[SpaceX] Starlink prend de l’avance
Au début de l’année, le projet Starlink était encore en préparation. Six satellites OneWeb de pré-série ont été lancés en février, et ont excédé depuis leurs performances attendues… Mais SpaceX a frappé fort avec un premier lancement en mai 2019, puis un second ce lundi 11 novembre, avec à chaque fois 60 satellites Starlink. SpaceX, cette fois opérateur, améliore les unités et se prépare au reste du déploiement en masse.
Quel cliché ! En sachant que Mercure passait devant le Soleil au même moment… Crédits SpaceX
3 mois sans Falcon 9, et puis…
Dire que le planning était plus léger cette année que ce que SpaceX avait prévu est en-dessous de la vérité. Le souci pour un tel opérateur, est de n’avoir rien à lancer pendant toute une période… Les lanceurs réutilisables ont permis ce que toute entreprise doit craindre : une surcapacité. En tout cas… En 2019. Car avec Starlink SpaceX s’est offert un marché gigantesque pour Falcon 9 et ses étages réutilisés, même si c’est un imposant pari, le coût de ces décollages devant être ensuite répercuté sur la partie télécommunication de l’entreprise. Pour nous spectateurs cet automne, qu’importe : Falcon 9 reprenait du service, avec de nouveaux records. Un premier étage qui faisait son quatrième vol, un 75è décollage de Falcon 9, et pour la première fois une coiffe réutilisée après une récupération en mer (les deux moitiés ont donc été repêchées, dessalées, et reconditionnées). Ca aura d’ailleurs été le seul ennui pour cette campagne de vol : les deux navires récupérateurs, Go Ms Tree et Go Ms Chief n’avaient pas de chance de récupérer les coiffes dans leurs grands filets à cause de mauvaises conditions de mer, et ont dû rentrer s’abriter au port. Pour le reste, c’était une véritable démonstration. Pas de report du vol dans les 3 dernières semaines, une météo favorable, et hop emballez c’est pesé, le décollage a pu avoir lieu et réussir. Falcon 9 continue de s’affirmer comme une référence de fiabilité puisque l’entreprise n’a jamais eu d’échec avec un étage réutilisé, et qu’elle comptabilise maintenant avec ce lanceur un joli package de 74 missions réussies, une partielle et deux échecs (dont Amos-6 qui n’a pas eu le temps de décoller).
60 satellites sous la coiffe. Et pas beaucoup d’air ! Crédits SpaceX/E. Musk
Le décollage a eu lieu à 15h56 (Paris) trois secondes après l’allumage des 9 moteurs Merlin 1D, après quoi le lanceur est parti sur un joli ciel bleu, qui a permis avec la caméra embarquée de voir la Floride s’éloigner peu à peu avant que le lanceur soit « à l’horizontale » au-dessus de la courbure de la Terre. Le premier étage a terminé son action après un peu plus de 2 minutes et 30 secondes de poussée, puis il a basculé pour se mettre traditionnellement moteurs en avant. Il a ensuite ralenti une première fois pour ajuster sa parabole, et une seconde pour freiner à travers l’atmosphère, avant de se pointer à la verticale de la barge « Of Course I Still Love You » et de s’y poser sans anicroche. Pour ce 45è atterrissage réussi, SpaceX a même réussi le luxe de stabiliser la connexion de sa caméra embarquée sur le bateau, nous laissant avec de très belles images de son booster. Pendant ce temps là, le second étage s’éteignait une première fois, avant d’être rallumé 35 minutes plus tard pour un mini-ajustement d’orbite. Mais vraiment mini : moins d’une seconde d’allumage, un vrai hoquet pour le moteur ! Une fois en orbite à environ 280 km d’altitude (circulaire) les équipes ont attendu 15 minutes de plus avant d’envoyer la commande et de relâcher la « grappe » des 60 satellites superposés et maintenus par des mâts et un filin.
La « grappe » de satellites Starlink. Crédits SpaceX
60 Starlink de plus
Les satellites Starlink ne sont pas au régime : ils ont gagné 32 kg par unité depuis le mois de mai ! Avec 260 kg sur la balance, c’est presque le double de ceux de la constellation OneWeb ! SpaceX justifie cette modification par l’ajout d’une antenne Ka absente des versions précédentes, par une amélioration des performances de ses transpondeurs, et par des changements de matériel qui permettent d’affirmer que chaque satellite Starlink peut se désintégrer et brûler à 100% lors de sa rentrée dans l’atmosphère. Un point qui peut sembler marginal, mais qui a son importance si SpaceX compte les laisser dériver en orbite basse : leur propulsion ionique n’est pas assez puissante pour assurer un point de rentrée atmosphérique aussi précis qu’un satellite que l’on fait plonger dans l’océan Pacifique, par exemple. Conséquence, le décollage de Starlink était aussi la charge utile la plus élevée pour une Falcon 9, avec 15,6 tonnes de charge utile (et dire qu’ils ont récupéré le 1er étage !). L’orbite visée était cependant assez basse avec 280 km. Le second étage du lanceur a d’ailleurs probablement purgé ses réservoirs avant sa rentrée atmosphérique… Au-dessus de la France (aucune conséquence).
Ce premier étage décollera-t-il pour un cinquième vol ? C’est possible… Crédits SpaceX/E. Musk
Après une période initiale (identification et activation des systèmes), les satellites Starlink vont allumer un par un leur moteur pour atteindre une orbite intermédiaire à 350 km d’altitude, à laquelle ils subiront un second set de test et seront envoyés sur les bons « trains » orbitaux pour créer un maillage. Ensuite seulement ils allumeront leurs moteurs pour se placer à 550 km d’altitude, rejoignant les 60 unités déjà en place. SpaceX a déjà tweeté qu’ils avaient des doutes sur un des 60 satellites avant même le décollage, mais ils ont procédé quand même au lancement : il y aura peut-être des pertes à surveiller dans la constellation… Déjà que dans les unités en service, il n’en reste qu’environ 50 à effectivement réaliser des tests. Sur 120 satellites de connectivité lancés (SpaceX est instantanément devenu le plus gros opérateur en nombre de satellites de communication), il se pourrait bien qu’une centaine seulement soient actifs, et ce d’ici quelques semaines puisqu’il faudra le temps à ces unités de rejoindre leur « place » opérationnelle.
Le pas de tir LC-40, que SpaceX opère depuis bientôt 10 ans. Crédits SpaceX
Les concurrents spectateurs
Il y avait beaucoup de promesses cette année, et la montée en puissance de OneWeb était l’une d’entre elles. Malheureusement pour le constructeur américain qui s’est associé avec Airbus D&S pour la construction de ses satellites en Floride (le site n’a ouvert que cet été) et avec Arianespace pour faire décoller ses « grappes » de 32 unités à chaque tir, ce sont différents retards qui ont pris le dessus. Au point qu’à présent, le premier décollage à pleine charge avec des satellites de série produits en Floride est repoussé au moins au 23 janvier. Et ce n’est pas Soyouz qui est en retard, mais bien les satellites. Il faudra guetter leur arrivée documentée à Baïkonour à partir de la mi-décembre, sans quoi il ne sera pas difficile d’imaginer un nouveau report. De plus, l’entreprise a beau annoncer une mise en service commerciale dès 2020 avec une couverture des régions arctiques polaires, il ne faudra pas oublier le temps nécessaire au positionnement des satellites. Car si Starlink utilise une orbite préliminaire qu’elle peut rejoindre en quelques semaines à 550 km d’altitude, les satellites OneWeb orbitent à 1200 km au-dessus de la surface terrestre : il leur faut du temps pour faire le trajet grâce à leurs propulseurs ioniques (Xénon). Dans tous les cas, il faudra non seulement garder un oeil sur la progression de cette première campagne, mais aussi garder à l’esprit que les suivantes doivent rapidement avoir lieu, depuis Baïkonour, Vostotchnyi et Kourou, y compris lors du premier décollage d’Ariane 62 prévu en fin d’année prochaine.
Il faut convaincre, c’est le maître mot. Crédits OneWeb
OneWeb n’est pourtant pas la seule. Telesat Canada (qui envisage 200 satellites en orbite en 2022 et 100 exemplaires de plus en 2023 pour des services de connectivité) doit choisir depuis plusieurs trimestres quel industriel portera son projet : l’entreprise n’a pas les moyens de produire elle-même ses satellites. Airbus, Maxar et Thales sont donc en attente d’un potentiel nouveau gros contrat pour l’un des trois (Thales était précédemment associé à Maxar mais ça a capoté). Valorisation estimée ? 3 milliards de dollars… Pour l’instant, SpaceX dispose donc d’une avance qui, à défaut ‘être purement technique (on attendra de voir les résultats des débits) met ses adversaires devant le fait accompli. Avec 120 satellites en orbite, et potentiellement 180 d’ici quelques semaines SpaceX passera logiquement une partie du début 2020 à rouler des mécaniques.
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