[NewSpace] Décoller vite ou mourir lentement
Sur les dizaines de startups américaines qui se proposent de devenir « le futur du lancement de satellites » avec des dizaines, voire des centaines de lanceurs légers chaque année, seules quelques rares pépites arriveront un jour à aligner du matériel sur un pas de tir. Plus rares encore seront celles qui amèneront leurs clients en orbite, quand seules les licornes réussiront à devenir effectivement rentables. Transporter quelque chose vers l’espace, c’est excitant… Mais au moindre détail de travers, tout peut rater. Dans ce secteur du NewSpace si on excepte la Chine, seul RocketLab dispose avec 8 missions à son actif d’une expérience significative, pour un rythme de lancement encore très raisonnable (maximum un par mois, probablement 6 en 2019). Malgré les retards significatifs de son programme et quelques embûches de contrats, Virgin Orbit devrait leur emboîter le pas avec son petit lanceur LauncherOne, peut-être avant la fin de l’année, Mais ensuite ?
Test au banc d’essai des moteurs Reaver de Firefly. Haute puissance ! Crédits Firefly/Edwards Media
Firefly, sur le podium ?
C’est peut-être le « comeback » le plus impressionnant pour une entreprise qui avait mis la clé sous la porte, à cause d’un ennuyeux procès contre Virgin Orbit et de pressions financières : Firefly a beaucoup progressé pour mettre en service son lanceur léger Alpha, dont le premier essai devrait avoir lieu cet hiver ou au début de l’année prochaine (si on en croit les informations de l’entreprise). Alpha est dans le haut de la gamme des lanceurs légers, avec une capacité d’une tonne en orbite très basse (200 km, LEO) et de 630 kg en orbite polaire héliosynchrone à 500 km d’altitude. Elle n’est pour autant proposée qu’à 15 millions de dollars par tir. C’est une fusée à deux étages, usinée en « tout composites » avec des carburants kérosène-LOX. Le premier étage est propulsé par un ensemble de 4 moteurs « Reaver 1 », tandis que le second est poussé par un unique moteur « Lightning 1 » avec une chambre de combustion adaptée au vide spatial. Tout cela est bien réfléchi et l’objectif est d’aller directement concurrencer RocketLab et Virgin sur le plan des tarifs, en même temps que les acteurs traditionnels en termes de capacité. Avec plusieurs centaines de kilos de charge utile et un diamètre autorisé de 2m sous coiffe, c’est un concurrent pour les vols de satellites moyens (ou les multi-charges utiles) actuellement lancés grâce à PSLV; à Vega ou depuis la Russie sur les ex-missiles Rokot.
Le lanceur Alpha aura fort à faire. Belle image composite ! Crédits NASA/Firefly
Il n’empêche que le calendrier est encore flou. Après des campagnes d’essais au sol réussies avec le second étage à l’hiver dernier, ce sont les moteurs Reaver-1 qui sont actuellement au banc, avec au printemps des essais uniques, suivis cet été par l’installation d’un premier étage factice pour tester le « cluster » de 2 puis 4 moteurs. Firefly se réjouit sur les réseaux sociaux de ces réussites, mais on peut faire remarquer qu’il ne s’agit toujours que d’essais préliminaires. Pour un premier vol il est aussi important de passer du temps sur le pas de tir avec le matériel destiné au décollage, pour former les équipes mais aussi pour résoudre les dizaines de petits (et moins petits) problèmes qui vont surgir au dernier moment. On espère que Firefly nous montrera ces préparatifs d’ailleurs, car l’entreprise aura les moyens de faire tout ça en secret : elle dispose d’un site sur la base de Vandenberg, gérée par l’US Air Force et à l’accès bien plus restreint que les installations en Floride. A noter que Firefly dispose aussi d’installations en Floride (LC-20) mais qui seront utilisées dans un second temps.
Qu’est-ce qui est le plus complexe, neuf petits moteurs, ou quatre plus gros ? Crédits Firefly
Relativity Space lève 140 millions
L’idée d’un lanceur « entièrement imprimé en 3D » laisse toujours particulièrement dubitatif. Car des moteurs imprimés en 3D comme Rutherford de RocketLab, ce n’est plus si nouveau… Mais le reste ? Car oui, Relativity Space vise même à imprimer les réservoirs de son lanceur Terran-1 ! Et la firme communique sur « Stargate », son ensemble de robots capables d’imprimer la majeure partie du lanceur en « partant de rien », avec un nombre très limité d’employés. En tout, les équipes de Relativity sont tout de même 110 aujourd’hui, et la startup qui loue le site n°16 à Cape Canaveral avait besoin de financement. Pari gagné puisque ce sont 140 millions qui sont levés, investis par « Bond and Tribe Capital », un montant relativement record (hors SpaceX) qui devrait permettre à l’entreprise d’arriver jusqu’à son premier lancement commercial prévu en 2021. Relativity Space compte déjà quatre clients pour les décollages de Terran-1 à partir de 2021, dont Telesat. Le lanceur est prévu à seulement 10 millions de dollars par décollage, pour une capacité folle de 1,6 tonnes en orbite basse ! Si cette promesse se concrétise (10 fois la capacité de RocketLab pour 1,5 fois le prix) ce sera un gros coup porté à l’ensemble de la concurrence mondiale. Mais 2021, c’est encore loin, et on sait tous qu’en termes de promesses les Startup (qui plus est avec des technologies innovantes) peuvent prendre beaucoup de retard. Il faut garder un oeil sur Relativity Space tout de même, car l’entreprise a déjà testé ses moteurs Aeon-1 de façon extensive avec le concours de la NASA sur le site de Stennis. Il s’agit donc d’une proposition à prendre au sérieux. Nous verrons comment tout cela évolue l’année prochaine avec l’annonce d’un premier essai au second semestre 2020 depuis la Floride.
L’un des éléments de « Stargate » qui imprime un réservoir en 3D. Impossible de dire si c’est efficace, mais c’est impressionnant ! Crédits Relativity Space.
Ce ne sera pas Vector
Le 10 août, deux jours après l’attribution d’un contrat de 3.4 millions de dollars de l’US Air Force pour un premier lancement réactif de petit satellite, Vector émettait un bref communiqué de presse. Pour commencer, l’entreprise se met en « pause » suite à des problèmes de financements. Les employés sont renvoyés chez eux le temps que les équipes puissent sauver ce qui peut l’être… Enfin, le fondateur et PDG Jim Cantrell a quitté son poste, remplacé par John Garvey. Depuis cette date, pas un mot. Mais vous l’aurez compris, l’aventure est terminée, ou du moins prendra plusieurs années de retard, à l’image de ce qui est arrivé en 2016 à Firefly (qui tout de même avait rapidement rebondi). L’entreprise, qui développait son petit lanceur Vector-R, a sans doute été victime d’un manque de cash : préparer un lanceur, qui plus est avec environ 18 mois de retard sur le programme initial, coûte très cher. D’autant que Vector s’était considérablement étendue, démarrant dans le garage de Jim Cantrell (très grand puisque ce dernier est amateur de course auto) jusqu’à une large surface d’une « usine de lanceurs » construite sur mesure à Tucson (Arizona).
L’exemplaire le plus avancé de Vector-R sur le site de production à Tucson. Crédits Vector Space Systems
Vector-R avait la particularité d’être un lanceur basé sur l’idée d’un design non réutilisable et simplifié à maxima. Il avait des capacités minimales aussi avec seulement une charge utile de 40 kg pour l’orbite basse, et aurait emmené uniquement des petits satellites sur des orbites spécifiques. Le premier étage était équipé de 3 moteurs, le second d’un seul du même modèle, adapté au vide. Malheureusement, l’entreprise n’a jamais pu « montrer les crocs », faisant le buzz grâce à deux campagnes « suborbitales » (en réalité moins de 3 et 4 km d’altitude) avec un seul moteur, les véritables tests autres que sur le banc moteur n’ont jamais eu lieu. On peut d’ailleurs soupçonner Vector d’avoir eu de gros soucis techniques dont ils n’ont pas parlé en public, car des paraboles suborbitales étaient prévues, successivement à Camden, puis en Alaska, puis au Nouveau-Mexique. Bref, comme toujours d’énormes décalages entre les annonces (vols paraboliques en 2017, test orbital en 2018) et la réalité (rien). Je me souviens avoir personnellement pesté lorsqu’une maquette grandeur nature de Vector-R avait été installée au Kennedy Space Center Visitor’s Center, pour la bonne et simple raison qu’elle y était entourée de fusées légendaires qui toutes avaient marqué l’exploration spatiale. Vector-R, après cette nouvelle faillite, restera probablement condamnée aux clichés des touristes de l’exposition « future of spaceflight ».
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