoignages. Elles ont au passage du corriger le président Trump qui, une fois n’est pas coutume, avait fait une erreur en expliquant qu’il s’agissait de la toute première EVA incluant une femme. Puis elles ont pu aller se reposer, conscientes je pense du retentissement de leur sortie qui était observée par toute la direction de la NASA, des sénateurs et représentants américains, le Président, une foule de journalistes et beaucoup d’enthousiastes, y compris (et ça c’est super) beaucoup d’écoliers, petits et grands.
La vue de Christina Koch lorsqu’elle levait la tête de son poste de travail. Crédits NASA
Tribune : Pourquoi un tel retentissement ?
Tout d’abord, l’aspect positif : cette sortie pour commencer était une première. Depuis que des femmes sortent dans l’espace, il y avait toujours un homme devant ou derrière elles, et ce depuis le travail de Savitskaya en 1984 (une mission pour laquelle elle fut choisie pour « coiffer » l’Ouest, et pour laquelle elle était finalement extrêmement qualifiée et qui a testé un instrument particulièrement dangereux que tout le monde a oublié en faveur de son autre exploit, être la première scaphandrière de l’espace). Il n’y a d’ailleurs « que » 15 femmes ayant eu l’occasion de réaliser des EVA, ce qui est peu, dont 14 américaines. Cette sortie était donc un grand succès, pas un exploit au sens profond du terme puisqu’il n’y a pas eu de performance extraordinaire, mais un véritable événement historique. Cette sortie a généré des myriades de commentaires positifs et de réactions inspirantes, notamment des parents qui ont montré ces vidéos à leurs filles, des écoles à leurs élèves, sans compter le retentissement médiatique. Et des gens heureux. Et rien que pour ça, on devrait s’en réjouir.
Mais il y a eu aussi deux, ou plutôt 3 types de réactions neutres ou négatives, auxquelles il faut je crois à notre tour réagir, parce que dans ce domaine, ne rien faire est souvent la marque du laisser-faire. Le premier type, basique, est celui de la blague sexiste ou de la remarque-de-gros-beauf, peu importe au nombre de degrés d’humour qu’elle se revendique. C’est souvent très peu fin et sauf extraordinaire compétence, ça n’a pas sa place dans ce genre d’événement (pro-tip, si vous vous demandez « est-ce que je la fais », ne la faites pas). Le second, c’est celui de la neutralité forcée, à savoir « pourquoi parler d’une sortie avec deux femmes, ce sont deux astronautes comme les autres ». Et le troisième la réaction opposée, à savoir que cette sortie était un énorme coup de com de la NASA, qui a organisé tout ça en âme et conscience.
Le scaphandre est alimenté en larmes de machos. Crédits NASA
A quoi on peut répondre que oui bien sûr, la NASA fait de la communication sur cette première, et heureusement d’ailleurs. C’est son rôle, de promouvoir la science mais aussi ses activités spatiales à son public (qui, rappelons-le, la finance). La partie « Com » c’est peut-être d’avoir justement choisi des contrôleuses au sol qui soient aussi des femmes et organisé ça de façon à ce que ce soit le plus visible possible et « tout féminin ». Mais… ça s’arrête là. Communication ou pas, chacune était à sa place, de la directrice au sol à la CapCom, ainsi que Christina et Jessica en orbite. Personne n’a été mis là « pour le geste » ou propulsé sur un tremplin : elles ont démontré les mêmes compétences que leurs collègues masculins, probablement plus d’ailleurs puisqu’il leur a souvent fallu évoluer dans des milieux quasi-intégralement masculins. En ce sens, la NASA fait office de bon élève, en incitant les femmes à se lancer dans des carrières scientifiques et techniques. Cette politique a mené, lors des dernières sélections (à critères strictement égaux) à atteindre des chiffres proches de la parité. Après quelques années, c’est la raison pour laquelle on retrouve sur l’ISS plusieurs équipages de suite avec des astronautes femmes : Anne McClain, Serena Aunon-Chancellor, Christina Koch, Jessica Meir sont toutes de la même promotion. Défions quiconque de prouver qu’elles ont moins de compétences que des astronautes masculins…
Cette politique mérite d’être soulignée car même si l’extrême majorité des sélections d’astronautes sont ouverts aux femmes, il y a toujours peu de candidatures féminines, peu de profils techniques et au final, peu ou pas du tout de sélection. A noter qu’il n’y a jamais eu d’EVA d’une astronaute européenne, et que sur les 7 astronautes actifs de la sélection de 2009, 6 sont des hommes. Faut-il des quotas ? C’est un vaste débat pour lequel je suis mal placé pour répondre (étant 1) un homme et 2) peu compétent sur les études d’impact qu’une telle décision a en terme de visibilité), même si je voudrais bien y être opposé sur le principe de compétences égales et sélections égales… Mais à la fin, c’est un cercle vicieux. Si on ne sélectionne pas de femmes, elles ne sont pas visibles, si elles ne sont pas visibles elles n’inspirent pas par l’exemple et une génération de plus continuera de se désintéresser de ce type de carrière. Et du coup, on risque de passer à côté de profils qui pourraient tant apporter, des astronautes courageuses et inspirées qui prendraient la bonne décision au bon moment… Mais qui n’ont pas postulé car elles ont pensé à un moment qu’elles n’y auraient pas leur place (ou pire, qu’on leur ait dit ça). Finalement, pourquoi vouloir tendre vers la parité ? C’est un débat, mais l’agence américaine a fait le pari que d’avoir plus de diversité favoriserait de meilleurs profils et de meilleures compétences. Et de ce côté là, une fois de plus je n’ai pas les études qui vont avec mais personnellement, plus de diversité me paraît être un choix très judicieux. Quand vient le temps de sélectionner les meilleurs, on ne veut personne qui se sente laissé de côté.
Du bout de la poutre truss, même les modules habités ont l’air loin. Crédits NASA
Comment ne pas tomber alors dans le piège inverse : les astronautes étant tous très compétents hommes ou femmes, pourquoi parler de cette sortie ? Tout simplement parce que nous ne vivons pas dans un monde parfait. Si des sorties EVA de deux femmes avaient lieu régulièrement, qu’il n’y avait aucun problème de représentativité; alors personne n’en parlerait effectivement. D’ailleurs vous verrez, à la seconde ou la troisième, il n’y aura plus que quelques spacegeeks pour tenir les comptes. C’est exactement pour ça qu’on en parle, parce que ce n’était jamais arrivé et ça, ça méritait d’être corrigé. Avec des efforts. Et de la com. Mieux, observez un peu autour de vous, les réactions des femmes dans la vraie vie ou sur twitter, à cette sortie. Elles sont à 95% super positives (ou regrettent que ce ne soit pas arrivé plus tôt), ce qui devrait à tout le moins vous donner la puce à l’oreille. Pourquoi parler de cette sortie ? Pour se réjouir, tout simplement. Pour célébrer une actualité positive dans laquelle personne ne meurt, personne n’envahit personne, personne ne tente de priver des autres de tels ou tels droits. Une actualité où deux amies sont sorties ensemble pour réparer leur station spatiale. Elles étaient des femmes, et c’était la première fois.
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Merci pour cet article !
Tellement d’abrutis qui sont là à pleurer derrière leur écran, et toi qui ne fait que sublimer cet événement qui, à n’en pas douter, ne sera que routine à l’avenir 😀