[NASA] ICON décolle enfin sur Pegasus XL
Avec deux ans de retard, la mission ICON a pu décoller ce 11 octobre à 4h du matin (Paris). Une aventure rocambolesque, qui se termine très bien, puisque le petit satellite de 288 kg est en orbite à 575 km d’altitude environ et peut démarrer sa mission d’au moins deux ans en étudiant l’ionosphère. Il n’empêche que ce retard et le manque de commandes pourrait bien avoir raison de la suite du programme de Pegasus XL, toujours (officiellement) en activité.
Pegasus XL sous le ventre du « Stargazer » avant son largage/décollage. Crédits NASA/Frank Michaud
Que va observer ICON
L’ionosphère. Cette « strate » de l’atmosphère comprise entre 60 et 1000 km d’altitude, dans laquelle la densité de l’air est particulièrement faible, est à la merci des radiations solaires et cosmiques, qui à leur passage peuvent arracher un électron aux atomes et molécules qui s’y trouvent. Alors même qu’une importante partie des satellites en orbite basse évoluent directement dans l’ionosphère (même si on l’a dit, la faible quantité de particules n’y créé qu’une très faible friction) cette dernière est organisée en couches dont l’ionisation est différente et parfois mal documentée. ICON est donc là pour rectifier le tir. Sur une mission de deux ans le satellite de la NASA observera les variations de quantité de molécules et d’ions en fonction de l’activité solaire, et ce grâce à quatre instrument en particulier.
- MIGHTI ou Michelson Interferometer for Global High-resolution Thermospheric Imaging est un instrument qui va observer la température et la vitesse des particules atmosphériques. Ces vents et grands courants sont pour l’instant mal documentés, même si on sait qu’ils sont influencés par les événements météorologiques et climatiques des basses couches de l’atmosphère. On veut aussi comprendre l’impact de ces températures et vitesses sur les particules ionisées.
- FUV (pour Far UltraViolet instrument), devrait observer sur des bandes de fréquences UV la haute atmosphère et les couches de l’ionosphère. FUV sera capable de donner des cartes de densité de l’ionosphère et de montrer comment elle interagit avec la haute atmosphère, surtout la nuit… Et le jour, FUV étudiera les changements de composition de la haute atmosphère.
- EUV (pour Extreme Ultraviolet Instrument) observe pour sa part les bandes de fréquence UV qui font ressortir l’oxygène pour observer et créer la carte de densité de l’atmosphère sur les zones de jour. Cet instrument est le pendant de FUV.
- IVM (pour Ion Velocity Meter) est un instrument qui va mesurer la vitesse des particules chargées et leur champ électrique. Il s’agit du coup du complément à MIGHTI pour les particules chargées.
Enfin les équipes qui étudient les résultats de ces quatre instruments devraient aussi les comparer avec ceux de l’instrument GOLD placé sur SES-14, et qui observe la haute atmosphère sur l’ensemble du disque terrestre depuis l’altitude géostationnaire. Dans un premier temps cela servira pour de la calibration, avant d’être utilisé pour des mesures qui formeront un ensemble cohérent.
Petit éclaté du satellite ICON. Crédits NASA/Mark Belan
Pegasus XL se fait enfin larguer
Le décollage d’ICON était pratiquement devenu un running gag de mauvais goût, éclipsé par d’autres projets de la NASA qui prennent eux aussi du retard mais qui font médiatiquement plus de bruit (comme SLS ou le contrat Commercial Crew, voire le JWST). Mais le satellite devait à la base décoller en 2017. Retardé une première fois à cause de l’un de ses trois étages à propulsion solide abîmé lors des manipulations au sol, le lancement est repoussé au cours de 2017 pour vérifier le système d’éjection de la coiffe de Pegasus. Une fois tout vérifié le satellite est intégré au lanceur et l’avion Stargazer se rend sur l’atoll de Kwajalein pour le décollage. Mais un système de contrôle sur le premier étage est défectueux. Ou pas ? Difficile à dire, le système engendre un bruit de mesure, uniquement lorsqu’il vole à haute altitude. Le lanceur et son satellite sont ramenés à Vandenberg, une étude est menée mais ne découvre rien de particulier, alors le décollage est repoussé à octobre 2018, avant de présenter le même problème quelques heures avant son lancement. Le coup de pas de chance : pour éviter une potentielle catastrophe en vol, il faut redessiner une partie du contrôle d’attitude du premier étage et renforcer l’électronique de contrôle. Cela prendra finalement un an, avec au final la satisfaction de voir Pegasus LX larguée avec son satellite… Avant d’activer son moteur solide 5 secondes plus tard et de s’élancer vers le firmament. Avec ses trois étages, la fusée mettra seulement 11 minutes pour embarquer ICON à son altitude de travail et l’éjecter, en incluant des moments de pause au cours de la montée pour donner un maximum de poussée à l’apogée. ICON, qui aura coûté environ 252 millions de dollars au contribuable américain, peut entamer sa mission !
ICON avant sa mise sous coiffe. C’est dense… Crédits NASA/Randy Beaudoin
Qui veut encore de Pegase ?
Avec 4 lancements ces dix dernières années, on ne peut pas dire que Pegasus (en version XL ou non) marque le paysage des lancements d’une empreinte indélébile. Malgré son lanceur aux capacités dédiées au décollage de petits satellites, lesquels sont « à la mode », Northrop Grumman fait face à une situation difficile : à l’instar de Proton dont on discutait cette semaine sur un post précédent, Pegasus n’a plus de clients. Toutefois le lanceur a plusieurs problèmes liés à son exploitation et à son design. Eh oui, vous l’aurez peut-être remarqué avec ICON, mais il faut un satellite très petit pour rentrer dans la coiffe de Pegasus, qui ne mesure que 1.27m de diamètre extérieur au plus large. C’est peu, l’équivalent en fait des capacités de la fusée Electron de RocketLab. Mais la plus grande différence, c’est sans doute le prix. Lorsqu’Electron affiche un prix public officiel de 6,5 millions de dollars par tir, Pegasus est à négocier entre 40 et 55 millions de dollars ! Alors bien sûr, Pegasus affiche 30 décollages réussis d’affilée. Mais ça ne suffit pas, ou plus, pour séduire les clients. Les derniers ont sans doute été relativement rebutés par les ennuis techniques de ces deux dernières années. Alors que va devenir Pegasus XL ?
Pegasus avant l’installation de la coiffe. Le satellite est déjà présent… Crédits/Randy Beaudoin
En réalité, on aurait tord de les enterrer trop vite. Car pour commencer la NASA considère ce lanceur comme un « AAA », digne des satellites les plus sensibles et fiables. Ensuite parce que Northrop Grumman (ex Orbital-ATK) est une société qui ne cherche pas la rentabilité à outrance de ses concurrents. Ils proposent des services taillés sur mesure pour un prix élevé, ce qui explique que les lanceurs Minotaur soient officiellement toujours en activité, que Pegasus XL ne soit pas à la retraite et qu’Antares ne vole qu’avec des cargos pour l’ISS : il y a peu d’intérêt public pour ce genre de décollages. Reste que Pegasus XL sera peut-être victime d’un trop long arrêt des vols, puisqu’il faut aussi que son avion porteur soit dans un état impeccable… Or il s’agit déjà du dernier « Tristar » L-1011 encore en activité au monde. Même s’il lui reste du potentiel, c’est un peu une relique de musée (l’exemplaire « Stargazer » en particulier a été construit en 1974). Avec l’arrivée de lanceurs à bas coûts comme Falcon 9 (la NASA y a transféré un ancien satellite Pegasus), mais aussi Electron, LauncherOne, Terran-1, Alpha et peut-être d’autres startups qui arrivent dans les années à venir, il faudra peut-être que Northrop Grumman soit amené à faire des choix difficiles. Il resterait deux Pegasus XL « quasiment produites » à la base destinées au gigantesque avion ROC de Stratolaunch. Dans les limbes depuis son essai au printemps, l’avion géant vient d’être racheté. C’est peut-être une lueur d’espoir pour le seul lanceur aéroporté à avoir eu une belle carrière de nos jours. La dernière ?
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires.