[Russie] Proton réussit son coup !
Pour son unique mission commerciale de 2019, le lanceur le plus capable de la Russie a décollé avec deux véhicules sous sa coiffe, ce mercredi 9 octobre à 12h17 (Paris). Il emmenait Eutelsat 5 West B, satellite « classique » de télécommunication équipé en sus d’un transpondeur Egnos, ainsi que le nouveau vaisseau de service de Northrop Grumman, le MEV-1. Une mission longue, de pratiquement 16 heures, et une réussite sans faille.
Eh bien elle a beau être toxique, moi je l’aime bien, voilà. Crédits ILS
Une mission (très) longue pour Proton
On l’oublie parfois, mais la très grande majorité des lanceurs dans le monde est absolument incapable de réaliser le type de mission que Proton vient de mener à bien, car les étages supérieurs des fusées ont des durées de vie très courtes : même lorsqu’ils sont rallumables, ce n’est souvent que dans une limite de 5 à 6 heures. Grâce à l’étage supérieur Briz-M, les deux satellites ont pu être éjectés sur une orbite de transfert super-synchrone très avantageuse (12000 x 65000 km) et qui leur « coûtera » très peu de carbrant pour manoeuvrer jusqu’à leur emplacement final en orbite géostationnaire, à environ 35750 km d’altitude sur l’équateur terrestre. Le lanceur russe n’étant cependant pas aussi puissant qu’une Ariane 5 par exemple, la masse cumulée des deux satellites restait faible, les deux étant chacun sous les 3 tonnes (2.8 pour Eutelsat 5 West B, 2,3 pour le MEV-1). N’empêche qu’une mission de 16 heures… C’est super impressionnant.
Proton en route pour son pas de tir, dimanche 6 octobre. Crédits Roscosmos
La campagne de préparation a eu lieu dans le calme avec quelques reports, mais aucun dans les dernières semaines. Même si ces deux satellites devaient à la base décoller l’année dernière, ce retard n’est pas à attribuer à ILS qui opère la fusée. Les deux satellites ont été mis sous coiffe fin septembre, superposés sans structure de type Sylda comme sur Ariane 5 : étant donné qu’ils étaient tous les deux assemblés par Northrop Grumman, le constructeur américain a intégré un dispositif qui leur permettait d’être lancés l’un directement au-dessus de l’autre. Un pari intéressant ! Proton a décollé depuis Baïkonour dans une grise après midi kazakhe, mais il a fait tout ce qu’on lui demandait, à savoir quitter la Terre pile à l’heure et ne pas se planter jusqu’à l’orbite : les 3 étages « classiques » ont emmené Briz-M sur une trajectoire suborbitale, après quoi l’étage supérieur a utilisé 5 fois son moteur à plusieurs heures d’intervalle pour proposer une superbe orbite finale à ses clients.
Merci de ne PAS respirer près de Proton. Mais à part ça, quelle beauté ! Crédits ILS
Et si Proton finissait dans une éclatante fiabilité ?
Proton est le lanceur que l’on adore salir. Celui qu’on observait (oui, moi aussi) en 2014 et 2015 au décollage en se disant que ça allait finir en eau de boudin. Et à plusieurs reprises, nous avions raison. Mais depuis, il s’agit d’une réputation affreuse que Proton ne mérite plus. Depuis le lancement de MexSat-1, cela fait maintenant 18 lancements réussis d’affilée ! Alors il serait un petit peu temps d’amender les remarques du style « elle va faire un salto arrière » (car c’était il y a 6 ans, bientôt cette anecdote vous fera passer pour un vieux réac) ou « moh avec Proton je serre toujours les fesses » (à raison de 4 lancements par an, votre transit se porte à merveille). Entre temps Proton a lancé ExoMars 2016 et beaucoup d’autres satellites pour la défense russe ou pour différents clients de par le monde, qui ont peut-être eu peur mais ont été contents de leur choix. Cela ne veut pas dire bien sûr que Proton est le lanceur le plus fiable au monde, mais on rappellera quand même que son dernier échec est antérieur à ceux d’Antares, Vega, CZ-3B, CZ-4, CZ-5, Electron, Falcon 9, Soyouz et bien d’autres. Et pourtant ceux là n’ont pas (tous) mauvaise réputation. Proton a eu sa traversée du désert, on peut légitimement espérer que ce soit terminé. Et dans un sens ça me ferait beaucoup rire que Proton termine sa carrière avec 29 ou 30 succès d’affilée juste pour donner tord à tout le monde.
Gnagnagna personne n’a monté de capteur à l’envers ce coup ci ? Non. Crédits Roscosmos
D’ailleurs Proton en soi, c’est terminé. Khrunichev a annoncé cet été qu’il en restait 11 à produire (dont 4 déjà en cours d’assemblage à des degrés divers) avant de mettre la clé sous la porte de l’usine et de ne plus faire autre chose qu’Angara qui est assemblée à Omsk, bien loin de Moscou. Sémantiquement, on pourra remarquer que ça ne veut pas dire qu’il ne reste que 11 tirs en tout, car ça n’inclut pas les potentiels lanceurs déjà produits et stockés en attente de leur départ à Baïkonour, ainsi que celui ou ceux déjà présents en pièces détachés sur place au Kazakhstan. Ce qu’on peut affirmer par contre, c’est que le rythme n’augmentera plus et va sensiblement se réduire dans les années à venir puisqu’en 2025, toutes les activités liées à Proton seront normalement terminées. Et les 4 pas de tirs à Baïkonour seront désactivés (seuls 2 sont encore en activité, un seul peut-être à partir de l’année prochaine). ILS, qui commercialise Proton est aussi dans une situation de crise. L’entreprise a été réabsorbée par Roscosmos via son entité commerciale Glavkosmos à la fin du printemps, il n’y a plus aucun contrat pour Proton pour l’instant (et à moins d’un retournement de dernière minute…) et comme si ça ne suffisait pas, le PDG Kirk Pysher a quitté l’entreprise ce matin. Il a officiellement démissionné mais pourrait avoir été débarqué (visiblement hier il donnait encore des interviews sans rien laisser paraître).
Les deux satellites superposés sont imposants. Eutelsat 5 West B à droite, MEV-1 au centre. Crédits ILS/Roscosmos
Le MEV, succès annoncé ou véhicule de transition
Le MEV-1, qui est le premier vrai véhicule de service jamais envoyé dans l’espace (si on excepte la navette qui avait besoin de gens pour s’y coller), a devant lui une carrière potentiellement très lucrative, mais il devra d’abord faire ses preuves. Le véhicule ne rejoindra pas directement l’orbite géostationnaire, il faudra d’abord qu’il fasse un crochet par le cimetière (200 à 300 km au dessus du GEO) pour y chercher Intelsat 901. Lancé en 2001, le satellite de télécommunication a déjà tiré sa révérence, faute de carburant… Mais c’est là que le MEV rentre en jeu. Il se déplace jusqu’à l’orbite cimetière, trouve Intelsat-901, s’en approche, s’y accroche sans lui faire de mal, puis le transporte à nouveau en position géostationnaire pour 5 ans. Car ce véhicule ne transfère pas de carburant, probablement même pas de courant électrique. Il s’agit « simplement » de se placer en sangsue à l’arrière et de le manoeuvrer pour qu’il puisse être actif sur la bonne orbite. Après 5 ans le MEV-1 aura terminé sa phase de test, il ramènera Intelsat 901 à sa place et sera loué à un autre opérateur pour prolonger la durée de vie d’un satellite compatible. D’ici là, Northrop Grumman aura déjà lancé un second exemplaire de MEV avec des fonctions supplémentaires. De quoi se décider à lancer toute une lignée de MEV, ou à mettre le concept dans la longue lignée des expériences qui n’ont pas tout à fait trouvé leur place. Por être honnête, cela dépend beaucoup de l’accueil des opérateurs, et du montant qu’ils sont prêts à mettre sur la table…
Et il reste toujours les indomptables questions liées au MEV : que se passe-t-il s’il va en orbite cimetière et qu’il récupère un autre satellite ? Ou qu’il en emmène un qui n’a rien demandé ? Crédits Northrop Grumman
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